Une réforme est nécessaire. Les motifs invoqués sont fallacieux. Et les résultats seront désastreux.
Un motif en apparence sérieux, une analyse fausse, des solutions inappropriées.
Le seul motif à peu près sérieux invoqué pour justifier la réforme territoriale est la nécessité de maîtriser la dépense. Vertueuse intention. Le malheur est que les chiffres sur lesquels est menée la réflexion ne reflètent pas la réalité. Aucun constat partagé n’a été dressé, ni même tenté, à l’initiative des administrations centrales. L’image renvoyée par les comptes se révèle d’une rare infidélité. En effet, les collectivités territoriales, et notamment les départements, retracent dans leurs comptes des dépenses en augmentation constante alors qu’elles ne sont pas décidées par eux. La comptabilité est muette sur l’auteur réel de la prescription de la dépense, elle ne connait que le titulaire des comptes dans lesquels elle figure. C’est ainsi que la dérivée de plus de 30 milliards d’euros de dépenses sociales est imputée à une supposée mauvaise gestion des conseils généraux, alors qu’elle le reflet de l’absence de courage de l’Etat.
La commission européenne aveugle ou naïve.
La commission européenne s’est laissée convaincre que le problème résidait principalement dans un processus de décentralisation brouillon aboutissant à une distribution imparfaite des compétences. Et elle reprend l’antienne qui lui a été soufflée de doublons administratifs entre les collectivités. Mais les doublons ruineux pour le Pays sont ceux entre l’Etat et les collectivités et non entre les collectivités elles-mêmes, comme tous les esprits candides le croient. Quand le désordre budgétaire est aussi savamment organisé, il ne peut qu’entrainer une confusion propre à vicier tout jugement responsable.
L’insincérité budgétaire est un cancer pour les finances publiques.
Il est vraiment des principes vitaux sans lesquels une démocratie n’est plus digne de ce nom. Celui de sincérité budgétaire figure parmi les premiers. La lecture de l’avis rendu par la Commission européenne et le Conseil européen sur le programme de stabilité de la France, pour 2014, m’a pétrifié. Comment imaginer que l’absence de sincérité des relations financières entre l’Etat et les collectivités territoriales de la République puisse être ainsi ignorée ! L’Etat français est-il incapable en matière de transparence ou insincère ? La Commission en est-elle ignorante ou inconsciente ? Le Peuple français doit pouvoir être informé sur l’improvisation qui règne au sommet, au sujet des finances du Pays.
Les recommandations naïves de la Commission.
La Commission signifie les recommandations suivantes, reprises ici par extrait : « Une correction durable des déséquilibres budgétaires requiert la mise en œuvre crédible de réformes structurelles ambitieuses pour accroître la capacité d’ajustement … intensifier les efforts visant à obtenir des gains d’efficacité dans tous les sous-secteurs des administrations publiques, y compris par une redéfinition, le cas échéant, de la portée de l’action des pouvoirs publics … à fixer un calendrier clair pour le processus de décentralisation en cours et à prendre des mesures préliminaires, d’ici à décembre 2014, en vue d’éliminer les doublons administratifs, de faciliter les fusions entre les collectivités locales et de préciser les responsabilités de chacun des échelons des collectivités locales ; à fixer un plafond pour l’augmentation annuelle des recettes fiscales des collectivités locales tout en réduisant comme prévu les subventions octroyées par l’État ; à prendre des mesures pour, au-delà de la nécessité de réaliser des économies à court terme, contrer l’augmentation des dépenses publiques … »
La comptabilité n’éclaire en rien l’auteur réel de la dépense.
Aucune louable intention de cet énoncé ne me choque. Sauf qu’il n’est précisé nulle part que les Départements retracent dans leurs comptes pour 35 milliards d’euros de dépenses pour compte d’Etat, c’est-à-dire des dépenses intégralement décidées par l’Etat pour lesquelles les départements n’ont aucun pouvoir de modulation. L’ODAS qui un organisme indépendant vient de publier des chiffres éloquents.
L’Etat décide, les départements paient.
En 2013, la dépense nette d’action sociale décidée par l’Etat s’imputant dans les comptes des conseils généraux a augmenté de 3,6% pour s’établir à 33,6 milliards d’euros. La charge nette supportée par les départements s’est élevée à 25,9 milliards, en augmentation de 1,1 milliard par rapport à 2012. Ainsi, par exemple, la dépense nette du RSA est passée entre 2012 et 2013 de 7,2 à 7,9 milliards quand l’abondement de l’Etat baissait de 5,7 à 5,6 milliards. Les dépenses nettes liées à la protection de l’enfance se sont élevées à 6,9 milliards. Celles relatives au soutien à l’autonomie, en faveur des personnes âgées et handicapées ont atteint 11 milliards d’euros.
La Commission critique le payeur sur dénonciation du prescripteur : le monde à l’envers.
La Commission européenne qui recommande la maitrise des dépenses et qui souligne la nécessité de « préciser la responsabilité de chacun des échelons territoriaux » sait-elle que les dépenses dont il s’agit sont décidées par l’Etat ? Et qu’il ne sert à rien de stigmatiser les départements et menacer de les supprimer, puisqu’ils n’ont pas de pouvoirs pour les rationnaliser. Car c’est à ce stade que l’insincérité devient critique pour notre démocratie. Démocratie française, démocratie européenne.
Dix années de jeu de dupe. Puisque vous dites la vérité, vous serez exécutés !
Aucun ajustement, aucun assainissement n’est possible si le jeu de dupe consiste à demander des efforts à ceux qui n’ont aucun pouvoir sur les dépenses critiquées. Voilà 10 ans que les conseils généraux appellent à une clarification de cette situation, sans jamais obtenir la moindre réponse de personne. Ni de l’Etat, quels qu’aient été les gouvernements. Ni de l’Europe. Au fait, si ! Une réponse vient de leur être faite : « on va vous supprimer » ! La dépense sera-t-elle supprimée ? Il s’agit d’un débat entre 30 et 40 milliards d’euros. Cela pourrait justifier une petite enquête de la Commission, non ?
Ce serait au moins un moyen de soigner notre grave cancer des finances publiques.
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