Je ne veux pas manquer à la tradition du retour en arrière de fin d’année. Je vous propose donc un zoom sur l’évolution de la dette publique. Comme les chiffres définitifs ne seront connus que dans quelques mois, je m’appuie sur des estimations établies à partir de données fournies par l’INSEE et par l’Agence France Trésor, organisme public de gestion de la dette.

Rappelons quelques faits. Depuis 1975, la France n’a pas connu un budget de l’Etat équilibré, phénomène auquel il convient d’ajouter les déficits récurrents de la Sécurité Sociale, ce qui nourrit la dette publique. Il ne faut pas oublier celle des ODAC, les « organismes divers d’administrations centrales », parmi lesquels la CADES qui a pour fonction d’apurer la dette de ladite Sécurité Sociale. Et n’oublions pas les Collectivités locales qui, cependant en matière de dettes, apparaissent avoir plutôt une gestion sage.

L’ensemble de la dette publique démarre une longue ascension à partir des années 80. En 1974, elle se situe à 13 % du PIB, puis se stabilise à environ 21 % du PIB à la fin des années 70, avant de reprendre son ascension : 22 % en 1981, 35 % en 1990, 57 % en 2000 et 67 % à la fin de l’année 2005. Une stabilisation est constatée de 1997 à 2001, mais il est difficile d’en tirer gloire : sur cette période, la valeur de la dette publique s’est accrue de plus de 2 % l’an, celle de l’Etat de presque 4 %. L’amélioration du ratio n’est venue que de la croissance du PIB. Aussi, tournant le dos aux nécessaires réformes que la forte croissance aurait pourtant facilité, la politique menée à cette époque, en engrangeant de nouveaux coûts incompressibles (embauches de fonctionnaires, 35 heures …), contenait tous les ingrédients pour accélérer l’endettement une fois la période faste du cycle économique passée. La dette se nourrit bien évidemment des déficits récurrents, notamment celui de l’Etat quasi incapable même de rembourser ses échéances de prêt. Ainsi en 2005 et 2006, son déficit s’est élevé à environ 47 milliards d’euros (annuellement), et le capital amorti de la dette à environ 80 milliards, soit un besoin de financement de 127 milliards. Ces années là, l’Etat a emprunté respectivement 119 et 109 milliards d’euros. Rapprochez les montants : quasiment, on emprunte pour combler le trou et rembourser les traites ; c’est ce qui s’appelle « être en cessation de paiement » !

Alors à combien en est on aujourd’hui ? Fin 2006, l’endettement public devrait dépasser les 1200 milliards d’euros, contre 1138 milliards fin 2005, soit un endettement moyen par Français de l’ordre de 20 000 €. L’endettement du seul Etat devrait être aux alentours de 920 milliards d’euros contre 890 milliards un an plus tôt.

Il semble nécessaire de tordre le cou à deux idées fausses. La première serait que finalement cette dette publique ne porterait guère à conséquence puisque le secteur public réalise de nombreux investissements pour le compte de la communauté. C’est exact concernant les collectivités locales, c’est totalement faux s’agissant de l’Etat : l’investissement de ce dernier s’est élevé en 2005 à moins de 8 milliards d’euros contre un accroissement de sa dette de 49 milliards ; si on ajoute les ODAC et la Sécurité Sociale, l’investissement est de l’ordre de 17 milliards et l’accroissement de la dette de 59 milliards ! Il faut malheureusement se rendre à l’évidence : la disproportion des chiffres montre que la dette finance des dépenses de fonctionnement : sureffectifs publics, 35 heures, retraites généreuses très tôt … Les générations futures qui règleront l’ardoise pourront toujours se consoler (maigrement) en pensant qu’au moins les « baby-boomers » en auront bien profité !

Certains disent que malgré tout, cela n’est pas bien grave, car les ménages français sont peu endettés, leur épargne est forte et ils ont du patrimoine … Cette argumentation pourrait tenir face à un déficit ponctuel, mais perd tout sens quand ce dernier a un caractère récurrent et que la dette grossit par effet cumulatif. D’autant qu’on ne peut assimiler le patrimoine de l’Etat à celui des ménages, à moins d’imaginer un transfert par un impôt devenu confiscatoire, ce qui ne peut guère se concevoir que dans la panique d’une faillite. En outre, il n’y a pas lieu de se gargariser d’un taux d’épargne fort. Une étude de la Direction de la Prévision du Ministère des Finances en 2004 relève une forte similitude entre l’évolution du taux d’épargne et celle du déficit structurel. Elle explique ainsi la faiblesse de la consommation en France. Bref, le taux d’épargne élevé est aussi, selon les auteurs, la conséquence « de finances publiques sur une trajectoire clairement insoutenable » ou de dispositions « laissant attendre une correction rapide du déficit ».

Mais en cette fin d’année, je ne souhaite pas finir ce billet sur une note pessimiste, ne serait ce que parce jamais rien n’est définitivement perdu par avance, et que la pire des choses serait la résignation.

Aussi, malgré tout et quand même, je vous souhaite à tous, avec quelques jours d’avance une excellente année 2007.