J’ai eu le privilège d’être invité hier au Club du Châtelet, dont je suis président d’honneur, devant une assemblée constituée de notaires, de juristes de droit privé et public, et d’hommes politiques (parmi lesquels Jacques Pélissard qui nous a fait l’honneur de sa présence).
L’introduction de Christian Bénasse, président de la Chambre des notaires de Paris, a rappelé que l’un des préceptes des notaires était que « la loi est celle que nous écrivons ». Cette conception, aujourd’hui trop oubliée, me semble pourtant le fondement d’une société plus prospère.
Devant cet auditoire d’une grande qualité, j’ai souligné que le constat était sans appel : l’inflation normative étouffe aujourd’hui toute initiative, notre compétitivité, et plus grave encore, notre démocratie.
Il faut sans doute voir dans notre pessimisme collectif un dérivé de ce phénomène, qui nous redonne l’impression de maîtriser notre destin. Mais il revient à déléguer notre vie à l’administration, car celui qui détient la plume, détient le pouvoir !
L’administration est d’autant plus encline à s’accaparer ces prérogatives qu’une méfiance historique l’agite envers tout contre-pouvoir. L’intempérance normative se traduit par un non-respect quasi quotidien de la hiérarchie des normes. Le prolongement de cette néfaste attitude amènera probablement certains à demander d’insérer dans la Constitution tout notre droit !
Si le constat que trop de lois tuent la loi fait aujourd’hui la quasi-unanimité, les solutions que je propose rencontreront probablement des résistances. En effet, il faut à la fois révolutionner notre culture administrative et revenir à un droit concis, cohérent, intelligible, comme nos textes fondateurs.
Le code civil, dans son article 1134 alinéa 1, est suffisamment explicite pour régler quantité de problèmes pour lesquels l’on se remet aujourd’hui à un texte réglementaire. Or, la coercition n’a plus l’efficacité d’antan, elle ne sert qu’à illusionner les pouvoirs publics sur leur faculté de modifier le cours des choses. Le droit est l’image de notre souverain. Quelle pâle figure il fait aujourd’hui !
Mettre fin aux sur-transpositions de textes européens, faciliter le recours à des normes négociées entre les acteurs plutôt qu’à des textes rigides, instaurer un principe de proportionnalité entre les moyens et les buts recherchés, définitivement sceller le principe de sécurité juridique, ou dépénaliser le domaine des normes sont autant de solutions immédiatement applicables.
Cependant, le changement doit être politique. Les lois ne doivent plus obéir au journal de 20h, mais au contraire s’inscrire dans la durée, grâce à une « clause de revoyure » qui permettrait de mesurer l’efficacité réelle des textes.
Il est temps d’apprendre à se faire confiance, à ne pas se reposer sans cesse sur l’autorité prétendument rassurante mais en réalité paternaliste de l’administration. Les administrations centrales doivent retrouver le sens de leur existence, celui de servir et non de dominer, celui d’ordonner et non de réglementer, celui de traduire en droit le message profond de la société et non pas de la paralyser. Il est, autrement dit, temps de transformer ces peurs en espoirs !
Dans ce registre, un cas d’école exemplaire impose une prise de conscience aujourd’hui : comment conjurer l’intempérance normative en matière de télécommunications pour libérer l’innovation ?
Je me permets à ce sujet de citer un propos récent de Nicolas Colin : « Si la mission des opérateurs est de déployer les infrastructures (donc se replier en amont de la chaîne de valeur), il faut qu’ils renoncent à leur présence en aval (où ils étouffent l’innovation) et qu’ils abandonnent à des opérateurs virtuels le lien privilégié avec le client. Une infrastructure n’a de valeur que si elle devient une plate-forme pour les innovateurs, y compris sur les services de télécommunications eux-mêmes ».
Aujourd’hui, cette intempérance normative précise a pour effet mais sans doute aussi pour but de préserver d’importantes rentes de situation. Elle masque très efficacement hélas, derrière un brouillard trompeur le droit à l’initiative que la force obligatoire des contrats pourrait conférer à un grand nombre d’acteurs que l’on s’acharne à maintenir hors-jeu, interdits d’investissement en somme quand l’aménagement numérique des territoires mériterait de ne se priver d’aucune source de financement.
Si seulement nous pouvions trouver ensemble les moyens de transmettre cette « bonne nouvelle », nous sortirions enfin des débats stériles ou caricaturaux du type « fibre VS montée en débit » qui ne portent que sur du quantitatif et ne nous mènent effectivement pas très avant sur le plan qualitatif.