Monsieur le Technocrate, Cher Ami,
Surtout ne voyez aucun irrespect dans cette salutation. Dans ma bouche, elle n’est pas péjorative. Simplement, c’est ainsi que l’on vous appelle, familièrement, entre nous, les manants de la nouvelle Monarchie Républicaine. Nous sommes souvent jaloux de votre savoir. L’ardeur sincère avec laquelle vous espérez pouvoir faire notre bonheur malgré nous, nous émeut toujours, et nous ne savons que maladroitement vous en exprimer notre sincère gratitude. Simplement, comme nous ne parlons pas la même langue, nous ne nous comprenons pas toujours. Ni ce que vous nous dites. Ni ce que vous faites. C’est pourquoi, en rentrant de ma campagne, je prends la liberté de m’adresser, directement à vous, à raison de notre relation personnelle, en vous priant de bien vouloir, par avance, m’excuser, encore une fois, de l’indigence de mon vocabulaire.
Il est probable que vous êtes en cours de rédaction du communiqué qui sera publié demain à l’issue de la réunion d’urgence qu’organise Monsieur le Premier Ministre.

Je voulais, avec la même urgence, vous dire que si vous pouviez surtout éviter de nous annoncer des cadeaux fiscaux ou budgétaires nouveaux, cela nous arrangerait vraiment. Car, figurez-vous, que le sentiment de les payer nous-mêmes nous gagne de plus en plus. Certains prétendent même que c’est notre argent que vous gérez et pas celui de l’Etat. C’est à ne plus croire à la Providence. Au surplus, nous redoutons que vous nous ayez déjà beaucoup endettés. Les intérêts de notre dette nous étranglent. Et on nous dit que nos pensions ne seraient pas provisionnées. Nous avançons vers la retraite, comment voulez-vous, dans ces conditions, que nous soyons rayonnants de confiance, que nous dépensions notre épargne, que nous investissions ?

Il y a un an et demi déjà, comme le temps passe, des gens très instruits nous expliquaient qu’avec des dépenses nouvelles, ils allaient nous créer un « choc de croissance ». Pour un choc ce fut un choc. Pas de croissance, mais de décroissance. Après y avoir réfléchi, cela semblait pourtant évident. Dans nos petites boutiques, personne n’a jamais eu l’idée, lorsque l’on est sans le sou, d’accroître ses dépenses pour augmenter son chiffre d’affaires. Il est vrai que nous n’avons pas fait de longues études. Mais pour les choses les plus simples, ce n’est pas toujours un handicap. Donc, pour l’instant nous avons : les dépenses et la décroissance !

C’est pourquoi, je viens vous supplier de ne pas en ajouter. Vraiment et du fond du coeur, nous vous remercions par avance de vos bonnes intentions, mais prenez bien en compte que nous ne vous demandons rien. Et surtout pas de nouvelles dépenses. Il se dit que nous serions champions du monde de ces dépenses ? Alors, si les dépenses font la croissance, nous aurions dû déjà être aussi champions pour la croissance. Ce n’est pas le cas ? Nous ne le savons que trop. Alors, diraient d’autres, c’est peut-être le contraire qu’il faudrait essayer. Je veux dire dépenser moins. Oui, c’est cela que vous devriez proposer à Monsieur le Premier Ministre.

C’est un homme de grand bon sens. Nous avons confiance en lui. N’allez surtout pas l’assommer de légendes pour tenter de lui faire croire que c’est l’Etat qui décide de la croissance. A force de le leur avoir dit, les Français l’ont cru. Et aujourd’hui ils se trouvent fort dépourvus. Oui, comme le dit Monsieur Fillon, maintenant, « la France peut supporter la vérité ». Et cette vérité est que la croissance est entre les mains de chaque Français. Chacun doit être invité à l’effort, et ne plus attendre tout de l’Etat. L’Etat doit s’habituer à coûter moins cher. A cesser de harceler les citoyens par des lois, des règlements, des circulaires, des contrôles qui les paralysent et les découragent.

La meilleure nouvelle serait que vous nous annonciez que désormais tous les fonctionnaires sont au service des Français et non l’inverse. Que jusqu’à la fin de l’année vous vous interdisez d’édicter la moindre règle nouvelle et que vous vous engagez, d’ici là, à supprimer toutes celles qui freinent, qui handicapent, qui coûtent, qui désespèrent et qui empêchent la France de réussir.

Oui, Monsieur le Technocrate, Cher Ami, vous l’avez compris, ce que nous vous demandons, respectueusement, c’est de vous occuper de mieux gérer votre maison, pour qu’elle nous coûte moins cher, et de nous laisser nous-mêmes gérer nos propres affaires. Ce sera tellement plus simple pour vous, et tellement plus facile pour nous. Que du bonheur. C’est celui que nous vous souhaitons et que nous nous souhaitons par la même occasion.

Alors, merci encore pour demain. Pas de dépenses. Et tout le monde au boulot !