A la suite d’un billet publié au mois de mai, un bloggeur m’a demandé si la croissance était une fin en soi et a évoqué la « décroissance raisonnée ». J’ai depuis découvert que ce bloggeur était par ailleurs militant dans une association dénonçant la croissance et avait invité ses amis à m’interpeller sur ce thème. Je regrette qu’il n’ait pas été suivi car mon audience aurait « explosée », flattant ainsi mon ego. Quoiqu’il en soit, son observation est pertinente et je vais essayer ici d’apporter des pistes de réflexion. Sachez simplement que le sujet est gigantesque et l’origine du débat antédiluvienne puisque la Genèse affirmait déjà « croissez et multipliez vous ». Aussi ai-je fait des choix en raison de la taille limitée de ce billet et résumé de façon rapide (donc simplificatrice) des thèses souvent très denses.

La croissance se mesure au travers l’augmentation du Produit Intérieur Brut, le PIB, qui est « l’agrégat » chiffrant la richesse créée en une année dans un pays. Une critique lui est régulièrement adressée qui est de ne pas différencier selon les origines de la création des richesses. Ainsi, la dépollution d’une rivière, les coûts de la lutte contre le crime, les soins médicaux apportés aux personnes victimes de la consommation de drogues, toutes choses qui trouvent leur origine dans les dysfonctionnements de l’activité humaine, contribuent aussi à la croissance. L’indicateur serait ainsi contestable. A mon sens, il s’agit bien davantage d’un biais qui se corrige en complétant par d’autres indicateurs.

Une critique de fond de la croissance porte sur la justification de la richesse. Déjà, au début de notre ère, le Nouveau Testament s’interroge : « quel avantage l’homme a-t-il à gagner le monde entier s’il le paie de sa vie ? » (Marc 8-36). Pour sa part, Marshall Sahlins (« âge de pierre, âge d’abondance » 1972) relève que les sociétés primitives ne sont pas pauvres parce que leurs besoins sont limités. Pour d’autres, la croissance est critiquable en raison de ses effets pervers : pollution, conséquences sociales etc. Elle est considérée comme un phénomène purement marchand, inhérent au capitalisme ou, dans une version plus moderne, au (néo) libéralisme, et de ce fait condamnable. Les tenants de cette thèse admettent toutefois que la croissance est bonne lorsqu’elle concerne les services non marchands, donc publics, comme la santé, l’éducation. Pour sa part, le rapport Meadow, remis en 1972 au Club de Rome, a établi que le modèle industriel aboutissait à une impasse par épuisement des ressources, par pollution, par surpopulation, etc, dans un avenir plus ou moins lointain (sans qu’une échéance soit fixée). De nombreuses analyses récentes s’inspirent de thèses proches. Ainsi, mon interlocuteur énonçait il que « les européens consomment 3 planètes et les américains 5 ».

Tentons d’y voir plus clair. Un point faible de la plupart des critiques de la croissance est de la raisonner en termes homothétiques, c’est-à-dire comme une simple multiplication des quantités. Ainsi une croissance homothétique de 5 % revient-elle à doubler la quantité de biens à peu prés tous les 15 ans. Selon le dicton, « les arbres ne montent jamais jusqu’au ciel » et tôt ou tard il est clair que les ressources seront insuffisantes. Mais voilà ! Une croissance n’est jamais homothétique. En 1982, j’ai acheté mon premier ordinateur. Aujourd’hui, j’utilise toujours un et un seul ordinateur. Pas de croissance ? Si ! Car mon outil actuel est beaucoup plus performant (et sans commune mesure !) que celui d’il y a 24 ans. La croissance intègre donc des changements qualitatifs, pour lesquels il n’y a pas lieu de craindre l’épuisement.

Attribuer au seul capitalisme (ou au libéralisme ou à la mondialisation …) les effets négatifs de la croissance industrielle relève soit d’une métaphysique religieuse aux incantations cathartiques affirmant son essence nocive – toute autre assertion étant par nature fausse-, soit de la cécité la plus totale (l’URSS, la Chine ne peuvent passer des parangons de vertu), soit du discours corporatiste et populiste visant à rabaisser le secteur privé pour mieux justifier une société à deux vitesses. Les secteurs marchands et non marchands sont complémentaires, et s’il existe des écoles, des hôpitaux, c’est grâce au bon fonctionnement des entreprises. Peut on d’ailleurs concevoir des services non marchands de pointe (comme la recherche médicale) dans une société qui se refuse à créer des richesses ? La nature n’est pas une douce mère et Jean Fourastié rappelait que jusqu’au début du XXeme siècle, « le lait naturel des vaches naturelles donnait la tuberculose ». Cette thèse de la « faute au capitalisme » connaît d’ailleurs une dérive extrême droitière pour laquelle tout artefact humain est mauvais (puisque capitaliste et mondialiste), dérive aujourd’hui incarnée par un célèbre responsable syndical agricole.

Cependant, je me garderai bien de conclure au meilleur des mondes. Si nous ne réagissons pas très vite, notre planète va devenir invivable. Mais plus que la décroissance, c’est la croissance qui doit être raisonnée. Le développement durable s’inscrit dans cette optique. Certains en appellent à « l’impôt écologique ». Cette idée, dont les responsables politiques ne pourront éluder l’analyse, trouve son origine dans les travaux d’un économiste libéral, Arthur Cecil Pigou, vers 1920. Au risque de choquer, je perçois de façon positive l’envolée des prix du pétrole qui devrait inciter à accélérer les travaux de recherche sur les énergies de substitution, à encourager l’isolation des habitations, etc. Il faut également souligner l’action de Nicole Notat qui, au travers de l’agence VIGEO, a lancé une notation des entreprises sur des critères de comportement – dont la maîtrise des risques et des coûts écologiques -. Voilà matière à orienter le contenu de la croissance.