Dans un récent billet, j’expliquais que la taxation du capital ne pouvait être la panacée pour régler les déficits publics. Une des raisons tient dans le fait que les prélèvements obligatoires se composent de 2 éléments clairement distincts : les impôts, dus par tous, et les cotisations sociales, qui sont (en principe) des assurances et donc ne doivent être payés que par les assurés, c’est-à-dire par ceux qui bénéficient des prestations. Il existe en Europe 2 conceptions dominantes de la protection sociale. Celle qu’a retenue la France conduit à rendre difficile l’imposition du capital pour les retraites. Même si les régimes spéciaux de retraites démontrent qu’entre les principes et la réalité, il peut exister une marge !
Comment organiser la protection sociale, dont l’objectif est d’offrir une assurance contre les aléas de la vie : vieillesse, maladie, chômage … ? Colbert en 1760 est déjà confronté à la question, qui crée « l’Etablissement national de la marine » chargé de s’occuper des vieux marins. En 1853, ce sont les pensions des fonctionnaires qui apparaissent … Et en 1945 : la généralisation en France de la « sécurité sociale ». Cette « sécurité sociale » a 2 inventeurs : Bismarck – celui de la « guerre de 70 » – et l’anglais Beveridge. Bismarck institutionnalise dans son pays une assurance maladie et vieillesse obligatoire dès 1883. Elle repose sur une base professionnelle, c’est-à-dire que les droits sont ouverts dès que le bénéficiaire dispose d’un emploi. C’est une différence majeure avec l’idée présentée pendant la Deuxième Guerre Mondiale par Lord Beveridge, qui conçoit une protection sociale généralisée à tous – sans lien avec la profession – et financée par l’impôt.
Le système français est en 1945 franchement « bismarckien ». Il faut avoir un emploi pour bénéficier de la protection sociale. Il est même tellement assis sur la distinction professionnelle qu’on aura plusieurs systèmes de sécurité sociale qui coexistent toujours : à coté de la « Caisse d’Assurance maladie », on a la « Mutualité Sociale Agricole », sans compter le régime particulier des cheminots … Ceci dit, cette organisation s’est depuis profondément « beveridgée » (qu’on me pardonne ce néologisme …) et tous les Français ou presque bénéficient de la Sécurité Sociale. Caractéristique d’un système bismarckien : « pas de cotisation, pas de droits ». C’est pour cette raison que les revenus du capital ne sont pas imposés en France, puisque seul le travail ouvre des droits. Ceci dit, aujourd’hui, l’ensemble de la population – ou quasiment – bénéficie de la « sécu » pour la santé ; il est alors parfaitement concevable de taxer les revenus du capital, ce qui reviendrait à fiscaliser les cotisations sociales (c’est-à-dire les percevoir par l’impôt). Ceci dit, c’est déjà un peu le cas : les revenus du capital subissent des prélèvements au titre du remboursement de la dette sociale (qui sont des dépenses de sécurité sociale financées par emprunt), ou du moins une partie d’entre eux. En effet, pour exemple, les intérêts du livret A – qui sont des revenus du capital – en sont (pour le moment ?) exonérés. En revanche, les systèmes de retraites français sont restés profondément bismarckiens. La retraite n’est acquise que par les cotisations prélevées à l’occasion de l’exercice d’une profession. Et c’est bien pourquoi il n’est guère concevable de faire payer le capital, sauf à admettre l’acquisition de nouveaux droits de retraites par ceux ainsi taxés.
Quel est le dispositif le plus efficace ? Il est évident que le système bismarckien présente des « trous dans la raquette » et c’est d’ailleurs cette lacune qui a conduit l’évolution sensible de l’assurance maladie en France. Il reste que le dispositif anglais s’est montré au final que moyennement efficace. En effet, la Grande Bretagne a créé en 1946 un « National Health Service », qui bénéficie du monopole de la gratuité de la santé. Et c’est bien là, le souci ! Qui dit « monopole » dit « faible régulation » (la régulation étant la capacité à rectifier les dysfonctionnements). Cette médecine publique a provoqué de solides dérapages : longueurs des délais pour les soins, pas de choix du praticien, explosion des coûts … On a vu ainsi apparaitre en parallèle une médecine privée, financée par des assurances privées. Bref, le choix d’une « santé fonctionnarisée », reposant sur le dogme contestable d’un « service public spontanément au service de l’intérêt général » a abouti à une « médecine à 2 vitesses ». Ceci dit, plus que les choix de principes, ce sont les déclinaisons qui, reflétant les philosophies dominantes, menacent la protection sociale. La France est en un exemple. Le malthusianisme transparait au travers la quasi absence d’évolution des systèmes de retraite qui n’ont pas évolué comme la démographie et l’état sanitaire de la population. En passant d’une logique d’assurance à une logique de rente, ils sont devenus une charge croissante – et surtout de plus en plus lourde – sans contrepartie, c’est-à-dire, sans création de richesse pour la collectivité. Dans un pays où les prélèvements sont déjà parmi les plus elevés du monde, l’accroissement de la dette publique a pu être un moyen depuis 35 ans d’en contenir les conséquences sociales. A l’heure où on découvre que les Etats sont faillibles, des choix sont donc à faire : l’absence de performance du secteur public et de reforme profonde des retraites se fera (et a déjà commencé de se faire) en sacrifiant l’avenir : moindres remboursements de santé, moindres investissements, physiques ou intellectuels (les étudiants se verront bientôt restreints sur l’APL) et générations à venir saignées à blanc ! A terme, c’est l’avenir même de la protection sociale qui est posé. Dernière question : les régimes spéciaux de retraite sont ils d’inspiration bismarckienne ? Certes, ils ressemblent à des régimes par répartition attachés à l’exercice d’une profession. Cependant comparons leurs coûts : pour les retraites, les charges dites « patronales » du régime général sont de 15 % ; celles du régime des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers sont de plus de 27 %, celles des fonctionnaires d’Etat, de 50 % et même de 100 % pour les pensions militaires ! Bref ! De tels montants démontrent que dans la réalité, les régimes spéciaux sont financés par les contribuables, lesquels vont en faire la douloureuse expérience dans les années à venir : les très forts départs en retraites dans les fonctions publiques hospitalières et surtout territoriales vont se traduire une augmentation notable des charges « patronales » donc des cotisations sociales et des impôts locaux. Ceux qui financent les régimes spéciaux – les contribuables – ne sont donc pas ceux qui en bénéficient ! Les régimes spéciaux ne sont donc ni bismarckien ni a fortiori beveridgien, mais relèvent bien plutôt à la fois d’une permanence historique, en décalage avec la réalité économique et sociale d’aujourd’hui, et pour les monopoles ou ce qui en fut, d’un usage d’une position dominante, sans régulation. Face à de moindres possibilités de recours à la dette publique, la collectivité va désormais constater une relation entre le coût des retraites et un niveau de vie se stagnant, voire se réduisant. En fait, ce qui menace véritablement l’avenir de la protection so
ciale, c’est l’avidité.
A.B. Galiani
Pourquoi se torturer l’esprit avec un système aussi illisible et abracadabrantesque que le système français ? Il suffit d’appliquer la loi, qui dit que le monopole de la sinistre SS est aboli. Des milliers de personnes ont déjà quitté la SS, des centaines de milliers si on compte les travailleurs frontaliers et les expatriés.
Au fait, l’origine de la SS est davantage 1940 que 1945, avec l’ « allocation aux vieux travailleurs salariés » de Pétain, après confiscation par le même Pétain des fonds des caisses vieillesse privées (la spoliation étatique, on connaît bien ça en France).
Moi j’ai choisi l’expatriation vers un pays qui ne connaît ni Beveridge ni Bismarck, pour éviter de couler avec le paquebot !
Et après avoir lu tout çà, quelle est la solution ?
Se tirer une balle ?
2 commentaires, 2 recherches de solution !
Partir ? Mon appréhension est qu’effectivement, la « fuite » ne tente les générations à venir et les plus qualifiés parmi elles ! L’écart de revenu par habitant deviendra considérable entre les pays qui auront réformé leur système de retraite et restaurer la performance de leur administration et ceux qui se seront refusés à le faire.
Se tirer une balle ? Le vrai risque, c’est que face aux blocages des groupes de pression , qui n’entendent pas lacher un iota de leur main mise, on voit monter une contestation radicale de la « protection sociale »… J’observe qu’aujourd’hui, il est plus facile de jeter de la boue à un ministre sur la base d’extraits tronqués d’enregistrements illégaux, que d’échanger sereinement en prenant en compte également les interets des générations à venir.
Ma « balle » était une boutade.
Juste histoire de détendre un peu l’atmosphère.
Quant à à ce malheureux ministre, couvert de boue, dont je ne vois pas bien ce qu’il vient faire ici, de qui s’agit-il ?
Jamais entendu parler.
En France l’état est en situation de faillite ainsi que les collectivités territoriales et les «régimes sociaux».
L’endettement opérationnel: entreprises et particuliers et très en dessous du nominal public.
L’assainissement de la situation est inéluctable, le grand perdant sera l’illusion sociale républicaine et ses commensaux.
La société civile se reconstruira en évacuant les dettes dont elle n’a pas à répondre.
Les plus démunis ne verront pas la différence.
Les grands perdants seront les clients de l’ancien état, le nouveau fera table rase des engagements l’ancien.
La résurgence du phénomène du 4 août touchera d’autres cibles de privilèges.
Monsieur A.B. Galiani
Il faudra bien que le monsieur «Ministre» s’explique en détail, ne serait ce que sur les attributions de «légions d’honneur».
Un consommateur qui achète une voiture Peugeot finance par son achat la caisse de retraite de ses concitoyens. S’il achète une coréenne, il ne contribue pas ou très peu.
La solution au problème que vous soulevez ne serait-elle pas de faire financer en partie les retraites par une augmentation de TVA ?
Mesure qui n’est nullement contradictoire avec une unification progressive des différents régimes.
A Jean Louis S et Dominique R. : mon regret, c’est que personne ne veut évoquer les conséquences réelles, et tous les moyens sont bons pour éluder le débat. La réalité, c’est que les retraites représentent plusieurs années d’endettement (implicite ! – j’ai écris un billet sur ce sujet il y a quelques années) ; imaginez l’ardoise que cela va representer pour les générations à venir, qui devra rembourser la dette explicite (à 0,8 ou 0,9 année de PIB, on la juge déjà trop importante), payer les retraites (à des personnes dont les plus jeunes seront parfaitement aptes à travailler) et financer une fonction publique qui malgré les discours continue de croître …
« La retraite n’est acquise que par les cotisations prélevées à l’occasion de l’exercice d’une profession. »
En êtes-vous bien certain ?
Il existe en France une allocation qui s’appelle le minimum vieillesse. Ainsi celui qui n’a travaillé qu’un peu durant sa vie touche autant ou presque que celui qui n’a pas travaillé du tout !
Ce minimum, offert par la collectivité à ceux qui n’ont pas travaillé devrait logiquement être financé par une cotisation payée par tous : la TVA.
Et par souci d’équité, tout le monde devrait toucher ce minimum. Les caisses de retraite verraient leurs charges diminuer et viendraient apporter des compléments à ce minimum.
Bien vu, Hervé ! Ce « détail » m’avait échappé. Il y avait également à une époqué un « Fonds de Solidarité Vieillesse » dont le but était de garantir aux retraités un minimun pour vivre. On retrouve donc au travers cet exemple les « trous dans la raquette ». c’est bien l’exercice de la profession qui va déterminer le montant de la pension de retraite (modalités et montant) mais il existe un garde-fou.
Que la retraite des fonctionnaires soit payée par les contribuables ne me semble guère contestable. Que le système ne soit pas « corporatiste » (i.e. financé par les fonctionnaires) me semble relever de la simple convention : il suffirait de créer une caisse pour les fonctionnaires – sans même changer leurs droits – alimentée par une cotisation prélevée sur leurs salaires pour que le système le devienne.
Et si l’on établissait pour ces cotisations un niveau tel que ni le niveau de retraite, ni le salaire net ne soient modifiés, on aurait une solution équivalente à celle actuelle. Financée par les fonctionnaires sur leur salaire, à destination des fonctionnaires. Fin d’une « anomalie », retour au système Bismarckien et… impact nul sur les finances publiques : le salaire des fonctionnaires est payé par les contribuables, non ? Donc leur retraite aussi, en système bismarckien…
Tous nos systèmes de retraite, en France, en Europe, ont trois composantes, l’une « beveridgienne », basée sur la solidarité, l’autre « bismarckienne », assurantielle, payée par les cotisants sur des régimes « corpo » ou unifiés, l’autre individuelle, de type épargne/capitalisation…
entre les systèmes assurantiels les déséquilibres démographiques se traduisent par des transferts financiers, parfois compliqués à caclculer: il eut mieux valu un systéme national unifié, une « sécu de la retraite », plutôt que ces caisses vaguement concurrentes, souvent égoïstes, et toujours jalouses de leurs prérogatives…