Le Figaro Magazine d’hier donne la parole à des intellectuels face à la crise que traverse notre Pays, sur le thème « Comment faire bouger la France ». J’ai choisi de proposer aujourd’hui à votre lecture l’avis de Chantal Delsol qui est professeur de philosophie politique à l’université de Marne-la-Vallée. Son dernier ouvrage est : la Grande Méprise, Table ronde, 2004. Lisez son billet ci-dessous.

Nous sommes une démocratie, mais nous avons un nombre incroyable de privilégiés : peut-être la moitié du pays. Tous ces gens campent sur leurs positions, et le pouvoir en a peur. Nous aurions besoin d’une Nuit du 4 août. Et ces privilégiés possèdent un statut que les autres espèrent atteindre à leur tour. Si bien que nous assistons à ce paradoxe : ceux qui ne sont pas privilégiés tiennent aussi aux privilèges, car ils aimeraient en bénéficier, eux ou leurs enfants. Tout cela, sur un plan idéologique, est conforté par un fond de socialisme dont nous sommes imprégnés. J’entends mes étudiants dénoncer la remise en cause du moindre acquis comme s’il leur était demandé de retourner à l’âge de pierre ! Les libéraux et la droite n’osent pas parler, parce qu’on leur a confisqué la parole : le libéralisme est devenu l’ultralibéralisme et la défense de l’autorité de l’Etat est devenue du fascisme. Notre société baigne dans les concepts, mais quand les faits la rattrapent, elle ment pour ne pas regarder la réalité en face. Au fond, toute une classe ne supporte pas les effets de sa propre idéologie, mais la fait supporter aux autres.
Pour le CPE, le gouvernement a sans doute raison de ne pas céder, mais il aurait fallu préalablement plus et mieux communiquer. Au fond, il faudrait faire du «libéralisme explicatif». Il faudrait dire la vérité : avoir moins d’avantages sociaux, ce n’est pas une régression, c’est inéluctable en raison des changements du monde et de la société. La révolte que nous avons sous les yeux manifeste un étonnement désespéré devant ce constat. L’assumer, c’est évidemment encourir des risques politiques. C’est à se demander s’il ne vaudrait pas mieux avoir au pouvoir une gauche blairiste, capable de vraiment réformer, plutôt qu’une droite paralysée.