Pour ceux qui sont passés sans le voir, le papier d’Eric Numès dans le Monde sur les blogs est particulièrement sympathique et instructif. Bonne lecture amusante.

A l’origine du mot « blog », un rondin de bois jeté à la mer

L’étymologie d’un mot révèle parfois des détours inattendus sur le long chemin de ses usages à travers le temps. « Blog », cet anglicisme, ce quasi-inconnu au début du XXIe siècle, désigne aujourd’hui un phénomène de société à l’écho planétaire : la publication sur le réseau des réseaux de « carnets extimes », l’inverse des carnets intimes. Pour se convaincre de l’ampleur de cet univers couramment appelé « blogosphère », il suffit d’une requête sur Google, le numéro un de la recherche sur Internet. Aux quatre lettres de « BLOG », le moteur de Mountain View renvoie un résultat vertigineux : 1,2 milliard d’occurrences. « Blog » a un de ces longs destins cahoteux, dont la tangente numérique date d’une dizaine d’années. A sa genèse, il ne s’agissait que d’une simple pièce de bois (« log » en anglais). Les premiers marins jetaient un rondin par-dessus bord, à la poupe de leur bateau. En comptant le temps écoulé pour qu’il s’éloigne, ils estimaient ainsi la vitesse du navire. Plus tard, les navigateurs affinèrent le système en reliant à une corde des pièces de bois à espaces réguliers. Les « logs » jetés à la mer permettaient de mesurer plus précisément l’allure du bateau. Les données collectées étaient soigneusement consignées sur un carnet de bord, un journal de logs. Le terme « log » s’écarte ainsi de son sens originel et commence sa seconde vie : il désigne dès lors les carnets de bord des capitaines aux longs cours. Au début du XXe siècle, les hommes partent à la conquête du ciel, et « log » gagne les airs sous la forme des journaux de bord des pilotes de l’aviation. Au milieu des années 1990, les nouveaux espaces à conquérir sont sur le réseau des réseaux : le Web. Les pionniers de la Toile (pour la plupart américains) y ouvrent des journaux personnels, à destination de la naissante communauté des internautes, des « web-logs ». De la contraction de ces deux termes naît le mot-valise « blog ». Blog serait donc né outre-Atlantique. Une tache dans la langue française que la commission générale de terminologie et de néologie s’est efforcée, en vain, d’effacer. Le 9 juin 2005, le ministère de l’éducation nationale publiait, sur son bulletin officiel, sa décision de remplacer « blog » par « bloc-notes », voire « bloc » pour sa forme abrégée. Une décision tardive : les blogs francophones se comptaient déjà par millions, notamment grâce au succès qu’ils remportent encore auprès des adolescents. Les Québécois ont, pour leur part, préféré franciser l’existant : blog est devenu « blogue ». Reste que les déclinaisons de ce qui n’était qu’une bûche au début de l’histoire sont nombreuses. « Bloguer » est devenu un verbe et « blogueur » un nom commun. « Blouquin » désigne un livre décliné sur un blog ou inversement le contenu d’un blog déjà publié dans un livre. Un « mlog » est un blog adapté à des supports mobiles (téléphone mobile, PDA…), un « vlog » diffuse de la vidéo, un « flog » publie essentiellement des photographies. Plus fantaisiste, Alain, blogueur amoureux des lettres, a sur ses pages « un garde-mots comme d’autres ont un garde-manger » : http://blog.legardemots.fr. Il y collecte et invente des néologismes et se voit « blogonaute, voyageur intrépide plongé dans la bloguespace ». La « bloguitude » n’est plus très loin. Eric Nunès LE MONDE 03.04.07