La lecture de la dernière livraison du rapport de l’Institut Montaigne (de Juin 2006) nous rappelle, à cette période de l’année, une situation de gâchis inacceptable de notre jeunesse. D’après une enquête du CEREQ (Centre d’Etudes et de Recherches sur les Qualifications), sur la génération 2001, plus de trois quarts de ceux ayant au moins un niveau de Bac + 2 accèdent rapidement à un emploi durable. Il en est de même des titulaires d’un bac professionnel ou technologique industriel. En revanche, les performances de ceux qui ont raté leur bac ou leur deug sont inférieures : ils n’atteignent même pas les résultats des titulaires de CAP ou de BEP.
Pour le secteur tertiaire, l’accès à l’emploi est plus rapide pour un titulaire du BEP que pour un bachelier, qui a un niveau d’études plus élevé, ou pour un étudiant recalé au deug, qui a, pourtant, deux ans d’études universitaires supplémentaires. Pire, les échecs au deug se produisent parfois après trois ou même quatre années d’études, des redoublements et prolongations d’études dites exceptionnelles ayant été admis. Le décalage dans l’entrée dans l’emploi est, dans ce cas là, particulièrement élevé : on voit ainsi des jeunes gens arrivés à 23 ou 24 ans avoir davantage de difficultés à trouver un débouché que des jeunes de 19 ou 20 ans, qui ont un diplôme moins élevé. Le gâchis devient alors inacceptable, tant en termes humains qu’en termes de coûts relatifs au système éducatif. Avez-vous des témoignages vécus là-dessus ?
Un témoignage vécu ? Eh bien, étant justement de la génération 2001 que vous citez, je peux confirmer avoir pu obtenir un emploi durable rapidement. Mais la leçon que j’ai pu en tirer et que je tente de prêcher auprès de jeunes qui arrivent aujourd’hui sur le marché du travail, c’est de garder une certaine humilité, de savoir accepter un 1er poste "sous-côté". Aujourd’hui, certains enseignants ou encadrants ont tendance à dire à leurs élèves qu’ils valent tant, qu’il ne faut pas accepter un poste en-deça d’un certain salaire etc… Grossière erreur !
Au contraire, quand l’économie n’est pas forcément florissante et quand dans certains secteurs, l’offre n’est pas pléthore, il faut savoir, au moins pour un temps, accepter un CDD de courte durée à un poste inférieur à son niveau d’étude. Car l’essentiel est de mettre un pied dans l’entreprise. Après, les choses se font naturellement. On fait ses preuves, on se fait remarquer et la promotion interne vient par la suite.
C’est comme cela que s’acquiert l’expérience, quelque soit le diplôme obtenu.
On gagne ensuite en légitimité. C’est en tout cas ma vision des choses. Il est plus facile de diriger des personnes, de donner des consignes quand on a soi-même occupé leur poste.
"Petit poisson deviendra grand…" : il faut en effet savoir rester humble, raisonner sur la durée plutôt que sur le salaire à un instant T.
S’agissant maintenant des différences rencontrées selon l’âge des personnes, il est effectivement dommage de voir que des personnes qui se sont essayées (sans réussir) à un niveau d’études supérieur aient + de mal à trouver un emploi que celles qui arrivent + tôt dans la vie active sans avoir tenté d’aller plus loin. A mon sens, c’est la seule notion d’échec qui joue. Mais l’on peut regretter de voir qu’une personne qui a voulu poursuivre se trouve pénalisée lorsqu’elle a échoué…
"Qui ne tente rien n’a rien" mais seulement si on ne rate pas semble-t-il…
@Stéphanie
Je partage votre déception que le risque associé à la pousuite d’étude soit mal perçu.
Il me paraît que cela découle de deux aspects (propres à notre pays ?) :
– la préférence pour le diplôme directement exploitable en environnement professionnel ;
– la réticence sociale face à un échec.
Je ne crois pas qu’on puisse agir de manière directe (d’impulsion politique) sur le deuxième aspect, trop empreint de psychologie sociale. On ne pourra que le regretter.
Le premier me semble cependant plus sujet à une action positive possible. Mais ce sera dur et long, car je vois la conjonction de plusieurs facteurs historiques à l’oeuvre :
– la préférence sociale envers des études intellectuelles généralistes, censées "former l’esprit critique du futur citoyen" (comme si le fonctionnement économique de notre société et l’avenir individuel de chacun dans cette société devaient être des choses forcément sans rapport) ;
– la réalité sociale que les études intellectuelles longues mènent souvent, lorsqiu’elles sont menées à la réussite, à une position sociale élevée pérenne (à condition qu’elles soient relativement exploitables dans l’activité économique ; mais ceci est parfois oublié) ;
– en filigrane, on voit la reconnaissance par les employeurs que la formation est coûteuse, tant en temps qu’en manque à gagner, et la tendance à souhaiter faire supporter ces coûts par la collectivité ;
– il en découle que la réalité de non sélection initiale en fonction du nombre prévisible (même au gros pif) des formations générales en Université amène à ne pas pouvoir distinguer, parmi ceux qui ont échoué, ceux qui ont pris un risque de ceux qui n’ont pas tenu compte de leurs capacités ou qu ont voulu se faire plaisir (ce dernier aspect n’est pas un mal, de mon point de vue, mais on peut s’interroger sur la pertinence de faire supporter le coût correspondant par la collectivité).
J’ai l’impression qu’il en résulte un "deal" social non exprimé, là, qu’on pourrait résumer par "tu tentes ce qui te plaît, mais en contrepartie on n’y met pas beaucoup de pognon public", ce qui me semble expliquer la misère financière actuelle des Universités françaises, voire même de l’Educ’Nat dans son ensemble.
Totalement d’accord avec vous quand vous dîtes qu’une impulsion politique ne peut pas faire grand chose contre "la réticence sociale à l’échec".
Cette façon de faire est ancrée dans notre société et nous savons combien il est difficile de changer les mentalités, à quelque niveau que ce soit.
Il est toujours frustrant de se sentir impuissant et de ne pas avoir la solution magique pour remédier à cela. Ceci étant, il ne faut peut-être pas s’étonner ensuite que des CV soient parfois édulcorés pour dissimuler de tels échecs…
Des témoignages de gens qui ont reussi leurs études et qui sont désabusés, vous en trouverez ici :
http://www.generation-precaire.o...
Un diplome universitaire "seul" (Deug, Licence, Maitrise) ne vaut rien sur le marché du travail. Pourquoi ? Parce qu’il est beaucoup trop éloigné des besoins des entreprises. Ceci explique le succés des formations alternatives tels que les DUT ou les DESS qui, elles, menent à un emploi.
Par ailleurs, les facs sont trop souvent associés à des filières où on va, faute d’avoir construit son projet professionel en amont. On y retrouve tous ceux qui ont eu la surprise – contre toute attente – d’avoir leur bac et qui, du coup, n’ont que cette alternative (les inscriptions dans les autres filières étant bouclés depuis des lustres).
On critique les classes préparatoires sois disant couteuses et élitistes. Mais il n’y a pas de miracle : un éléve qui a 25 à 30 heures de cours par semaines (par classe calmes de 35/40 élèves), du 1er septembre au 30 juin sera toujours plus performant qu’un élève ayant eu 20 heures de cours par semaine, du 1er octobre au 30 mai, dans un amphi bruyant de 100 personnes. La solution n’est pas de supprimer les prépa (ou les IUT) mais bien de revaloriser les formations universitaires. Bizarrement, dans ceux que je connais qui ont fait de longues études en fac, peu sont passés par la filière "première année d’université". Ils ont fait soit "prépa", soit "un IUT" pour, je cite, "éviter à tout prix les premières années de FAC".
Tizel
Sur cette question il faut absolument l’ouvrage de Jean-Robert PITTE, grand universitaire, Jeunes, on vous ment: réflexion sur le système scolaire français (au sens large du terme) à la lumière de la crise du CPE!!
Un gâchis qui ne risque pas de disparaître si les futurs programmes de nos présidentiables ne s’intéressent pas plus à la question centrale de l’Education.
La réforme du marché de l’emploi passera aussi et surtout par celle du "mammouth" plus que par des mesures cosmétiques à caractère électoral(iste).
Croisons les doigts pour que 2007 soit l’année de la réforme vraie.
@Cédric
Une réforme de l’Education (la formation initiale), pourquoi pas ? Mais ce sera nécessairement long : on ne bouleverse pas brutalement les plans et habitudes de millions de personnes (enseignants, administratifs, éleves, parents d’élèves, employeurs) qui investissent leur avenir là-dessus sans risquer de GROSSE casse.
@Tizel
Quand je suis arrivé à l’Ecole Polytechnique, en 1984, le Général commandant l’Ecole dans son discours d’accueil nous a dit qu’un tiers d’entre nous avait un père ou un oncle polytechnicien (vue l’époque, il n’a pas jugé utile de conjuguer au féminin).
Il semble que la situation dans ces études supérieures d’élite que vous décrivez tende vers encore plus de reproduction sociale de nos jours.
Au delà du constat, je vois peu de tentatives d’explication solides à ce phénomène, ni même d’affirmation politique à ce sujet (est-ce mal ? Est-ce neutre, voire hors sujet ? Doit-on favoriser cette élitisme du passé ? Et comment ?) Si vous avez des billes, je suis preneur.
Plus généralement, il me semble que le discours se focalise un peu trop sur la formation initiale. Si je peux comprendre pourquoi il en va ainsi dans notre organisation sociale actuelle, il me semble néanmoins que c’est le premier verrou à faire sauter.
En effet, il me paraît total absurde de figer principalement le destin futur d’une personne autour de ses 20 ans. Et il y a matière là à une action politique possible pour favoriser les évolutions professionnelles.
Il y a bien le DIF, mais il me paraît à la fois trop rébarbatif pour les employeurs (comme souligné par D. Glazman dans un commentaire précédent sur ce blog) et insuffisant pour les bénéficiaires. La VAE paraît aussi une bonne approche, bien qu’elle ne concerne que le métier déjà exercé (et bien acceptée, sans doute parce qu’elle ne coûte rien aux employeurs !)
Il me semble qu’il y a la place pour un développement des formations au cours de la vie, qui coûteraient aux employeurs (faudra nous brusquer un peu), mais aussi à la collectivité. Les gens évoluent avec le temps, et telle qui ne trouve pas sa voie _a priori_ à 20 ans pourra avoir une meilleure idée à 30 ou 40.
Il ya quand meme des questions a se poser
A quoi sert un DEUG ?
A quoi servent Licence et maitrise ?
Si ces diplomes n’ont aucune valeur sur le plan professionnel ( ils ne sont meme aps qualifié d’equivalent dans certaines conventions collectives ) … alors cela implique de poursuivre jusqu’a un diplome efficace sur le marche du travail
Mais vu le nombre d’ entrant a la fac , et de sortant avec une formation professionelle … une evidence s’impose .. ou sont passé ceux qui ont ete refoulés , ceux qui ont abondaonné , ceux qui n’aont aps eu les moyens .. ?
La encore il y a gabegie .. Meiux vaudrais selectionner directement a l’entree en fac .. et avoir une alternative credible pour les non reçus ..
Cette reforme , Devaquet ou bien un autre a deja ete proposé .. et deja le gouvernment de l’epoque s’est degonflé ..
On connait les problemes .. on a des solutions .. mais on a pas le couarge de le faire
Par ailleurs , l’autre marc a raison .. le DIF , c’est une connerie monumentale .. a quoi bon quelques heures de formations .. c’est trop peu , et pour faire quoi .. a l’heure ou l’on nous parle de technologie
A cote de cela , le CIF existe .. le conge de Formation .. mais bien souvent c’est "Demerde toi toi meme pour le financer"..
Pourquoi ne pas faire de economies en reduisant le nombre d’etudiants non motivé et perùettant a des salariés qui le veulent vraiment de se former pour de vrai .?
@Ornais : pour le CIF, bon courage, comme vous le soulignez. Et le DIF, je n’ai toujours pas tout compris, et pourtant l’Union Régionale des SCOP a organisé une présentation de la chose. Mais ça reste un bouzin quasi incompréhensible pour moi (etsans doute pour la plupart des autres gérants de petites coopératives qui assistaient).
Par ailleurs, je n’ai pas vraiment envie de taper sur les facs et l’éduc’nat en général, ni ne crois que le souci principal vient de là.
Je cros en effet que le souci principal vient d’une faiblesse du côté des mécanismes de la formation continue.
La VAE est plutôt destinée à entériner les compétences aquises dans le métier exercé. Ce n’est donc utile que dans la perspective d’une continuité de carrière proffessionnelle.
Le DIF accumule trop peu de droits à formation pour ne pas aboutir à favoriser un perfectionnement dans un métier déjà exercé.
Reste le CIF. Dans les boîtes que j’ai fréquentées, petites (< 200 personnes), choisir une formation qui éloigne des besoins à court terme de la société amène à une séparation de l’employé. On comprend que le CIF ne soit pas prisé par les petits employeurs. Il est possible qu’il en aille différemment ailleurs.
Je crois qu’il faut arrêter de se focaliser sur la formation initiale, et plutôt se pencher sur la formation continue.
De mon point de vue, la formation continue long terme, qui ne profitera sans doute pas à l’entreprise de départ (ni même, vraisemblablement à la branche), devrait être prise en charge par la collecftivité, de la même façon que nous trouvons normal que la formation initiale soit financée ainsi.
Ce qui ne veut pas dire qu’il faille se satisfaire du système actuel de formation initiale, entendons bien. Mais le changer ne me paraît pas le plus rapidement productif.
à marc (un autre)
"Quand je suis arrivé à l’Ecole Polytechnique, en 1984, le Général commandant l’Ecole dans son discours d’accueil nous a dit qu’un tiers d’entre nous avait un père ou un oncle polytechnicien (vue l’époque, il n’a pas jugé utile de conjuguer au féminin).
Il semble que la situation dans ces études supérieures d’élite que vous décrivez tende vers encore plus de reproduction sociale de nos jours.
Au delà du constat, je vois peu de tentatives d’explication solides à ce phénomène, ni même d’affirmation politique à ce sujet (est-ce mal ? Est-ce neutre, voire hors sujet ? Doit-on favoriser cette élitisme du passé ? Et comment ?) Si vous avez des billes, je suis preneur"
Je crois que le général de Guillebon (?) faisait de l’humour et cherchait à diminuer le sentiment qu’ont les élèves de leur propre excellence (à l’entrée). Il racontait aussi l’histoire de la puce réputée sourde pour avoir perdue ses pattes (qui n’est pas valorisante pour l’école) et disait que "quoique vous fassiez vous aurez une grande croix dans le dos, donc soyez responsables."
Toutes les statistiques montrent que la reproduction sociale est beauoup plus forte aujourd’hui qu’il y a 40 ans.
La raison en a été bien analysée : c’est la ruine de l’instruction obligatoire qui a suivi la massification de l’enseignement.
Du coup seuls ont une réelle formation ceux à qui elle est fournie par leurs parents.
Vous pouvez lire les textes de Laurent Lafforgue sur le sujet.
Le thème de l’enfant roi (l’élève construit ses savoirs, apprendre en s’amusant) a conduit au "diplôme sans efforts pour tous", qui fait naturellement qu’il devient vide et est reconnu comme tel par la société. Bref de l’argent gaché au nom d’une grande idée !