De façon régulière, je suis amené devant différents publics à présenter l’évolution de la dette publique et ses conséquences sur la vie économique. Voici, en 2 billets, quelques unes des remarques (en italique) qui me sont les plus fréquemment objectées. Et bien sur, les réponses qui sont données. Voici le 2eme billet.
La dette de l’Etat admet une contrepartie détenue par les agents économiques et les deux s’annulent
C’est vrai et c’est faux à la fois.
C’est vrai, puisque lorsque l’Etat emprunte, le prêteur détient une créance d’une valeur identique : soit un contrat de crédit bancaire lorsque le prêt est obtenu par création monétaire, soit un titre représentant une mobilisation d’épargne disponible.
Mais ces contreparties de prêts sont assorties de risque qui altèrent leur valeur réelle.
Ainsi, la création monétaire débridée conduit à l’inflation, laquelle réduit la valeur des créances. Avec une inflation de 5%, la perte atteint 40% en 10 ans ; avec une inflation de 10%, elle dépasse 60%. Les interets servis sont très souvent une piètre consolation et on comprend que par le passé, cette forme de remboursement ait été prisée par les gouvernements.
Lorsque la dette de l’Etat est financée par l’épargne, on considère que la prime de risque est nulle. C’est exact lorsque cette dette est maintenue à des niveaux acceptables. Mais qu’apparaisse le moindre doute sur la solvabilité de l’Etat emprunteur et la valeur des titres s’en ressent. Ainsi, fin décembre 2009, le taux d’interet des titres d’Etat grecs a pris 2 % en plus, ce qui signifie 1) que l’Etat grec emprunte plus cher 2) que ceux qui détenaient des titres antérieurement acquis ont des créances dévalorisées, c’est à dire qu’elles ont perdus de la valeur en raison d’un risque de non remboursement accrus.
Ce risque de non remboursement est fonction de 2 critères : – l’importance de la dette publique : il est clair qu’il est plus facile de faire face à une dette modeste qu’à un endettement massif ; – l’objet du financement : le risque de défaillance est plus élevé quand un Etat finance du fonctionnement et non de l’investissement.
Au final, il ne faut pas croire qu’on peut financer indéfiniment du déficit par de l’emprunt. Ce n’est possible tant que les préteurs pensent qu’ils seront remboursés. Autant dire que notre conception actuelle du fonctionnement de l’Etat, du secteur public et de la protection sociale va à un moment ou un autre atteindre ses limites.
Ce sont ceux qui détiennent qui subissent, par inflation ou par défaillance, ces mécanismes discrets de remboursement. Et ce sont bien les générations à venir qui, recevant en héritage un patrimoine illusoire fait de titres se dévalorisant, assureront de fait le financement des actuels déficits.
Il reste enfin que l’intérêt d’un déficit public est de stimuler la consommation. C’est un des piliers de l’analyse keynésienne. A la condition que le financement du déficit ne pénalise pas d’autres pans de la demande. Aussi, l’Etat français va-t-il massivement emprunter à l’étranger : plus des 2/3 de la dette de l’Etat.
Aujourd’hui, dans son cas, l’alternative est simple : soit il modère ces mécanismes d’altération ; soit il se condamne à perdre à un moment ou à un autre sa capacité d’emprunter. Pour le moment, la modestie des réformes notamment du secteur public et des systèmes de retraite tout comme l’évolution même du nombre de fonctionnaires (qui, en 30 ans, a cru 2 fois plus vite que la population active) laissent craindre un réveil brutal.
La dette publique n’est pas la dette de la France : d’éventuelles difficultés de l’Etat à rembourser sa dette n’aurait pas d’effets sur les agents économiques
C’est vrai que la dette de l’Etat ne représente qu’une partie de la dette publique (80% quand même, le reste étant constitué par les dettes des collectivités locales et de la sécurité sociale). Et l’Etat n’est pas la France. Ceci dit, il y a une extrême imbrication entre tous les acteurs. L’exemple le plus marquant est donné par la très récente crise financière : pour stimuler la demande, les Etats ont poussé à l’endettement massif de l’ensemble des acteurs économiques et l’insolvabilité de quelques uns d’entre eux a conduit à la crise bancaire de 2007.
Maintenant, imaginons un Etat très endetté face au doute des prêteurs. S’il prétend maintenir son mode de fonctionnement, la prime de risque demandée par les investisseurs sera de plus en plus élevée, jusqu’au moment où il lui sera même impossible d’emprunter. Alors que se passera-t-il ?
Il a besoin d’argent et ce, très vite. Il a 2 voies de recours : – il emprunte auprès des banques par création monétaire ; le système bancaire se retrouve alors face à des créances de mauvaise qualité, à fort risque. ; en application de la règlementation bancaire, elles doivent y affecter une plus grande fraction de fonds propres donc moins prêter aux autres agents économiques ; – il augmente les impôts, avec 2 conséquences : les ménages, ainsi appauvris consomment moins, et vont même se trouver en situation de surendettement provoquant une crise bancaire (c’est une situation assez proche de celle rencontrée en 2007) ; la réduction de la profitabilité attendue des investissements, aggravée par la chute de la consommation, induit une baisse forte de l’investissement ; le chômage alors explose fortement.
Une telle situation peut conduire très vite à un effondrement du pays, comme l’a démontré l’Argentine. C’est également parce que l’impôt exerce un effet déflationniste qu’il est illusoire de croire qu’une augmentation de la pression fiscale réglera la question des déficits publics, surtout quand (en période normale en tout cas) les prélèvements obligatoires et autres recettes publiques non fiscales absorbent déjà près de 60 % du produit intérieur net.
La charge d’intérêt n’est qu’un transfert de revenu vers d’autres agents ; c’est donc un jeu à somme nulle. Non. L’Etat se finançant massivement à l’étranger verse donc massivement les intérêts à l’étranger. Certes, une partie de la dette est financée par des investisseurs français. Elle a un rôle contre-redistributif, puisque ce sont les impôts de tous les Français qui servent à rémunérer l’épargne de quelques uns. Mais qu’on ne se trompe pas de responsables ! C’est bien le comportement de l’Etat qui est à mettre en cause.
(à suivre)
D’accord dans l’ensemble. Sauf que si la dette de l’État est aussi élevée, c’est aussi parce qu’il a repris une grande partie de la dette de la Sécu avec la CADESS (que l’on rembourse en partie avec la CSG et de CRDS d’ailleurs).
Je ne suis pas d’accord pour dire que c’est le comportement de l’État (seul) qu’il faut remettre en cause pour plusieurs raisons:
1) La dette n’est pas uniquement le fait de l’État mais aussi des collectivités territoriales et de la Sécu, c’est donc le comportement de l’ensemble de ces acteurs qu’il faut remettre en cause.
2) Alors que l’État cherche à faire baisser le nombre de ces fonctionnaire (ou du moins à en limiter l’augmentation), le nombre de fonctionnaires territoriaux a explosé (voir le rapport de la Cour des comptes sur le sujet) et pour justifier cela, ils se cachent derrière les transferts de compétence. Je veux bien accepter cet argument à condition que l’on m’explique pour quelle raison il subsiste des fonctionnaires communaux dans les domaines confiés aux EPCI et pourquoi les collectivités locales (loin d’être sous-administrées à mon sens) continue d’embaucher un nombre important de fonctionnaires. Je crains fort que cela ne pèse lourdement sur les budgets locaux dans quelques années…
3) Si la réduction du train de vie de l’État est une nécessité incontestable, l’autre problème des finances publiques française est qu’il faut donner à tout le monde sans rien payer, quand on propose des prestations au-dessus de ces moyens, il faut s’attendre à être endetté et en déficit. Une baisse des déficits passera forcément par des « sacrifices » de la part des citoyens.
Il y a aussi l’effet d’éviction. On stimule les agents à acheter des titres d’état (peu rentables, par définition) alors qu’ils pourraient stimuler l’investissement privé. Ils subissent un coût d’opportunité et stimulent l’économie planifiée. Il y a une aversion générale au risque qui se superpose sur les critiques du capitalisme(à laquelle nous assistons en Europe) et qui n’arrange pas les choses.
A Ando et Jezabel
L’effet d’eviction est exact, mais la France emprunte à l’exterieur …
Concernant Jezabel, vos arguments sont justes, mais à nuancer.
La CADES (caisse d’amortissement de la dette sociale), c’est 100 milliards ! A comparer au 1100 milliards de l’Etat.
Concernant les fonctionnaires, c’est exact : il y a explosion des fonctionnaires territoriaux et dans une moindre mesure des fonctionnaires hospitaliers. En raison des refinancements par l’Etat, tout cela finit sur le budget de l’Etat. La dette de ce dernier représente 80 % de la dette publique. Et si l’Etat montre une presque stabilité de ses effectifs, c’est notamment en ne comptabilisant pas des effectifs transférés vers des autorités administratives indépendantes.
Réduire les prestations ? oui, sans doute ; ce doit être le cas pour la retraite. Mais le premier levier d’action, c’est la productivité (qui passe aussi par des changements organisationnels) …
A AB
Je parlais de la partie de la dette qui s’annule par les créances réciproques des agents nationaux (le sujet de l’article, à relire).
Pour ajouter, certaines parties de dette ne sont pas du tout dirigés vers des investissement profitables – dépenses de fonctionnement etc. (effet de levier négatif) donc la nation s’appauvrit! Ce que l’on appelle effet de massue. En réalité il ne faut pas croire que l’état est hors la loi des mécanismes financiers. Il ne faut pas croire que une dette importante est synonime de désastre; elle l’est en présence d’investissements désastrueux. Un exemple? La bibliothèque François Mittérand, très peu fonctionnelle aux lecteurs – elle sert d’autres buts (image de Paris alors qu’il n’avait pas besoin), clairement un détournement d’objectifs. Et des investissements en réputation inefficace (pour des raisons artistiques ou politiciennes), il y a partout.
A Ando
Oui … Ceci dit, l’essentiel de la dette de l’Etat aujourd’hui finance des dépenses de fonctionnement …
@A.B Galiani
Certes la dette de l’État représente 80% de la dette publique. Néanmoins, je reste convaincue qu’une réforme d’ensemble reste nécessaire pour répondre aux enjeux de la dette. Une approche consolidée des finances publiques me semble indispensable (en prenant en compte l’État, la SS, les CT mais aussi les opérateurs qui sont en partis financés par l’État…). Le seul problème est d’arriver à concilier des intérêts contradictoires.
Pour ce qui est de la SS, nous n’écharperons à une réforme. Hormis les branches ATMP et famille (pour l’instant), les autres sont déficitaires et le déficit augmente d’année en année. En outre, il ne faut pas oublier que les régimes spéciaux de retraite (largement déficitaires également) sont financés par l’État…
Pour l’État, il faut s’y mettre sérieusement. Mais étant donné que la dette finance majoritairement des dépenses de fonctionnement, il me semble difficile d’obtenir des résultats significatifs sur le court terme.
Pour les CT, il faudrait certainement réformer leurs compétences et surtout rendre les élus politiquement responsables de leur politique fiscale. Comme la France semble vouloir leur donner une certaine autonomie, on pourrait peut être envisager une réforme des dotations.
Il me reste une question en suspend : est-il possible qu’une majorité des déficits générés par la crise se résorbent d’eux-même à la fin de celle-ci ? Honnêtement, j’en doute puisque les intérêts générés par les emprunts dûs à la crise vont nécessairement se répercuter sur le déficit et j’ai bien peur, que par une vieille habitude, l’augmentation des déficits liés à la crise ne devienne structurelle.
Chere Jezabel,
Je partage très largement votre analyse. Vous en retrouverez d’ailleurs une partie de ces thèmes dans le 3eme billet à venir.
Reste votre question : les déficits générés par la crise vont ils se résoudre d’eux mêmes ?
En partie … Le rédémarrage de l’activité va relancer l’investissement et la consommation (comme pour la période 96 à 2000), avec peut être une tendance à l’emballement (ce que les analystes keynésiens appellent « l’accélérateur »).
Mais les freins existent : d’abord les raisons pérennes (empilement des structures), mais aussi l’emballement des embauches de fonctionnaires, l’absence d’une profonde réforme des retraites (qui va plomber d’ici peu les comptes des collectivités locales et ceux de la sécu, en raison des départs accrus de fonctionnaires hospitaliers et surtout territoriaux) … Le poids de la fiscalité jouera aussi comme élement « anti redémarrage » et ceux d’autant plus fortement qu’on risque d’accroître les impôts. Bref ! Nous sommes sur le fil du rasoir ; je ne crois pas à un réglement par la passivité, mais il faudra admettre qu’un niveau de vie élevé et une protection sociale forte passe par une productivité forte !
@ A.B Galiani.
Merci pour la réponse à ma question. Je suis tout à fait d’accord sur le fait qu’il faut une productivité forte pour maintenir notre niveau de vie et de protection sociale.
Le problème tient à savoir comment faire. La relance par le déficit n’est absolument pas efficace dans une économie ouverte (le multiplicateur keynésien subit d’importantes évictions) voire contre-productif (relance de 1995 qui a augmenté la production… au Japon ou encore le Danemark et l’Islande qui ont eu un multiplicateur négatif). Quand aux théories classiques, elles me semblent difficilement applicables en France, tant l’État interviens dans l’économie.
« Je parlais de la partie de la dette qui s’annule par les créances réciproques des agents nationaux (le sujet de l’article, à relire) »
Vu des comptes de l’état, je ne vois pas de créances réciproques.
L’Etat a des dettes et très peu de créances. Quand l’Etat s’endette, il n’augmente pas ses créances. Que l’état s’endette auprès de nationaux ou à l’étranger ne change guère au fond son problème qui est de comment payer les intérêts et comment rembourser le capital.
A Jezabel,
Puisque manifestement, vous connaissez l’analyse keynésienne, le multiplicateur est certes réduit par l’ouverture de l’économie mais plus encore par les prélèvements obligatoires, de l’ordre de 60 % , que la propension à consommer subit de plein fouet .
A Hervé,
La reciprocité des créances signifie que lorsque l’Etat émet un emprunt (une OAT par exemple), cette OAT est détenue par quelqu’un d’autre pour un montant équivalent. La réprocité ne peut donc pas se constater en regardant les seuls comptes de l’Etat. I
l y a un argument qui dit que l’Etat céde aux générations à venir ses dettes et ces mêmes générations héritent des titres de créances que détenaient leurs parents. Sauf que … (voir le billet)
Quant à l’effet d’éviction, 40% de la dette est détenue par des résidents, cf. http://www.aft.gouv.fr/article_960…. C’est assez significatif.
A propos, quand on reproche aux banques de ne pas faire leur métier de créditeur, il faut penser à cet aspect aussi, à l’effet d’éviction……Les institutions créditent l’Etat, lequel accapare donc une partie de la dette potentielle des particuliers.
« Quant à l’effet d’éviction,…, accapare donc une partie de la dette potentielle des particuliers. »
Compte tenue de la désintermédiation, de l’absence de contrôle des changes, est-ce que cet effet d’éviction est encore bien réel ?
Juste pour la polémique à propos de la formule « reciprocité des créances … de l’Etat », n’est-ce pas un pléonasme ? Quand il y a créance, il y toujours un prêteur et un emprunteur, sinon c’est un don.
A Hervé
Il n’y a pas de polémique. Ce que vous dites est exact : une créance a un preteur et un emprunteur !!!! C’est ce qu’explique certains : A préte à l’Etat et reçoit un titre de créance. Quand A décède, il laisse à ses enfants les titres de créance et d’une certaine façon, les dettes de l’Etat. Donc ça s’annule.
Sauf que A n’est pas forcément Français ! Donc, les générations à venir de jeunes Français ne détiennent pas de titres. Et par ailleurs, si les titres se multiplient (une forme d’inflation), ils finissent par se dévaloriser. Exemple de la Grèce …
A Hervé
C’est un effet d’éviction global je dirais. Partout, les banques se contentent de prêter à l’état, c’est sans risque et pas cher (de point de vue consommation de capital réglementaire), donc les autres agents deviennent moins intéressants pour elles. On pense aux intérêts des OAT (+prêts court terme, escomptes….), mais aussi à toutes les commissions de placement de ceete dette. Faut il ajouter que l’état est un client très fidèle, et qui ne nécessite pas un réseau étoffé d’agences (coûts fixes) pour l’avoir (il vient tout seul et avec de gros besoins)? Donc, c’est un client idéal, tant que ça marche.
J’ai aimé
J’ai aimé
Je découvre la réponse d’Ando en janvier … Les arguments avancés sont justes. Cependant, il faut rappeler que la dette de l’Etat est souscrite pour l’essentiel à l’étranger. Par ailleurs « sans risque = peu rentable » et les banques ont des exigences de rentabilité, ne serait ce qu’en raison des exigences de fonds propres, toujours accrues depuis 20 ans !
Je ne comprends pas pourquoi la dette de l’etat est seulement
couverte par 1/3 de residents francais?(au japon c est 90%).
Car j ai lu dans un rapport officiel que le niveau des assurances-vie francaise 3000 milliards, representent donc 1,5
fois le niveau de la dette totale française (2000 milliards)
Si quelqu un peut repondre à ma question?
En 2013,il faudra aussi y rajouter, entre autres, les charges du retour de la retraite à 60 ans et le recrutement supplémentaires des 150 000 postes de fonctionnaires non renouvelés durant la législature. Il faudra aussi y retrancher, entre autres, « la taxation des riches » qui fera rentrer au bas mot moins de 0,3% du PIB mais préservera l’intangibilité des dogmes de gauche faute d’équilibrer quoi que ce soit d’autre que les courants du PS. Chiche Madame Aubry ?