Ce mercredi, il m’a été offert l’occasion d’évoquer, à L’ENA à Strasbourg, devant une promotion d’élèves français et étrangers, accédant au grade d’administrateur civil, l’urgente nécessité de relever le défi de réussir « le choc de simplification » indispensable pour rendre praticable notre appareil normatif. Je leur ai dit l’espoir que je plaçais en eux pour relever le niveau d’une culture juridique qui manque tant à nos administrations centrales.
J’espère les avoir convaincus que ce sujet de la simplification, dans les sociétés complexes, touche au plus concret de la vie en société entre les citoyens eux-mêmes, entre les administrations elles-mêmes, et enfin entre les administrations et les citoyens. Certes, ce thème est sujet à controverses. Je leur ai proposé de réfléchir ensemble et d’échanger autour de trois affirmations principales qui méritent d’être débattues.
1ere idée : L’Etat et la société ne doivent pas être confondus. L’Etat ne doit jamais oublier qu’il est dans une relation de « dominant » à « dominé » ou de « gouvernant » à « gouverné », avec les citoyens. Il doit donc accepter d’être soumis régulièrement à évaluation.
2ème idée : Les administrations centrales n’ont pas le monopole de l’intérêt général. D’autres administrations sociales, locales ou déconcentrées poursuivent, elles aussi, des objectifs d’intérêt général. Les administrations centrales n’ont pas une connaissance aussi fine de la réalité locale même si elles peuvent prétendre au monopole de l’Autorité.
3ème idée : Les administrations ont la responsabilité de produire des normes susceptibles de favoriser un fonctionnement optimal de notre société. Et non d’en complexifier les règles, sans bénéfice pour les citoyens. Or, la production excessive de normes aboutit souvent à l’inverse. Il faut trouver un juste équilibre entre 2 dérives principales possibles : soit le « laisser faire » qui aboutit à une insécurité générale, soit le « trop faire », c’est-à-dire vouloir tout régir par le menu détail. Ce qui est impossible sauf à supprimer les libertés, ou créer un blocage. Situation dans laquelle, à bien des égards, nous pouvons nous trouver aujourd’hui. La prolifération normative se révèle donc un cancer de notre droit !
A partir de là, j’ai développé les motifs pour lesquels, selon moi, la crise du droit pourrait devenir une menace pour la santé de notre démocratie. Nous avons recherché ensemble pourquoi et comment nous en sommes arrivés là. Constaté qu’il n’y avait pas lieu de perdre espoir, et enfin ouvert des pistes concrètes de solution.
Nos échanges ont été très précieux pour moi et je me réjouis des rencontres régulières avec de jeunes fonctionnaires plein d’enthousiasmes et éveillés à l’esprit de réforme.
Cette prolifération normative est liée à cette inflation législative, ce besoin des élus de plus en plus souvent détachés du terrain (effet négatif du non cumul des mandats) d’exister par l’amendement, le projet de Loi qui est le seul moyen que l’on parle d’eux.
Cette prolifération est aussi dûe à cette maladie des administrations centrales d’ajouter des articles pour essayer de prendre en compte toutes les situations possibles et imaginables (voire impossibles et inimaginables parfois) dans les parties réglementaires des trop nombreux codes qui régissent notre vie quotidienne.
À cette prolifération normative s’ajoute une disparition des fonctions de maîtrise d’ouvrage et de maîtrise d’œuvre de l’Etat, qui se réduit à sa fonction régalienne de contrôleur tatillon sans expérience de la mise en pratique. La décentralisation a supprimé les carrières des hauts fonctionnaires passant de l’administration centrale aux services déconcentrés, passant du régalien à l’opérationnel, passant du contrôleur au contrôlé…
Au delà des discours sur la simplification, sur la simplification normative, il faut apporter des solutions pratiques qui obligeront l’Etat à mettre en apllication cette impérieuse obligation de faire simple et moins coûteux.
Il faut sans doute alléger la réglementation, transcrire directement les directives européennes sans ajouter des dizaines d’articles complémentaires à ces directives dans les Lois mais plus prosaïquement, il faut obliger l’Etat à prendre en charge, ne serait ce que 5% de toutes les études, enquêtes, analyses qui sont imposées aux maîtres d’ouvrages avant toute autorisation, et ce coût financier conduira naturellement l’Etat impécunieux à limiter ses demandes à ce qui est vraiment utile et pertinent…