Un discours se propage : tous ceux qui n’applaudissent pas à la réforme territoriale sont d’affreux réactionnaires ! Douter de son bon sens serait un aveu d’esprit conservateur, rétif aux changements, attaché à un fief, voire à un supposé privilège.
Pourtant, nous sommes nombreux à penser que cette réforme territoriale et la réforme de l’Etat sont indissociables l’une de l’autre et qu’il est parfaitement insensé de vouloir les mener séparément. C’est donc tout naturellement que nous exprimons des propositions alternatives pour éviter les erreurs manifestes qui s’annoncent. C’est d’autant plus nécessaire qu’il a été déjà fait n’importe quoi au cours des années écoulées. Pour les Conseils généraux, trois modes de scrutin différents auront été en vigueur en trois ans, et la date des élections n’a cessé de changer, sans que nous puissions être surs, aujourd’hui, si lesdites élections se tiendront en mars ou en décembre prochain. A moins que cela ne soit en mars de l’année suivante.
S’agissant des régions, la mode du « big is beautiful », a frappé !!! Leurs territoires à l’histoire, la géographie, l’économie bien différentes se trouvent mariés d’office, selon des travaux préparatoires que la charité chrétienne oblige à qualifier « d’incertains » 😉 Où la plaisanterie devient dangereuse, c’est lorsqu’il s’agit d’en faire des échelons de démocratie. Prisonnier d’une application arithmétique du principe d’égalité devant le suffrage, le législateur se trouve alors contraint de supprimer toute représentation significative et effective du monde rural, dans ces nouveaux vastes ensembles régionaux. Les régions nouvelles nous sont présentées comme les responsables, aux côtés de l’inexpugnable Etat, du développement économique, de l’innovation et de l’internationalisation des entreprises. S’il s’agit du but recherché, pourquoi ne pas alors leur donner le statut d’EPCI ? Puisqu’elles ont vocation à réunir des espaces qui n’auront que l’économie en partage.
Leur conserver le statut de collectivité territoriale entraine des conséquences démocratiques ravageuses et curieusement sélectives. On assiste actuellement à une ingénierie sophistiquée de démocratie à la carte. Pourquoi par exemple la métropole du Grand Paris et celle de Marseille sont-elles des EPCI et pas celle de Lyon, qui est une collectivité à statut particulier ? Tout simplement parce que les conséquences électorales n’auraient pas été admises par les élus concernés. Les résistances qui ont fonctionné pour les métropoles semblent avoir été vaincues pour les régions. Curieuse démocratie !
Venons-en au milieu rural, en prenant l’exemple de l’Orne :
La loi en cours d’examen au Parlement portant fusion de régions et tentative (non assumée) de suppression des départements est pudiquement présentée comme porteuse de principes démocratiques, de nature à favoriser un meilleur contrôle du citoyen, en développant la participation et l’évaluation de l’action publique.
Sur un air de pipeau, il nous est chanté le bénéfice supposé pour la cohésion nationale et l’accès aux services publics dans les territoires fragilisés par la crise, et pour mieux lutter contre le sentiment de relégation d’un nombre grandissant de nos concitoyens.
Un menuet est offert en prime sur un nécessaire équilibre afin de préserver la diversité des territoires entre le fait urbain et la réalité rurale.
La berceuse se gâte lorsqu’il apparaît que les populations rurales vont perdre plus de la moitié de leur représentation démocratique dans ces nouveaux Conseils régionaux. Ainsi pour l’Orne, sa propre représentation au Conseil régional sera réduite de deux fois et demie.
Dans sa grande bienveillance, peut-être sa naïveté, le projet de loi se donne la peine généreusement de préciser que chaque département cependant disposera au moins d’un siège. A ce niveau, ce n’est plus de la démocratie mais de l’humiliation.
Il faut donc beaucoup de calme et de sang froid pour ne pas s’indigner lorsqu’on est accusé d’être rétif à ce type de réforme. Elle n’a de réforme que le nom ; pour le reste, il s’agit surtout de poudre aux yeux et de bouleversement territorial sans probable efficacité économique mais avec une seule certitude, celle d’une régression démocratique pour les citoyens. Pour ne pas dire la démocratie à l’envers.
On voudrait faire échouer toutes les réformes qu’on ne s’y prendrait pas autrement !
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