Je connais personnellement Ezra Suleiman depuis quelques semaines. C’est mon ami. Je connaissais son existence depuis plus de 15ans. Il écrivit un livre à l’époque sur les « notaires ». Ceux-ci lui en voulurent beaucoup. Simplement, il précédait les esprits d’une décennie. S’agissant de l’économie et de la France, c’est aujourd’hui la même chose. Il a donné vendredi dernier 10 mars une interview dans le Figaro sur le climat social français qui mérite une lecture attentive tant elle décrit les maux dont nous souffrons et dont il nous faut nous guérir vite. L’ITW s’intitule « La France, pays de l’antilibéralisme spontané ». Il aurait pu dire primaire. Spontané ou primaire, en l’espèce, c’est la même chose.

Il traite des contrats CPE et CNE en rappelant que ce ne sont pas ces contrats qui risquent d’installer la précarité puisqu’elle est là, bien présente. Il s’inquiète que « l’étalon de la sécurité de l’emploi en France soit la fonction publique » qui offre un contrat à vie. Il nous révèle que « notre approche plonge nos voisins et amis dans un mélange de stupeur et d’amusement ». S’agissant des jeunes, il insiste pour rappeler une vérité pourtant évidente que « dans un monde aussi compétitif que le nôtre, être dans le circuit du travail est toujours préférable au chômage ». Pour lui une des facettes de l’exception française est « que l’Etat n’a pas encore cessé de jouer un rôle prépondérant dans le façonnement de la vie économique, ce qui va de pair avec le record mondial du nombre de fonctionnaires ». Comment peut-il, dès lors, se porter garant d’une exigence irréaliste « qui ne se manifeste dans aucun pays : échapper à la précarité ».
Il ose rappeler que « la bonne gouvernance suppose de tendre vers un Etat minimal ou tout au moins diminué, sans faire pour autant le lit à la jungle du marché ». Comme les pays nordiques, pourquoi ne pas faire en sorte que « la cure d’amaigrissement de l’Etat augmente ses performances et fasse baisser le chômage ?». Il s’étonne « qu’en France la diabolisation soit instinctive, que l’antilibéralisme soit spontané. Que le beau mot de libéral soit presque devenu une insulte ! » Que contre toute évidence, « la France cherche à se persuader qu’une redistribution serait possible sans création préalable de richesse ».
Selon lui, si la France rechigne aux réformes, c’est parce que toutes les réformes contredisent les évolutions rendues nécessaires par la mondialisation. Comment a-t-on pu « cultiver l’idée que le travail était, au fond, accessoire ? » Il prend l’exemple des 35 heures qui ont marqué un tournant, en consacrant le triomphe d’une conception « dickensienne » du travail. Sur les controverses politiques, il regrette que « ce sont toujours ceux que la gauche prétend défendre qui en font frais. Malgré ses discours généreux, la gauche trompe ses propres électeurs ». Ailleurs la gauche a systématiquement été attirée vers des positions centristes grâce à l’existence d’une droite affichant un libéralisme décomplexé. En France « les socialistes font la course à l’échalote vers l’ultragauche ou vers les gauches dures ». A droite, « les solutions teintées de radical socialisme du chiraquisme ne font pas un contrepoids sérieux à cet antilibéralisme hégémonique ». Le résultat, ce sont « des demi-mesures pusillanimes de la droite, c’est l’irréalisme dans lequel la France s’enferme, en rendant caduc son modèle social, lequel est fondé sur des inégalités criantes et de la dépense publique ruineuse. Il pose enfin la question « à quand l’avènement, en France, d’une gauche mais aussi d’une droite modernes ? ». Il ne cède pas au pessimisme car « la France a toujours préféré souffrir avant de se ressaisir et de rebondir ». Elle n’est jamais si grande en effet que lorsqu’elle roule vers l’abîme. Le moment est cependant venu.

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