La presse s’est largement fait l’écho de la longue délibération du Conseil National d’Evaluation des Normes (CNEN) du jeudi 9 novembre sur le texte du Gouvernement relatif au « Projet de loi pour un Etat au service d’une société de confiance »
Sans forcer les mots, je pense que si le Secrétaire Général du Gouvernement, Marc Guillaume, ne s’était pas déplacé pour le présenter et le soutenir avec force, l’avis aurait défavorable.
Le CNEN n’est pas politisé au sens partisan du terme, il est pragmatique et il connait en profondeur le fonctionnement du Pays, dans ses contrées parfois les plus retranchées du territoire national, hexagonal ou outre-mer.
Le texte part d’une excellente idée ; il était né sous le joli nom de « droit à l’erreur » ; le voilà aujourd’hui baptisé autrement. La confiance est le meilleur projet que peut nourrir un Gouvernement. Rétablir cette confiance perdue dans l’Etat serait son meilleur atout. Encore faut-il qu’il comprenne que ses administrations centrales sont souvent son pire ennemi. Elles vivent pour elles-mêmes. Le centralisme comme principe fondateur de l’organisation de l’Etat n’est plus une forme de gouvernement, mais devenu plutôt une cristallisation administrative centrale dont les racines remontent profondément à travers les siècles. A part quelques pays ne répondant pas aux critères de démocratie, elle est devenue le seul Pays développé fonctionnant ainsi. Le pouvoir administratif central persiste à s’affirmer comme le seul et unique garant de la sécurité nationale et de l’égalité territoriale. Le pouvoir politique n’assurant plus que des fonctions représentatives plus ou moins influentes selon les personnalités. Une uniformisation d’acier s’applisue à briser systématiquement toutes les résistances que représentent les élus de la Nation ou ceux des collectivités territoriales, afin de vaincre tout particularisme local et culturel.
Comment, dans ces conditions, bâtir une société de confiance ? Puisqu’elle exclut toute adhésion volontaire et fond dans un moule unique l’infinie diversité du Pays.
La meilleure manière de qualifier le projet dans sa rédaction actuelle est de le considérer comme améliorable ! Espérons que le Parlement y réussira et que le Gouvernement comprendra la nécessité, pour lui-même, et pour la France de desserrer l’étau dans lequel notre Pays étouffe.
Quelques exemples pour illustrer cette impression générale tirée de la séance :
Pourquoi vouloir entourer la proposition de confiance mutuelle dans une procédure d’urgence ? Il y a presque contradiction.
S’agissant des normes, le temps n’est-il pas venu de mettre enfin en œuvre les recommandations figurant dans tous les rapports produits au cours ces dernières années ? Celui coproduit avec Jean-Claude Boulard recense tout ce qu’il serait urgent et utile de faire. On en trouve peu de trace dans le projet.
S’agissant des rescrits qui sont une excellente voie, empruntée par tous les pays modernes, pourquoi les avoir limités au domaine juridictionnel, pourtant le plus sensible, et ne pas les avoir étendus au domaine administratif ?
S’agissant de la propagande électorale dans les élections locales, pourquoi les administrations sises à Paris se croient-elles plus légitimes que celles locales pour en définir les modalités ?
S’agissant de l’accueil de la petite enfance dont les communes et intercommunalités, elles s’en occupent plutôt bien, alors pourquoi vouloir l’entourer d’un corps de règles nationales supplémentaires ? Pour compliquer plus encore la vie des élus, et encore renchérir les coûts déjà élevés ?
S’agissant du contrôle qualifié à tort de « légalité », il aboutit à rajouter des règles aux règles, des démarches aux démarches, des délais aux délais, des coûts aux coûts, pourquoi ne pas accepter déjà de le qualifier « d’administratif » ? Puisque les fonctionnaires en charge de ces fonctions n’ont aucune qualité pour juger de la légalité, laquelle est de la compétence du Juge. Pourquoi prétendre faciliter la vie des collectivités, alors qu’il s’agit de la leur compliquer ? Elles n’ont rien à cacher, elles veulent bien transmettre la totalité de leurs actes dans les préfectures, le numérique le fait automatiquement. Mais il ne leur revient pas de trier ! Si les contrôleurs veulent contrôler, qu’ils acceptent au moins d’effectuer eux-mêmes ce travail de tri !
S’agissant du droit de la commande publique, pourquoi conserver des règles nationales ? Alors qu’il s’agit d’un droit totalement communautaire ? Comment ne pas prendre conscience que ce droit occupe des bataillons entiers de fonctionnaires et de plus en plus de salariés dans les entreprises, favorisant ainsi nos concurrents étrangers.
Bref, le texte contient de nombreuses mesures positives, il est terriblement dommage qu’il soit entaché de vieilles lunes, obsessions indécrottables de citadelles administratives survivant à tous les régimes.
La confiance ne se décrète pas, elle se mérite ! En la circonstance, le Président et le Gouvernement ont le choix entre la persistance d’un Etat bureaucratique ou l’avènement d’un Etat confiant dans la loyauté du Peuple qu’ils incarnent. Pour sortir de la morosité qui affecte le moral des Français, les gouvernants doivent oser le dialogue avec les gouvernés afin qu’ils trouvent le génie pour s’accorder entre eux, et ainsi redonner sens à la démocratie, redonner vie et force à leur Etat. Leur redonner confiance à eux qui doutent de la politique et des politiques, afin qu’ils acceptent demain, eux-aussi de mieux assumer toutes leurs obligations.
Veillons avec ce texte à ne pas gâcher cette dernière chance !
Voici quelques articles un traitent du sujet :
Projet de loi « droit à l’erreur » : une V2 « pusillanime » (l’Opinion)
« Droit à l’erreur » : les propositions du gouvernement (Le Figaro.fr)
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