Notre mission avec Didier Migaud nous a conduit aujourd’hui (et demain pour Didier, j’ai dû rentrer ce soir pour ma part), à La Haye afin d’échanger avec nos amis Néerlandais sur leur propre expérience en matière de nouvelle gestion publique. De nos premiers entretiens, il ressort les éléments essentiels suivants :
La Cour des Comptes, là bas, juge la régularité, la fiabilité, et la sincérité des comptes de l’Etat. Elle ne se prononce pas sur la politique budgétaire et ne distribue pas, comme en France, les bons et mauvais points, au gré des humeurs de cette haute juridiction. Il semble que le travail conduit avec l’audit interne de chaque ministère soit plus coopératif afin de progresser dans l’analyse des risques, la mesure de la performance. Le dialogue avec le Ministère des Finances est permanent. S’agissant précisément de la mesure de la performance, la Cour reconnaît que l’exercice est difficile, qu’il s’agit d’une oeuvre de longue haleine, et que la réforme, en la matière, qui porte le nom là bas de « VBTB » (comme LOLF chez nous) est plus complexe à mettre en oeuvre que prévu initialement. S’agissant des critères de performance, elle suggère que les plus pertinents sont les plus spécifiques à la politique menée, ceux qui offrent une mesure facile et simple, qui sont partagés (ou suscitent une adhésion), ceux qui sont réalistes, qui intègrent la dimension du temps et qui trouvent une cohérence avec d’autres actions de l’Etat. Les magistrats nous ont confié combien ils regrettent que l’exécution des comptes mobilisent si peu d’intérêt et que Parlement, presse et opinion publique persistent à se laisser aveugler par la discussion du budget prévisionnel.
Au Ministère de l’Equipement, j’ai retrouvé le Secrétaire Général M. Van Maanen qui se souvenait de notre rencontre lors du grand colloque, sur ce thème, organisé au Sénat Français en 2000 entre tous les dirigeants de finances publiques de l’OCDE. Lui aussi s’est dit désolé que la reddition des comptes, les vrais, c’est à dire ceux exécutés, et non pas les prévisionnels ne retiennent pas davantage l’attention. Nous partageons tous les deux la même aversion pour le laxisme budgétaire. Il nous a rappelé combien nous devons conserver à l’esprit la nécessité d’avoir des finances saines pour faire face aux dépenses du futur qui sont déjà inéluctables. Comme celles liées au vieillissement, à la santé, aux retraites, celles aussi de construction des grands infrastructures, de la recherche, de toute l’économie de la connaissance qui scellera l’avenir de notre continent. En revanche, les Pays-Bas sont à l’évidence un Etat majeur et responsable en matière budgétaire. Nous avons compris qu’aucun ministère n’imaginerait dépasser le plafond de dépenses autorisé par le Parlement, sans aller, préalablement, solliciter un complément d’autorisation, ce qui ferait de toute manière, d’après ce que nous avons compris, très mauvais genre. Il semble qu’une solidarité interministérielle existe également, de sorte que la pression ne porte pas sur le seul Ministère des Finances. Ils ne sont pas dans la fantasmagorie bien française qui s’est choisie un éternel bouc émissaire : Bercy ! Cela m’a renforcé encore dans mes convictions du nécessaire renforcement en France d’une plus grande collégialité budgétaire. S’agissant de la performance, il nous a confirmé la difficulté de la matière, le choix qu’ils ont fait de création d’agences pour faciliter les avancées sur le sujet. Il a plaidé pour une approche progressive et sage afin que tous les agents puissent s’approprier la démarche et en mesurer toute l’utilité. Enfin, il a fini de nous convertir sur l’utilité de la pluriannualité, puisque nos amis Néerlandais fonctionnent sur un horizon de 4 ans qui donne de la visibilité aux gestionnaires et n’empêche aucunement une correction, si nécessaire, en cours de cycle.
Je suis rentré ce soir convaincu de l’utilité de ces rencontres entre voisins qui cherchent, chacun de leur côté, comment rendre la gestion publique plus efficace, et faire que chaque euro prélevé sur le fruit du travail de nos compatriotes soit utilisé avec la meilleure efficacité possible. La dureté des temps, et les défis que nous lance l’avenir ne nous donnent pas le choix. Ils nous somment de cesser toute dépense inutile, de supprimer tous les gaspillages et de dégager des marges de manoeuvre pour offrir du progrès. Là encore, je suis convaincu qu’une démarche transpartisane, telle celle que nous menons avec Didier Migaud, est indispensable face aux défis à relever et offre les meilleures chances de succès.
Interessant. Cela étant j’estime personnellement que la reponsabilité de Bercy est réelle et majeure, et que l’expression "bouc émissaire" est donc excessive.
Encore aujourd’hui, les fonctionnaires sont payés par le MINEFI : les gérants de BOPs disposent de services de gestion qui déterminent et réalisent les mouvements de gestion, lesquels sont par la suite transmis au MINEFI ; le MINEFI fait les calculs et réalise les fiches de paye, et les services de gestion ne sont informés, au mieux, que par le "retour paye".
Comment voulez-vous qu’un gestionnaire de BOP puisse suivre ou évaluer sa dépense quand le calcul de ce qu’il dépense est réalisé dans un autre ministère, en l’occurence, Bercy ?
Ou plutôt, qui hormis Bercy pourrait initier à niveau interministériel la démarche par laquelle les montants inscrits sur les fiches de paye sont bel et bien contrôlés par le gestionnaire de BOP (en oubliant pas que certains BOPs sont constitués à 98% de trraitement de fonctionnaires)
La communication n’est pas le fort des français. Trop de passions, trop de certitudes, trop d’entêtement.
Nos racines sont trop paysannes et ancrées dans l’histoire ,et les fleurs de l’avenir sont dans un ailleurs que nous n’avons pas envie d’aller voir.
Dommage.
Sortir de ses racines ,c’est aller vers les autres et l’idée même de mettre ça en pratique est une angoisse nationale.
Si seulement nous pouvions nous parler plus facilement, ce serait tellement plus simple et tellement moins coûteux.
Les résistances s’envolent quand la volonté est là, je pense que pour beaucoup plus de personnes qu’on imagine, la remise en cause de soi est envisageable. A condition de vraiment déverrouiler bien des mécanismes de défense inutiles et dangereux.
C’est à l’état de donner l’exemple.En êtes-vous un?
"Je suis rentré ce soir convaincu de l’utilité de ces rencontres entre voisins qui cherchent, chacun de leur côté, comment rendre la gestion publique plus efficace, et faire que chaque euro prélevé sur le fruit du travail de nos compatriotes soit utilisé avec la meilleure efficacité possible."
En l’espèce, et puisque même la réflexion, et surtout, la réflexion publique coûte, prétendre avec du temps, des voyages et quelques commissions pouvoir trouver mieux que tous les brillants esprits qui se sont succédés à cette tache depuis quarante ans me semble quelque peu présomptueux.
Et puisque la théorie économique fournit une réponse simple à cette question, la question n’est pas de savoir où chercher une autre solution : la question est de savoir pourquoi nous ne choisissons pas maintenant d’appliquer la solution la plus simple.
+1 pour l’agent
en plus, pour rester LOLFien, remarquons que la paie est une dépense qui n’est pas supportée par le programme qui la provoque, mais par Bercy. Est-ce bien LOLF-compatible ? J’en doute. D’autant moins que Bercy n’est pas transparent du tout sur le cout correspondant.
Remarque qu’on peut élargir à l’ensemble des services rendus pas bercy : comptabilité, virement, etc.
Ca ferait le plus grand bien à tout le monde (à commencer par la représentation nationale !) de savoir ce que coute le moindre mouvement de gestion (paie, facture, promotion d’una agent). Et de comparer ça
* au prix du même service dans le secteur privé, ou par un autre prestataire public (il suffit de rappeller l’impact, pour les trésoreries et les autres service, du basculement de certaines dépenses vers des établissements publics comme le CNASEA…)
* à la valeur ajoutée du mouvement pour son bénéficiaire (Bercy est évidement aux premières loges et aux manettes lorsqu’il s’agit de négocier une nouvelle dépense, et pourtant le prix en terme de gestion n’est manifestement jamais pris en compte…)
Détail à propos des "retour paye" : nous sommes le 7 juillet , nous attendons encore celui de juin. Pas de surprise : il est en général disponible vers le 10 du mois suivant, deux semaines après le virement sur les comptes bancaires, un mois après la constitution des "bandes payes"…
En plus le "retour paye" contient des informations qui ne nous regarde pas en tant qu’employeur (saisie-arrêt sur salaire, prélèvement à la source de mutuelles, etc.) : d’un point de vue strictement légal, sommes-nous en regle avec la loi "informatique et liberté" ?
et pour continuer le une-deux avec gem: Notons que lorsque, au constat du retour paye venu de Bercy on souhaite déterminer en vertu de quel mouvement de gestion a été faite telle dépense par Bercy, impossible de trouver quelque interlocuteur que ce soit disant autre chose que "l’informatique a raison, l’informatique ne peut pas se tromper.".
Ainsi, il n’existe aucune réelle traçabilité de la dépense, puisqu’on ne sait pas toujours à quel fait ou acte imputer telle dépense, Bercy conservant les règles applicables hors de toute analyse par les services.
Il est aisé de critiquer la LOLF lorsque celle-ci impose, comme c’est le cas pour les administrations ayant d’importantes dépenses de carburant, de prévoir un an à l’avance l’évolution des prix du pétrole sur les marchés de gros : mais cette critique, facile, s’adresse aisément par l’usage des techniques financières. Par contre, cette critique sans portée en masque une plus profonde, qui est celle par laquelle avoir fait la LOLF sans tenir compte du fait que toutes les dépenses de toutes les administrations sont déterminées et organisées par Bercy fait de Bercy l’interlocuteur obligé de tout gestionnaire de BOP.
Bonjour,
déjà, une question : est ce que les dépenses exceptionnelles (catastrophes naturelles, mesures catégoricielles pour compenser par exemple la hausse des prix de l’essence, opex…) sont provisionnées dans le budget en France? Si ce n’est pas le cas, ce serait peut être une bonne mesure à prendre, car cela diminuerait les risques de dérapages budgétaires.
Ensuite, on peut éventuellement critiquer le travail de la cour des comptes, mais ce qui est encore plus critiquable, c’est que ses recommandations restent souvent lettre morte.
Enfin, comment faire pour que la maitrise du budget ne se fasse pas aux dépends des dépenses d’investissements? Il ne faut plus reproduire ce qui s’est passé depuis 2002, à savoir, que pour éviter les dérapages budgétaires dus à certains ministères irresponsables, on coupe les crédits de fonctionnement de la recherche et de l’enseignement. Le problème, quand tout passe par Bercy, n’est il pas qu’il peut y avoir des tranferts budgétaires d’un ministère à l’autre, ce qui peut déresponsabiliser certains ministères… aux détriments d’autres qui ne sont pas forcément moins importants.
Je vois 2 solutions pour résoudre ce problème : soit on sépare à chaque fois dépense de personnel, dépense de fonctionnement et dépense d’investissement et on gère en fait 3 budgets, soit on fonctionne par agences indépendantes (et éventuellement privées) : on leur confie telle mission avec tels objectifs pour telle somme, et qu’elles se débrouillent. Si je ne me trompe, c’est le principe de fonctionnement en suède, et cela semble efficace.
Il existe en effet une dotation pour dépenses accidentelles, dont les crédits sont évaluatifs… Cela dit, les dérapages budgétaires sont généralement moins dus à une mauvaise appréciation de ces dépenses qu’à des prévisions économiques déraisonnablement optimistes ou à des sous-évaluations chroniques de dépenses…
Tout à fait d’accord avec vous sur les recommandations de la Cour des comptes, il est dommage d’avoir à disposition un organe performant de contrôle et de conseil et de systématiquement laisser de côté ses recommandations… surtout, à mon sens, quand celles ont trait au respect des règles budgétaires et comptables.
Le problème que vous évoquait est celui de la régulation budgétaire et des modifications règlementaires des crédits. En réalité, le système LOLF est assez proche de ce que vous attribuez au modèle suédois (en théorie) : Chaque programme (et au niveau territorial, chaque BOP) comporte des objectifs à atteindre pour la réalisation desquels le RPROG dispose d’une enveloppe de crédits. La logique de la LOLF est bien la responsabilisation de ces gestionnaires qui devraient être libres de la gestion de leurs crédits. La difficulté apparaît en effet quand, pour la réalisation de ces mêmes objectifs, les crédits sont, par Bercy, mis en réserve, rendus indisponibles, annulés, reportés, transférés etc.
Certes la régulation budgétaire est indispensable à une maîtrise du déficit public mais cette pratique, pourtant consacrée par la loi organique, est contraire à l’esprit de la LOLF et en tout état de cause à une véritable responsabilisation des gestionnaires…
Bercy souhaitait minimiser la contradiction en indiquant que pour que la gestion puisse être performante, les mises en réserve notamment devaient être minimes, et les crédits rapidement mis à disposition des gestionnaires… force est de constater, semble-t-il, à lecture de quelques témoignages ici-même, que des progrès restent à accomplir…
D.C.
Merci beaucoup à Damien Catteau pour ces réponses et ces explications. D’un point de vue plus politique, ne pensez vous pas que le fait de devoir gouverner en coalition, comme aux Pays Bas, oblige le gouvernement à plus de sincérité et d’hônnêteté?
grosblaireau : à mon sens, le Parlement a les moyens de "sanctuariser" un objectif de l’action publique, par exemple, un investissement… en l’intégrant très explicitement dans la nomenclatures des programmes/actions de la LOLF : il est d’ailleurs bien plus élégant (du point de vue juridique) de raisonner ainsi plutôt que de sanctuariser des dépenses au motif qu’elles sont militaires, comme cela se fait actuellement.
En résumé, si le Parlement souhaite sancturariser certains investissement publics, il lui suffit d’exiger une adaptation adaptée de la présentation du budget de l’état et les indicateur associés.