Un point de vue publié hier dans les Echos mérite d’être lu. Il émane d’Eric Gérard, créateur d’entreprise, directeur général d’une société de conseil en investissement, lequel a embauché au cours de sa carrière plus de 350 jeunes chez Camaïeu et Carrefour Voyages. Le voici. Ne manquez pas de réagir, le sujet ne manque pas d’actualité !

Le chef d’entreprise, surtout d’une très petite entreprise (TPE), hésite longuement avant d’embaucher, calcule son risque, le chiffre d’affaires additionnel qu’il doit atteindre pour financer un contrat supplémentaire. Et, le plus souvent, il emploie un effectif très restreint – entre 0 et 5 personnes.

L’entrepreneur qui prend le pari d’une nouvelle embauche va donc, dans 90 % des cas, « soigner » son recrutement, prendre le temps de former son nouvel embauché. Il va vivre au quotidien ce nouveau challenge économique avec le jeune titulaire d’un contrat première embauche (CPE). Un lien « d’affectio societatis » va se créer entre eux. Son intérêt bien compris est de faire réussir le jeune à atteindre son chiffre d’affaires « équilibre » : formation, contact au quotidien, café en commun, effort, motivation, objectifs, encouragements, recadrage… seront ses leitmotivs évidents pour réussir.

Les opposants au CPE (qui ont souvent peu embauché ou dirigé d’entreprise de leur vie) imaginent toujours que le patron de PME est comme le PDG d’une multinationale dans sa tour d’ivoire. Dans le cadre d’un CPE, ce ne sera majoritairement pas le cas. Le chef d’une TPE ou d’une PME – tout le monde l’imagine bien – est sur tous les fronts et naturellement proche de son équipe s’il veut faire réussir son entreprise.

Si ce challenge de chiffre d’affaires « équilibre » entre lui et son nouvel embauché est atteint, pourquoi voudrait-on qu’il se « débarrasse du jeune » en fin de deuxième année ? Quand l’on sait le temps qu’il lui faut pour bien recruter (3 mois), bien former (3 mois) et le temps pour que le jeune donne tout son potentiel (à nouveau 6 mois). Il faudrait vraiment être inefficace, voire « maso » (peut-être 10 % des cas ?), pour n’avoir comme seul objectif que de repartir de zéro tous les deux ans avec un nouveau CPE quand l’on sait qu’un recrutement réussi ne porte ses fruits qu’en moyenne seulement un an après l’embauche.

Outre qu’il donne droit à formation et indemnités (ce qui n’est pas le cas d’un stage, d’un CDD ou d’un intérim), on s’aperçoit que le CPE se classe en bonne position sur « l’échelle de flexibilité du travail » : le stage non rémunéré, c’est moins bien que le stage rémunéré, le stage rémunéré que le CDD, le CDD que l’intérim, l’intérim que le CPE, le CPE que le CDI confirmé.

C’est bien l’histoire du verre à moitié vide ou du verre à moitié plein. La période de probation de deux ans qui, certes, peut sembler longue pourra être écourtée si nécessaire comme l’a déclaré récemment le Premier ministre à neuf directeurs des ressources humaines de grands groupes français.

Je suis surpris de voir que très peu d’entrepreneurs prennent la parole sur le sujet. Encore récemment, à la télévision, sur le plateau de l’émission France Europe Express (France 3) consacrée à la création d’emplois, il n’y avait pas un seul entrepreneur présent pour témoigner de la réalité du processus de recrutement et du challenge qui en découle. Il faudra certes à moyen terme se diriger vers le « contrat unique progressif », où chaque partie connaît parfaitement ses droits et obligations de départ (durée de préavis, indemnités en fonction de l’ancienneté…). C’est-à-dire se caler sur le principe du contrat d’assurance proche de la fameuse « fléxi sécurité » scandinave. Mais, en attendant, ne manquons pas cette expérimentation innovante qui devrait contribuer à résorber partiellement le chômage et la précarité actuelle des jeunes peu qualifiés : le taux de chômage des jeunes est de 23 %, et il leur faut de 8 à 11 ans en moyenne pour trouver un CDI !

Eric Gérard.