Comme je l’ai dit hier soir la partie qui m’a le plus ému est celle rapportée ci-après. Parce qu’elle constitue un vrai de geste d’humilité. Elle révèle le tréfonds d’une personnalité douée qui a reconnu, avec sincérité, avoir cru que l’image en politique suffisait. Qu’elle tenait lieu de vérité entre les Français et leurs élus. Alors que jamais nos compatriotes n’ont attendu autant d’authenticité. Ils veulent savoir si les personnes qui se proposent de les gouverner sont doués d’humanité avant d’intelligence. Il leur a donné sa réponse. Certains s’interrogent sur sa sincérité. Pas moi. D’abord parce que je le connais. Puis aussi parce que l’imposture aurait éclaté inévitablement et brisé, à jamais, ce lien de confiance qu’il faut renouer enfin avec les Français. Je souhaite et je demande à Nicolas de ne jamais, pas un seul jour de sa campagne, oublier ces mots qu’il a prononcés, car ils l’engagent devant les Français et devant l’histoire.

Voici la partie de texte consacré à sa confession intime, forte d’émotion :

J’ai changé. J’ai changé parce qu’à l’instant même où vous m’avez désigné j’ai cessé d’être l’homme d’un seul parti, fût-il le premier de France. J’ai changé parce que l’élection présidentielle est une épreuve de vérité à laquelle nul ne peut se soustraire. Parce que cette vérité je vous la dois. Parce que cette vérité je la dois aux Français.

J’ai changé parce que les épreuves de la vie m’ont changé. Je veux le dire avec pudeur mais je veux le dire parce que c’est la vérité et parce qu’on ne peut pas comprendre la peine de l’autre si on ne l’a pas éprouvée soi-même. On ne peut pas partager la souffrance de celui qui connaît un échec professionnel ou une déchirure personnelle si on n’a pas souffert soi-même. J’ai connu l’échec, et j’ai dû le surmonter. On ne peut pas tendre la main à celui qui a perdu tout espoir si l’on n’a jamais douté. Il m’est arrivé de douter. N’est pas courageux celui qui n’a jamais eu peur. Car le courage c’est de surmonter sa peur. Cette part d’humanité, je l’ai enfouie en moi parce que j’ai longtemps pensé que pour être fort il ne fallait pas montrer ses faiblesses. Aujourd’hui j’ai compris que ce sont les faiblesses, les peines, les échecs qui rendent plus fort. Qu’ils sont les compagnons de celui qui veut aller loin.

J’ai changé parce que le pouvoir m’a changé. Parce qu’il m’a fait ressentir l’écrasante responsabilité morale de la politique. Le mot « morale » ne me fait pas peur.

J’ai changé parce que nul ne peut rester le même devant le visage accablé des parents d’une jeune fille brûlée vive. Parce que nul ne peut rester le même devant la douleur qu’éprouve le mari d’une jeune femme tuée par un multirécidiviste condamné dix fois pour violences et déjà une fois pour meurtre. Dans son regard on lit l’incompréhension de celui qui ne comprend pas comment l’indicible a pu être possible. Je suis révolté par l’injustice et c’en est une lorsque la société ignore les victimes. Je veux parler pour elles, agir pour elles et même, même s’il le faut crier en leurs noms.

J’ai changé parce qu’on change forcément quand on est confronté à l’angoisse de l’ouvrier qui a peur que son usine ferme.

J’ai changé quand j’ai visité le mémorial de Yad Vashem dédié aux victimes de la Shoah. Je me souviens, au bout d’un long couloir, d’une grande pièce avec des milliers de petites lumières et des prénoms d’enfants de 2 ans, de 4 ans, de 5 ans prononcés à voix basse de façon ininterrompue. C’était le murmure des âmes innocentes. Je me suis dit alors que c’était cela la politique : faire barrage à la folie des hommes en refusant de se laisser emporter par elle.

J’ai changé quand j’ai lu à Tibhirine le testament bouleversant de frère Christian, enlevé puis égorgé par des fanatiques avec six autres moines de son monastère. Le GIA avait prévenu :  » nous égorgerons « . On retrouva les sept têtes des moines suppliciés sans leurs corps. Deux ans auparavant, cet homme de charité avait par avance pardonné à son assassin :  » s’il m’arrivait un jour d’être victime du terrorisme, (…). Voici que je pourrai, s’il plaît à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec lui les enfants de l’Islam tels qu’il les voit (…). Et toi aussi l’ami de la dernière minute, qui n’aura pas su ce que tu faisais. Oui pour toi aussi je le veux, ce Merci, cet  » A-Dieu  » (…). Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en paradis s’il plaît à Dieu notre Père à tous deux !  » Par son humanité immense, par sa volonté de rassembler les hommes le frère Christian fait honneur à la France laïque et républicaine. A Tibhirine, j’ai compris ce qu’est la force invincible de l’amour et le sens véritable du mot  » tolérance « . A Tibhirine, le frère Christian m’a enseigné, par-delà la mort, que ce que les grandes religions peuvent engendrer de meilleur est plus grand ce qu’elles peuvent engendrer de pire, que les extrémismes et les intégrismes ne doivent jamais être confondus avec le sentiment religieux qui porte une part de l’espérance humaine.

J’ai changé quand j’ai rencontré Mandel, ce grand Français. J’avais voulu écrire sa vie pour réparer une injustice, pour changer le regard des autres sur cette destinée tragique. C’est mon regard sur la politique qui s’en est trouvé transformé. Georges Mandel avait la passion de la politique. En mars 1940, il est ministre de l’Intérieur. Au milieu de la débâcle, il est l’un de ceux qui plaident pour la Résistance. Il est arrêté. Le 7 juillet 1944, des miliciens le tirent de sa prison et le font monter dans une voiture. Arrivé dans la forêt de Fontainebleau ils l’abattent d’une rafale de mitraillette.

Il m’a semblé utile d’en faire un billet séparé pour ceux qui n’avaient pas lu.