Le pouvoir d’achat est, selon l’INSEE, la quantité de biens et services que l’on peut acquérir avec son revenu. Son évolution fait l’objet aujourd’hui d’un vaste débat : pourquoi augmente-t-il si faiblement ? Dans un rapport publié récemment, des parlementaires socialistes proposent quelques mesures pour le défendre. Puisque toutes nos misères viennent du prix du pétrole, il faut taxer les compagnies pétrolières. Voilà au moins un argument qui sera populaire … Une seconde analyse, présentée par des économistes du Conseil d’Analyse Economique, en prend le total contre-pied et fait sienne l’idée de Patrick Artus pour qui « depuis 30 ans, les politiques économiques qui ont été menées en France n’ont pas préparé l’avenir. Soit qu’elles avaient comme seul objectif le soutien conjoncturel à court terme, soit qu’elles étaient l’expression de postures purement idéologiques au mépris de toute analyse sérieuse des problèmes structurels ». Le choix se résume donc entre une énième politique conjoncturelle, à l’efficacité bien aléatoire, ou une politique de fond destinée à remettre l’économie française sur les rails !

L’analyse des socialistes est simple : haro sur le pétrole, beaucoup trop cher. Il faut donc mettre en place une TIPP (la « taxe intérieure sur les produits pétroliers ») flottante, compensée (réchauffement climatique oblige) par quelques taxes supplémentaires sur les véhicules polluants, et puis surtout il ne faut pas hésiter à taxer les compagnies pétrolières. Ceci dit, ces propositions restent faibles, très faibles … En supposant que les taxes supplémentaires compensent la réduction de TIPP, il n’y aurait que des changements dans la redistribution. Quant à taxer les compagnies pétrolières, au moins 2 objections doivent être formulées. La première, c’est que ces compagnies font l’essentiel des leurs bénéfices à l’étranger. On voudrait les inciter à rompre leurs liens avec la France qu’on ne s’y prendrait pas autrement. La seconde, c’est qu’il est toujours surprenant dans un pays démocratique de constater que le recours à des textes d’exception, qui rompent avec l’égalité républicaine, est considéré comme une chose normale. Ce sont pourtant des pratiques d’un autre âge, Philippe le Bel en ayant donné un exemple avec les Templiers, qu’on croyait ne plus rencontrer que dans les Etats totalitaires comme la défunte URSS … De surcroît, pénaliser une entreprise au simple motif qu’elle fait du bénéfice constitue un frein aux investissements à venir et justifie, a contrario, ses demandes de subventions quand le vent tourne. Bref ! C’est un ensemble de propositions « court-termistes » et populistes, qui permettent surtout de ne toucher à rien.

Il reste une autre analyse : si le pouvoir d’achat des Français croît lentement, c’est peut être que le gâteau à se partager croît lentement… A cet égard, plusieurs économistes du Conseil d’Analyse Economique (Philippe Aghion, Gilbert Cette, Elie Cohen et Jean Pisany-Ferry) viennent de publier un rapport intitulé « les leviers de la croissance française ». La volonté est ici de s’attaquer aux racines du mal. La France souffre d’une insuffisance d’offre (comprendre que l’outil de travail n’est pas assez développé). Les conclusions vont largement à l’encontre des politiques suivies ces dernières décennies – et des idées reçues -, ne serait ce qu’en raison d’une remise en cause fondamentale des pratiques corporatistes françaises. A l’heure où les retraites sont en passe de devenir le premier budget de la France, nous sommes invités à nous tourner (enfin ?) vers l’avenir. On l’aura compris, leur analyse va à l’encontre des « yaka » simplistes.

4 grands thèmes de propositions se dégagent :

Le premier, c’est qu’il faut travailler plus. On ne peut avoir à la fois du temps libre et du pouvoir d’achat. Certes, l’analyse présentée dans le rapport est nuancée, mais préconise une simplification du droit du travail français, fort malthusien et complexe et d’en revenir au droit européen, plus souple notamment en termes de durée maximale du temps de travail, ou de développer le « droit conventionnel dérogatoire » permettant une meilleure adaptation aux réalités du terrain. Le taux d’emploi des « seniors » doit également être amélioré (ajoutons d’ailleurs qu’il est en France un des plus bas d’Europe). Le second vise un meilleur fonctionnement du marché du travail. Le choix français repose sur la protection de l’emploi et tant pis pour ceux qui le perdent … A l’inverse, le modèle danois repose sur la protection du salarié, qui n’est pas abandonné à lui-même s’il est au chômage. Pour des raisons culturelles, la transposition du modèle danois à la France est délicate, en raison de « l’incivisme » et du médiocre dialogue social, évoqués dans un billet précédent. Il est préconisé de refondre le mode de fonctionnement du service public de l’emploi : fusionner l’ANPE et l’UNEDIC, externaliser les placements … Le troisième préconise la stimulation de la concurrence : dans le secteur de la grande distribution (effets pervers des lois qui prétendaient protéger le « petit commerce »), dans celui des professions « fermées » (à numerus clausus) et réformer le financements des PME. Ce dernier point va notamment à l’encontre des idées reçues. Si la France souffre d’un déficit d’entreprises de 50 à 500 salariés, c’est en raison d’une insuffisance de rentabilité (j’ai d’ailleurs évoqué ce point dans des billets précédents). Diverses propositions sont avancées comme par exemple en réservant une partie des commandes de l’administration aux PME. En revanche, la responsabilité des banques est jugée faible. Elles financent les PME et à des prix qui ne sont pas excessifs (forte concurrence bancaire oblige). En revanche, elles conservent une mauvaise image de marque des PME en raison des lois du début des années 80 qui les ont obligées à prendre en charge les pertes des PME, sans d’ailleurs qu’il y ait moins de faillites. Il reste qu’il faut définir un mode de financement spécifique aux PME en phase de développement. Le quatrième, c’est la nécessité d’un investissement massif dans l’enseignement supérieur et la recherche. Le « classement de Shangaï » n’est guère favorable aux Universités françaises. Les travaux évoqués montrent que la performance universitaire est liée à l’autonomie et aux moyens. Alors que des étudiants sont dans la rue – mais qui s’agite derrière eux ? -, la loi Pécresse est jugée « bien timide même si elle constitue un premier pas … », en raison de la faiblesse des moyens consentis.

Pour conclure, il me semble nécessaire de rappeler ce qui devrait être une évidence. Depuis 1975, la croissance française moyenne est d’environ 2 % l’an. En 1975, la population française s’élevait à 53 millions d’habitants contre 63 millions en 2005. Pour maintenir le pouvoir d’achat par habitant, il a fallu 0,5 point de croissance. En 1975, il y avait plus de 3 cotisants pour 1 retraité. Il y a aujourd’hui 1,5 cotisant pour un retraité. Pour maintenir le pouvoir d’achat, il a fallu 0,7 point de croissance. Ce sont donc 50 à 60 % de la croissance depuis 30 ans qui n’ont servi qu’à maintenir le niveau de vie. Et pourtant, la France a choisi en 2000 de réduire de 10 % le temps de travail … Car si l’augmentation du pouvoir d’achat, c’est la croissance, la croissance c’est aussi les gains de productivité !