Monsieur le Premier Ministre,
Bien que n’appartenant pas à votre courant de pensées, je vous crois sincèrement convaincu et déterminé pour la modernisation de l’action publique en France. Et je ne peux qu’adhérer à cette volonté réformatrice. Je suis heureux que vous alliez devant le Sénat aujourd’hui expliquer votre réforme territoriale. Mais, la réforme ne consiste pas à changer pour changer, à bouleverser ce qui marche, au simple motif que cela existe depuis longtemps. Réformer, moderniser, c’est d’abord optimiser ce qui existe, le rénover pour lui donner force et efficience en l’adaptant au monde nouveau.
C’est l’Etat le fauteur de trouble dans l’action locale. – S’agissant des structures territoriales de la France, je suis sidéré par les discours politiques que j’entends depuis plusieurs mois. Nous aurions trop d’échelons, trop d’élus, trop de dépenses. Un « mille-feuille » disent certains, sans bien savoir que ladite pièce de pâtisserie ne compte que trois couches de pâte feuilletée et deux de couche de crème pâtissière. Si notre organisation territoriale doit être ainsi caricaturée, alors disons franchement que les trois fines couches correspondent aux trois échelons territoriaux (local, départemental et régional). Quant aux épaisses couches grasses, ce sont celles de l’Etat omniprésent, omnipotent, et omni-impécunieux, celui qui fait les poches des collectivités, en permanence.
Le prescripteur des dépenses locales est national. – Trop d’échelons dit-on ? Nous avons le même nombre que tous les pays de l’union européenne. Ce sont les communes que nous avons en plus grand nombre. Et donc plus d’élus communaux. A l’heure de l’intercommunalité obligatoire et extensive, chacun s’étonne d’ailleurs que vous n’ayez pas commencé votre rationalisation par cet échelon. Trop de dépenses dit-on ? Mais de qui se moque-t-on ? Pour les deux échelons que sont les départements et les régions, les seules dépenses qui dérivent sont celles imposées par les décisions de l’Etat. S’agissant par exemple des départements, comment expliquer que, pour celui de l’Orne que j’ai l’honneur de présider, les dépenses pour compte d’Etat, elles représentent 90% de l’ensemble, ont augmenté de plus de 6% en 3 ans, alors que celles dépendant de la volonté souveraine du conseil général ont été réduites de 3% ! Nous avons stabilisé en valeur notre masse salariale depuis 3 ans, malgré vos augmentations incessantes des catégories C. Qui vous le dit ? Personne ! Les comptes publics, malgré mes colères ininterrompues depuis des années, ne donnent toujours pas une image fidèle des relations financières entre l’Etat et les collectivités territoriales. C’est le côté « village Potemkine » de l’information financière publique. Les comptes retracent les dépenses imputées dans les budgets locaux, mais nullement l’autorité qui les décide. Cette clarification est systématiquement refusée par vos services, car il faut, par tous les moyens, tenter de montrer que l’Etat est vertueux en dépenses et que ce sont les administrations locales qui gaspillent. Ces opérations de prestidigitation financière ne trompe que les dirigeants politiques français, car une dépense reste une dépense, qu’elle s’impute dans les comptes de l’Etat ou dans ceux des collectivités. Ceux qui doivent être mis sous contrôle et sous tension, ce sont les prescripteurs. Trois fois sur quatre exercent sont placés sous votre autorité, et ce sont eux qui écrivent les lois et règlements.
La taille critique d’une collectivité : un concept sans fondement économique. – Une autre légende prospère. Celle de la notion de taille critique qui permettrait une optimisation du rapport cout efficacité de l’action publique. Pour avoir consacré vingt ans de ma vie au nouveau management public, je puis vous affirmer qu’il n’existe strictement aucune étude économique qui vienne confirmer et documenter cette affirmation. La vérité est que la production de biens et de services publics oblige à une exigence de proximité qui rend très aléatoire la centralisation de la gestion. Au contraire, la subsidiarité est la clé du succès, mais ce concept est totalement inconnu des administrations centrales. On peut espérer gagner un peu sur la mutualisation des fonctions supports, mais quand on constate le gâchis invraisemblable de la centralisation extrême des systèmes d’information de l’Etat, l’absence de gestion des ressources humaines, on peut s’inquiéter par avance d’un nouveau mode de recentralisation. Au fait, à force de vouloir de grandes régions, pourquoi ne pas en faire une seule ? Elle existe, elle s’appelle la France ! A l’échelle du monde, elle est une région. Curieusement sa gestion centralisée n’est pas classée parmi les plus performantes. Bien au contraire.
Pourquoi imposer à 90 départements la particularité de 10 d’entre eux. – S’agissant des départements, par quelle cabriole de l’esprit est-il permis d’inventer une cohérence à vouloir supprimer, en contradiction formelle avec la Constitution, un conseil élu face à l’Etat départemental dont vous avez confirmé le maintien ? Comment envisager de supprimer les conseils départementaux au moment même où vous décidez l’agrandissement des régions ? Comment en arriver à vouloir contrarier 85 à 90 départements au seul motif que 10 ou 15 d’entre eux comptent une métropole ? C’est pour ces 10 ou 15 là qu’il vous faut inventer un régime particulier et non en faire un régime général pour la France entière. D’autant que vous n’y parviendrez pas puisque à l’exception de Lyon (où vous avez dû maintenir le département) aucune n’a voulu d’un autre statut que celui d’établissement public.
La maitrise des dépenses est possible par le contrat et non la loi. – Quant aux économies qui vous sont annoncées, non seulement elles n’existeront jamais mais elles se transformeront en dépenses supplémentaires. Les alignements vers le haut de tous les traitements, salaires, indemnités, congés et autres couteront une fortune. Alors que vous avez la possibilité, dès aujourd’hui, de contractualiser la moitié de vos dépenses locales, soit environ cent milliards d’euros, avec les régions et départements, sur la base de programmes internes de stabilité. Vous n’auriez qu’une grosse centaine d’entité avec qui négocier, soit trente fois moins que vos ODAC ! C’est ce que nous vous avons conseillé avec Martin Malvy, sans aucune suite. Trop simple sans doute. Si vous voulez vraiment et en priorité contenir la dépense, dites-le nous, nous saurons vous fabriquer des instruments sûrs et efficaces pour y parvenir. Ne supprimez pas, les départements, vos meilleurs alliés pour reprendre la maitrise de vos finances, notamment sociales.
Monsieur le Premier Ministre, les réformateurs sincères, les vrais économes des deniers publics, ceux qui ont fait leur preuve, ne sont pas ceux qui vous inventent une nouvelle France sur le modèle d’organisation de l’Ile de France. L’Ile de France n’est pas la France.
Paris n’est pas la France. – Puis, soyez prudent. Le Pays est fragile. Ne détruisez pas les repères des communautés humaines qui se reconnaissent, s’identifient, et fondent leur sentiment d’appartenance à partir du territoire départemental. Ce n’est pas parce que ce sentiment n’existe pas ou mal dans la région parisienne que vous devez en priver tous les Français, au moment où leur confiance est déjà profondément ébranlée. L’acharnement mis par vos administrations centrales à détruire ces structures territoriales tient à leur volonté re-centralisatrice. Les grandes régions leur conviennent à merveille car elles en feront leurs faux nez, les antennes de leurs organisations centrales. Les départements leur déplaisent car ils sont trop proches des citoyens.
Le Peuple gronde. Attention à la monarchie républicaine. – Mais au-delà de la dimension budgétaire, au-delà du réflexe de pouvoirs de vos administrations, il y a le Peuple qui gronde. Ecoutez-le. Paris et sa cohorte de noblesse administrative s’apparente de plus en plus à une sorte de monarchie républicaine. Elle tarde à mesurer l’immense exaspération partagée au plus profond du territoire national. Les citoyens refusent d’y être rétrogradés en sujets. Ils s’indignent que l’on puisse s’affranchir de leur histoire, de leur géographie notamment humaine. Les traces laissées sur leur sol par les générations précédentes constituent des repères sûrs de la mémoire locale et nationale. Les rapports entre le sol et l’homme sont empreints d’ancienneté, de continuité. Vidal de la Blache disait « la France oppose aux diversités qui l’assiègent et la pénètrent sa force d’assimilation. Elle transforme ce qu’elle reçoit » C’est notre rapport au territoire qui nous rassemble, nous fait partager nos habitudes et nous rend de moins en moins étrangers les uns aux autres.
Alors non! N’euthanasiez surtout pas les départements, comme disait Michelet à propos de la France, ce sont des personnes !
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