Le Figaro Magazine de ce jour donne la parole à des intellectuels face à la crise que traverse notre Pays, sur le thème « Comment faire bouger la France ». J’ai choisi de proposer à votre lecture l’avis d’Ezra Suleiman dont je vous ai déjà parlé et que j’admire beaucoup pour son intelligence, son attachement à la France et son souhait sincère de la voir progresser. Ezra Suleiman, est professeur de sciences politiques à l’université de Princeton. Il publie actuellement : le Démantèlement de l’Etat démocratique, au Seuil. Lisez son billet ci-dessous.
Il serait trop facile de parler de la France éternelle et de sa capacité à vaincre le poids de son histoire. Les dirigeants de ce pays adorent ce genre d’explication qui permet de se dédouaner de toute responsabilité. A plusieurs époques, la France a prouvé sa capacité à rebondir et à se transformer. Ni son histoire ni sa culture politique ne sont en cause. Ce pays est simplement sans vision ni stratégie. Et sa classe politique et syndicale, incapable de fournir un leadership doté d’un minimum de courage et de bon sens.
Où est le «parler vrai» tant admiré par les Français ? Les citoyens montrent leur exaspération parce qu’ils n’ont plus confiance dans leurs dirigeants. Historiquement, les Français ont tendance à se méfier de leurs voisins. Or, aujourd’hui, les dirigeants se méfient des citoyens : la société s’est confinée dans une méfiance généralisée. Paradoxalement, la confiance et la solidarité se trouvent uniquement dans le refus.
Le «non» au traité Constitutionnel – mesure d’importance capitale -, ainsi que la réaction contre le CPE – mesure assez modeste -, ont une chose en commun : un rejet massif, en rien contrebalancé par des propositions alternatives. Ces réactions négatives à répétition marquent l’incapacité des dirigeants politiques et syndicaux à avancer des projets réalistes, justes et efficaces, qui pourraient être négociés de part et d’autre. Cette culture de confrontation est aussi risible que l’affrontement de deux gamins dans une cours de récréation.
On peut se demander si la classe politique et syndicale dispose de la légitimité dont elle a besoin pour gouverner. Les sondages montrent que non. Les Français cherchent des solutions pragmatiques à leurs problèmes. Leurs dirigeants leur offrent sans cesse plus d’idéologie, d’illusions et de gestes bravaches.
Cette logique permet aux responsables politiques et syndicaux de protéger leurs propres intérêts et les intérêts de leurs institutions. D’un côté, des filières de formation d’une élite endogène, campant sur les avantages acquis grâce à la méritocratie scolaire, qui fait office de sésame tout au long de la vie, sans avoir à prouver quoi que ce soit d’autre. De l’autre, des bastions bureaucratiques où, là aussi, on fait carrière. Ce cynisme a engendré une société moins solidaire et plus divisée que dans d’autres pays.
Vive la démagogie ! La France est le seul pays à croire encore que la mondialisation est une conspiration contre la société idéale qu’elle incarne. Quel homme politique a eu le bon sens (sans parler de courage) d’expliquer que la mondialisation est une réalité qu’il faut affronter, et dont les jeunes Français, s’ils relevaient leurs manches, pourraient bénéficier ?
Cette situation est un vrai «gâchis». Ce pays risque de perdre ce qu’il a accompli avec tant de difficultés depuis deux siècles. Espérons que la France n’aura pas besoin, dans un avenir proche, d’un Marc Bloch ou d’un Ernest Renan pour analyser à nouveau une «étrange défaite» nécessitant une «réforme intellectuelle et morale». Rien n’est moins sûr. Ces intellectuels, en leur temps, avaient dénoncé la myopie et l’égoïsme des élites.
La conclusion de cet article fait froid dans ledos. Spécialement, la référence à "l’étrange défaite" de Marc Bloch.
En outre, il est vrai qu’aucun gouvernement n’a jamais pris acte de la mondialisation comme un fait et comme une chance pour la France. Et les Français ont plutôt perçu une "menace" pour leur "sécurité" plus qu’une "chance pour leur avenir". Dommage. Ezra Suleiman parle quant à lui de "gachis".
Excellente analyse.
J’ajouterai:une France coupée en trois,avec
1/ une caste de nantis, qui a le sommeil serein et réparateur, parce qu’assurée de son emploi à vie,issue en général de la Fonction publique,et qui peut se payer le luxe,grâce à la puissance de son intouchabilité,de remettre en cause à tout moment les fondements économiques et politiques de son pays,
2/ une horde de précaires mal payée, qui dort mal la nuit parce qu’elle enchaîne CDD,intérims,chômage de courte durée,RMI,CES,etc,…et qui rêve de rejoindre les nantis de la Fonction publique qui dorment du sommeil du Juste,
3/ une poignée d’"entrepreneurs" qui se réveille souvent la nuit en pensant au prochain contrôle fiscal,aux prud’hommes parfois,à la délocalisation souvent,et qui rêve d’une Amérique "à la Française",càd protégée par l’Etat,
et le tout traversé par un semblant d’égalité républicaine,où les nantis et planqués (souvent issus de l’intelligentsia de Gauche) mettent leurs enfants dans les bonnes écoles tout en tenant un discours marxisant sur les inégalités des chances !
Comment une telle société peut-elle fonctionner !
Pour répondre à hifi, si je peux me permettre, il y a aussi des profs, comme moi, qui croient que l’école, comme elle l’a été pour eux, peut permettre de gravir l’échelle sociale, et qui se battent, innovent, motivent leurs élèves les plus défavorisés et les autres pour qu’ils réussissent leur scolarité… Je ne dors pas toujours bien la nuit car enseigner est un métier stressant et dur, je ne dors pas toujours bien quand j’ai eu des classes agitées dans lesquelles il fallait faire régner de l’ordre, je ne dors pas bien quand je vois que malgré mes efforts, certains de mes élèves ont toujours des résultats très faibles et ne progressent pas car déjà démotivés en 5e ils ont arrêté de travailler…
Ces gens comme moi aimeraient aussi entendre parfois un discours plus positif autour de l’Education Nationale, pas uniquement celui de ‘nantis de la fonction publique’ et aimeraient sentir qu’à droite on les respecte aussi.
modeste française, j’ai dans mon entourage que des gens sensés et courageux. J’ai l’impression que ma Chère France est prise en otage par une poignée de gens "la Mafia de gauche". Mais que penser de ces sondages que nous assènent les médias. N’est-ce pas que mensonge ? Je doute de tout. Pourquoi la parole n’est donnée qu’aux anti CPE ? C’est par le Web que j’ai appris que UNEF avait perdu beaucoup d’élus aux élections des CROUS. Désolante situation, tous ces pertubateurs nous fatiguent et ne tiennent pas de propos sincères. Mais que fait la masse silencieuse dont je fais parti.
à kaikaikai,
il me semble qu’hifi est "entrepreneur" et vous avouez être prof.
Je note que Mr Hifi oppose les catégories sociales entre elles. Nous ne sommes pas loin de la lutte des classes.
Il y a trop de haine dans ces clivages.
Tous, même ceux de la catégorie à laquelle vous appartenez, travaillent pour aider les jeunes à forger leur avenir. Il est bien dommage qu’une partie de la richesse produite par nos entrepreneurs échappe à nos concitoyens et migre vers ces états (unis) modélisés et tant enviés.
Merci à vous de votre implication dans cette mission au service de tous
A Kaikaikai,
Interessante mise au point. Je fais pour ma part une distinction forte entre l’oganisation et le fonctionnement du service public et les fonctionnaires (pas seulement les enseignants) dont j’ai été avant de "transfuger" vers le privé.
Je n’hésite pas à fustiger l’archaisme du service public, son manque de productivité et à l’absence de régulation mais cela ne tient en rien à la qualité – bien réelle – de son personnel. C’est d’ailleurs cette qualité qui ne laisse penser que si notre modèle social prend l’eau de toute part, il a des atouts pour s’en sortir, à condition que chacun y mette du sien.
En tout cas, le fonctionnaire attendant bien au chaud que la journée se passe relève du même cliché infondé que celui de l’entrepreneur cupide qui planque son pognon aux USA (après, bien sur, avoir procédé à quelques licenciements).
Peut être que nous gagnerions parfois à nous écouter.
@kaikaikai
Vous ne pouvez pas mieux tomber…
Je suis enseignant,certes atypique,en ce sens que même pendant les longues grèves sous M.FERRY,j’ai continué,SEUL à assurer mes cours ,unique prof dans mon collège avec la Principale,qui au début du mouvement renvoyait mes élèves en espèrant que je cède au chantage du "collège fermé".
Et presque tous mes élèves étaient présents,certains parents m’ont même téléphoné pour excuser leur enfant qui subissait des pressions de la part de leurs camarades.
C’est long 6 semaines,seul,avec une Principale hostile,qui aurait aimé fermer l’établissement pour être à la pointe du combat syndicaliste !
Le MEN n’en a sûrement jamais rien su,je n’attends pas de médaille,mais j’assume mon choix moral et politique.
Je pense que le métier d’enseignant est devenu un des métiers le plus contraignant de la Fonction publique.J’estime qu’1 heure d’enseignement vaut largement 3 heures ailleurs.
Je pense que les enseignants sont des utopistes et qu’ils ont raté le coche des retraites en ne faisant pas valoir l’extrème pénibilité du métier.J’ai de plus en plus de collègues qui me confient qu’ils doivent se reposer en rentrant du travail.Moi-même,bien qu’apprécié de mes élèves, je me rends compte que mes soirées sont de moins en moins actives.
Si je compare mon métier de fonctionnaire avec celui de mes enfants en CDD et de mon frère qui exerce une profession libérale,mon sommeil est serein,car je sais,sauf faute professionnelle très grave,qu’on ne me mettra pas à la porte.
C’est en ce sens que je me sens "privilégié" et que je n’ai pas le droit, par rapport aux autres métiers précaires,de faire grève.
Et j’ai honte pour les autres corps de la Fonction publique qui défilent depuis des années et qui,eux, sont de vrais privilégiés…
Cordialement
@hifi
Plutôt que de critiquer des personnes je vois d’avantage le poids bureaucratique d’une "vieille maison" qui est à l’image même de la France, c’est symptomatique, soit dans cette incapacité chronique à l’adaptation. Et puis franchement sachez que c’est surtout en haut, au niveau de l’administration centrale qu’il y a un gros probléme : avez-vous remarqué l’age moyen des IG par exemple et cette défiance chronique rien que de "jeunes quadra" dans l’accession aux postes à hautes responsabilités? S’il existe bien un probléme générationel, c’est bien dans l’EN tout compte fait, et cela compte aussi. La France ne renouvelle pas assez son personnel politique et administratif : remarquez par exemple comment très habilement la LCR propulse le visage poupin d’un Besancenot, qui avec de vieilles idées, semble beaucoup plus identifiable et en phase avec bon nombre de jeunes et cela compte aussi. On se révolte contre papa mais beaucoup moins contre ses copains pour dire vite …IL faut intégrer les us et les coutumes, les codes pour pouvoir être entendu, tout simplement et en commençant par là. Bien entendu Monsieur Lambert est bien plus jeune dans l’esprit que bien d’autres jeunes, mais nous devons faire tout de même ne pas négliger cet aspect des choses.
@philippe
Au contraire, la France renouvelle TROP son personnel, et notamment son personnel dirigeant.
Le privé fonctionne avec un système où chaque chef reste en place longtemps, par contre les limites de son domaine bougent en fonction de ses succès et de ses échecs.
Le public fonctionne dans un système où les domaines sont figés, insensibles aux compétences, aux succès et aux échecs, et où tous le jeu consiste à se servir d’un poste comme tremplin vers le suivent, plus haut. Seul un travail de courtisan est efficace.
Cela influe directement sur la mentalité et les résultats.
@Pascal
Concernant l’Education Nationale et au niveau de l’administration centrale, certainement pas. Se sont les mêmes personnes qui préparent les programmes pédagogiques depuis plus de 30 ans pour certains (Luc Ferry n’est pas un homme neuf par exemple). D’ailleurs c’est un phénomène bien connu et qui irrite pas mal de "jeunes" désireux d’accéder à des postes à responsabilités et systématiquement recalés. L’Education Nationale est une "vieille maison" avec un cénacle d’indétronables soit une centaine de personnes qui survivent à toutes les alternances politiques et quelques soient les résultats. Il est à noter d’ailleurs que l’EN refuse de se soulettre aux évaluations qualitiatives internationales.
@ Pascal et @ hifi
le grève toute déplorable quelle soit aura eu un bon côté
elle montre que l’on peut arréter les cours sans réelle répercussion néfaste !
avec internet et les autres supports inter-actifs il y a maintenant
bien d’AUTRES façons d’apprendre
bien souvent plus CREATIVES et PRODUCTIVES
que le cours dit "magistal" qui est en fait
une forme très ACHAIQUE de transmission du savoir…
a part quelques exeption talentueuses et RARE les cours en ligne
sont aujourd’hui MEILLEURS que ceux "rabachés" par le professeur "moyen" !