Après le récent arrêt « Martinie » déclarant l’applicabilité de l’article 6§1 de CEDH à la procédure de jugement des comptes patents, se pose la question de l’évolution de la fonction juridictionnelle de la Cour des comptes et, plus généralement, sous l’impact des différentes évolutions apportées par la LOLF, de l’évolution des missions et du fonctionnement de la Cour.
En effet, ces dernières années, sous l’impulsion de la LOLF et de la jurisprudence du Conseil d’État et de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, il devient de plus en plus inévitable de revoir les missions, les procédures et même le rôle de la Cour des comptes.
1) La fonction juridictionnelle
_ La procédure de jugement des comptes ne pourra subsister en l’état. Elle n’est plus adaptée aux évolutions des contrôles comptables notamment l’introduction du Contrôle Hiérarchisé de la Dépense (CHD) et du Contrôle Allégé Partenarial (CAP), sur lesquels nous reviendrons ultérieurement mais qui nécessiteront à la fois une refonte du Règlement Général sur la Comptabilité Publique (RGCP) mais également une évolution des procédures de jugement des comptes.
_ Le respect du principe d’impartialité (CE, 2000, Société Labor Métal), l’applicabilité de l’article 6§1 à la procédure de gestion de fait (CEDH, 2004, Richard-Dubarry) et récemment à la procédure de jugement des comptes patents (CEDH, 2006, Martinie) auront tôt fait d’avoir raison de l’édifice instable que constitue la procédure juridictionnelle de jugement des comptes. Peut-on encore conserver la règle du « double-arrêt », complexe et difficile à concilier avec l’article 6§1.
2) Les fonctions non juridictionnelles
_ La LOLF fait évoluer la Cour vers une fonction d’audit notamment avec la certification des comptes (art. 58) mais se posera inévitablement la question du rôle de la Cour par rapport au contrôle de la performance : fiabilité des indicateurs, contrôle des résultats, contrôle de la gestion des programmes.
_ La LOLF renforce également les liens entre la Cour des comptes et le Parlement notamment en termes de contrôle et d’évaluation. Faut-il aller plus loin ? L’indépendance de la Cour et sa mission d’assistance à la fois au Parlement et au Gouvernement (Art. 47 Constitution) peuvent-ils demeurer en l’état ? Faut-il renforcer l’indépendance de la Cour ainsi que ses moyens financiers en termes de personnel pour en faire un véritable organe indépendant de contrôle et d’évaluation ? Ce n’est pas, semble-t-il, le chemin que suggère la LOLF. Au contraire, faut-il réviser l’art. 47 et faire de la Cour un organe au service du Parlement sur les modèles de plus répandus de National Audit Office (voir l’exemple du SNAO suédois) ? Mais faut-il alors faire table rase de deux cents ans d’expérience en matière de contrôle ?
Enfin, notons que l’avenir de la CDBF qui juge les ordonnateurs semble lui aussi bien incertain malgré la « réformette » de juin 2005 (X.Vandendriessche et M.Lascombe). Faut-il envisager de supprimer la CDBF pour transférer ses compétences juridictionnelles à la Cour ?
Ainsi, à bien des égards, la Cour des comptes sera confrontée dans les prochaines années à une évolution de grande ampleur qui constitue comme le titrait un colloque l’année dernière « Finances publiques et responsabilité : l’autre réforme » liée à la LOLF. A l’approche du Bicentenaire de la Cour, celle-ci est donc bien à la croisée des chemins…
Catteau Damien, Université de Lille 2, Laboratoire du GERAP-GREEF.
NB : Je ne peux sur ce sujet que renvoyer les lecteurs aux travaux de mes professeurs X.Vandendriessche et M.Lascombe dans diverses revues spécialisées. Pour n’en citer qu’un : LASCOMBE (Michel) et VANDENDRIESSCHE (Xavier), « Plaidoyer pour assurer le succès d’une réforme. La loi organique relative aux lois de finances et la nécessaire refonte de la responsabilité des ordonnateurs et des comptables », RFD adm., n° 2, 2004, pp. 398-412.
Il n’était nullement nécessaire d’attendre l’arrêt Martinie pour concevoir que les pratiques de l’ensemble des juridictions administratives françaises (et notamment, la présence du commissaire du gouvernement au délibéré) étaient une des stratégies de défense extrèmes envisageables pour tout agent de l’état "particulièrement contesté" dans sa pratique quotidienne, même si, bien entendu, les débats de détail à ce sujet se tenaient bien plus souvent a sein des associations professionnelles qu’en formation initiale 🙂 Vous ne m’ôterez d’ailleurs pas de l’idée que l’inébranlable loyauté et le respect de l’intérêt supérieur de l’Etat dont firent preuve nombre de mes prédécesseurs en de telles fonctions est peut-être en partie responsable de l’archaïsme des pratiques de l’administration.
Dans le cas particulier de la Cour des Comptes, j’ai certainement déjà évoqué l’idée selon laquelle l’interdiction faite aux personnes mises en cause au titre de leurs fonctions par les rapports de la Cour de Comptes d’y répondre, et notamment, de pouvoir expliquer en quoi, parfois, les analyses de la cour tombaient un peu à côté de la plaque causait le plus grand mal à la mission que celle-ci était sensée remplir, du moins si on considérait que cette mission ne se limitait pas à quelque hypocrite (et fort onéreuse) contrition annuelle.
Peut-on simplement concevoir l’intérêt d’un organisme de contrôle qui se refuse à connaître ce qu’il contrôle, et auquel ceux qu’ils contrôlent n’ont pas le droit de répondre par les mêmes voies que celles choisies pour s’exprimer par le contrôlleur ?
La Cour des Comptes ne s’est-elle pas par ailleurs illustrée en évoquant la nécessité de ne pouvoir être gérée comme le reste de la fonction publique par des règles qu’elle ne connaitra donc qu’au sens livresque des choses ?
Concernant l’arrêt « Martinie », je vous concède qu’il n’y a guère de surprise. Il n’a pas fallu attendre cet arrêt pour comprendre que la procédure juridictionnelle devant la Cour « prenait l’eau » et d’ailleurs, si on attendait cet arrêt avec quelque impatience, nul n’en ignorait le contenu… Ceci dit, cela pose éventuellement le problème de la réactivité face une réforme qui semble inévitable. Pourquoi attendre systématiquement d’être « au pied du mur » pour réformer un édifice de plus en plus chancelant…
S’agissant du rôle (à venir) de la Cour des comptes, cela ne vous étonnera pas mais je ne partage pas votre opinion… J’ai en particulier du mal à comprendre à quoi vous faites référence en parlant du « droit de réponse » puisqu’il me semble que la procédure est contradictoire devant la Cour et que ce caractère sera d’autant plus renforcé avec l’exigence de recourir à l’audience publique…
Plus simplement, je ne suis pas d’accord avec vous sur le rôle de la Cour, son expérience, son efficacité et son utilité me semble avérée. J’ai de toute façon du mal à concevoir un système dans lequel on se passerait d’un juge financier. La responsabilisation et la transparence voulues par la LOLF ne pourront se passer d’un véritable organe de contrôle indépendant et, à mon sens, la responsabilité politique ou « managériale » ne suffiront pas à garantir le bon fonctionnement du système… Mais, en effet, nous en avons probablement déjà discuté…
Enfin, s’agissant de l’applicabilité de la LOLF à la Cour, je ne suis toujours pas d’accord aves vous. Certes, la Cour dispose d’un statut particulier au sein de la mission « Conseil et contrôle de l’État », notamment une autonomie garantissant l’autonomie conférée par l’article 47 de la Constitution mais, pour autant, cela n’affranchit pas la Cour d’établir son budget « au format LOLF » ni même de gérer celui-ci suivant les principes de la LOLF. La Cour dispose bien d’un projet annuel de performance, qui n’est pas le moins conforme à l’esprit « LOLF » (loin de là). Il est également géré suivant un cadre de déclinaison opérationnelle (BOP-UO) etc. Je pense donc qu’il est excessif de dire que la Cour ne connaîtra ces nouvelles règles qu’au « sens livresque des choses ». Mais peut-être ai-je mal compris vos propos…
Vous le savez, l’un de nos principaux points de divergence peut, selon moi, se résumer au fait que je considère que vos analyses n’intègrent pas l’hypothèse de relations strictement, mais notoirement conflictuelles entre échelons de l’administration, caractère conflictuel atténué par la constance des rapports de force entre les parties : l’affaire Martinie est l’un des possibles exemples de conflits entre parties se proclamant de bonne foi à l’intérieur de l’administration.
Lorsque j’évoque l’absence de droit de réponse aux rapports de la Cour, j’évoque avant tout la jurisprudence qui interdit tant aux fonctionnaires qu’à leurs représentants élus de commenter les rapports de la Cour mettant souvent en cause leur compétence, leur dévouement, et, parfois, leur intégrité, alors même que le gouvernement est représenté tant au sein de la cour des comptes elle-même qu’au sein des juridictions construisant la jurisprudence par laquelle l’interdiction de commentaire que j’énonçais s’est bâtie, en marge du pouvoir législatif. Personne ne s’étonnera donc trop que la Cour Européenne, qui n’ignore guère tout cela, s’évertue avec une remarquable constance à contredire la juge administratif sur la supposée équité de ses pratiques, notamment, vis à vis des serviteurs de l’état eux-mêmes.
La LOLF me semble contenir une certaine foi en la capacité d’une administration rendue libre à s’amender et s’améliorer d’elle-même : dans le cas de la Cour des Comptes, on peut constater qu’elle a à plusieurs reprises plaidé pour disposer de la liberté requise, a en général été entendue, mais n’a pas pour autant, de même que le juge administratif, s’approprier l’évidence que souligner la Cour Européenne de Justice : que devrait-on en conclure, dans l’esprit de la LOLF ?
"2) Les fonctions non juridictionnelles
_ La LOLF fait évoluer la Cour vers une fonction d’audit notamment avec la certification des comptes (art. 58) mais se posera inévitablement la question du rôle de la Cour par rapport au contrôle de la performance : fiabilité des indicateurs, contrôle des résultats, contrôle de la gestion des programmes."
Concernant ces fonctions, et considérant par ailleurs les exigences autrement plus difficiles à remplir auxquelles sont soumises les entreprises cotées (qui sont, d’une certaine façon, de par l"organisation assez particulière de leur propriété, des choses publiques au même titre que les services publics), ne pourrait-on envisager d’employer les procédures déjà rodées pour la certification des comptes de ces entreprises cotées pour la certification des services publics ?
Cela aurait par ailleurs l’intérêt de rendre plus cohérent et plus lisible l’environnement juridique relatif, simplifer la formation des personnels gestionnaires en harmonisant les méthodes financières et comptables du secteur concurrentiel et des services publics. Cela permettrait également d’externaliser le contrôle financier, ce qui me semble, dans le cas du service public, être le meilleur moyen de garantir l’indépendance effective entre controlleur et parties controllées, préoccuppation centrale aux motivations de l’arrêt Martinie.
J’ai peut être raté un épisode, mais j’ai du mal à comprendre de quoi il retourne, ce que je regrette car les échanges entre L’Agent et Damien me semblent extrêmement interessants : serait il possible de savoir ce qu’est l’arrêt "Martinie" … pardonnez un non juriste …
A l’agent,
Bien entendu, notre expérience est très différente donc il est évident que notre point de vue diverge (et ne prennent pas en compte les mêmes éléments). D’ailleurs, je le fais un peu à dessein (j’adopte volontairement une démarche de juriste, universitaire). Mais je pense justement que ce sont nos différences de points de vue qui rendent le débat intéressant…
Concernant le droit de réponse, tout d’abord j’ai limpression que vous parlez moins de procédure juridictionnelle (ce qui concerne l’arrêt Martinie) que du rapport public. Cela dit, sans être parfaitement au fait de ce qui se passe concrètement en pratique, il me semble que concernant le contrôle de la gestion (de la Cour et des CRC) un droit de réponse est ouvert aux administrations contrôlées… et que le contradictoire est respecté… Plus simplement, j’ai du mal à croire que la CEDH sanctionne la Cour (je simplifie) sur sa procédure juridictionnelle parce qu’elle a conscience des limites des procédures non-juridictionnelles en termes de contradictoire… Mon avis, peut-être un peu naif est que la Cour a indiqué à bon droit que la procédure de jugement des comptes devait respecter l’article 6§1 pour la bonne est simpel raison que l’adage "la Cour des comptes juge les comptes et non les comptables" était de moins en moins crédible…
Je suis d’accord avec vous concernant la modernisation des procédures par les juridictions administratives et financières. Il est dommage qu’il faille attendre une condamnation inévitable de la CEDH pour qu’une procédure à l’évidence désuète évolue… Cela dit, je ne pense pas qu’il faille faire un amalgame avec l’application de la LOLF à la Cour des comptes… J’ai simplement du mal à voir le lien.
Concernant la certification, je ne pense pas qu’il soit possible d’appliquer les procédures applicables aux entreprises "telles quelles" aux comptes publics. Tout simplement parce que même si la nouvelle comptabilité générale tend à se rapprocher d’une comptabilité d’entreprise, de nombreuses spécificités subsistent… En revanche, concernant la certification, la Cour s’est inspirée des méthodes appliquées dans les peys étrangers ayant opérées des réformes similaires, des méthodes diffusées par les organismes internationaux (IFAC, INTOSAI) ainsi que des méthodes utilisées dans les entreprises…
Reste la question de l’externalisation du contrôle, je suis d’accord avec vous sur la nécessité d’indépendance de l’organe de contrôle… Mais je suis en désaccord sur vos conclusions. Je pense qu’il faut s’appuyer sur l’expérience de la Cour et ne pas externaliser le contrôle. Je pense plutôt qu’il faut renforcer l’indépendance de la Cour, diversifier les méthodes de recrutement, renforcer les moyens de la Cour notamment en termes de soustraitance à des organismes d’audits mais se passer d’une expérience de 200 ans de contrôle ne me paraît pas la meilleure des solutions… La Cour des comptes a, à mon avis, un rôle central à jouer dans la modernisation de la gestion publique pour peu qu’elle s’adapte à ces évolutions…
A Djiheldé,
Je vais essayer de vous éclairer… Vous m’excuserez de ne pas entrer dans les détails et de simplifier un peu…
La Cour des comptes (et les CRC), dans le cadre de leurs attributions juridictionelles, jugent les comptes des comptables publics (respect des règles posées par le RGCP, pièces-justificatives, manquants etc. Je simplifie). La procédure devant la Cour est très différente de celles qui concernent les autres juridictions ordinaires. Elle est basée, concernant le principe du contradictoire, sur le principe de la règle du double-arrêt (arrêt provisoire – justification du comptable – arrêt définitif). Or les procédures et notamment la règle du double arrêt ne permet pas une application stricte de l’article 6§1 de la CEDH notamment en termes de délais ou de respect des droits de la défence (audience publique notamment). La Cour estimait que l’article 6§1 n’était pas applicable à la procédure de jugement des comptes notamment parce que la Cour "juge les comptes et non les comptables" (et donc en raison de la nature du "litige"). Dans l’arrêt Richard Dubarry, la CEDH indique que l’article 6§1 est applicable à la procédure de gestion de fait ("comptable de fait") mais cela semblait presqu’évident puisqu’il s’agit bien de sanctionner les comptables de fait (débêts+amendes). Dans son arrêt Martinie, elle indique que l’article 6§1 est également applicable à la procédure de jugement des comptes patents.
L’affaire n’a donc, vous l’aurez compris, pas de rapport direct avec la LOLF…
Je passe sur les motivations de la CEDH pour lesquelles l’agent et moi avons quelques difficultés à nous entendre… Je suis sûr qu’il se fera un plaisir de vous en dire plus concernant sa vision du problème…
L’arrêt Martinie (et la jurisprudence qui l’a précédé) ainsi que les nouvelles missions confiées à la Cour par la LOLF, entraîne, je le pense, la nécessité pour la Cour de faire évoluer non seulement les procédures juridictionnelles applicables devant elle mais plus simplement de faire évoluer l’ensemble de ces missions…
Voilà, en espérant vous avoir quelque peu éclairé, et en m’excusant d’avoir quelque peu simplifié l’affaire…
Merci, Damien, vous me donnez presqu’envie d’aller suivre vos cours de droit public à Lille. Ce débat avec L’Agent est fort interessant, car il élargit le champ du débat en faisant ressortir de multiples implications. Cordialement
Merci à vous de vous intéresser à ces sujets si passionnants et pourtant assez peu médiatisés…
J’en profite pour remercier l’agent car si nous ne sommes presque jamais d’accord (mais il concèdera je l’espère que c’est de "bonne guerre") sa participation active à chacun de mes billets fait vivre le débat sur ce sujet qui nous passionne semble-t-il tous les deux ! Même si nos échanges sont parfois un peu « passionnés » justement, je tiens à lui exprimer toute ma sympathie et mon profond respect de son expérience et de son opinion !
D.C.
En ce qui me concerne, n’ayant pas les compétences requises pour mener une analyse faisant quelque autorité que ce soit de cet arrêt, je me réfugie derrière l’analyse qu’en fait le Professeur Rolin :
frederic-rolin.blogspirit…
"Les enjeux de cette décision sont très simples, et suffisamment connus pour qu’il soit permis de les réduire à leur composante essentielle : Les ministères publics indépendants, tels qu’ils se sont constitués en France au cours du XIXe siècle, et tels qu’ils se sont perpétués depuis, pour certains pratiquement sans changement jusqu’à nos jours, sont ils, de ce seul fait, des institutions judiciaires à l’abri de la critique ou bien au contraire, les aspirations contemporaines relatives aux conditions d’exercice de la justice peuvent elle conduire à leur remise en cause, cela alors même que par bon nombre d’aspects ils contribueraient à l’exercice d’une bonne justice ?"
Ainsi que :
frederic-rolin.blogspirit…
On s’intéressera également à une analyse quelque peu incisive de la manière par laquelle l’administration gouvernementale avait répondu à l’arrêt Kress auquel les commentaires sur l’arrêt Martinie font référence :
droitadministratif.blogsp…
"Cette distinction adoptée après l’arrêt Kress par les magistrats administratifs relève de la malhonnêteté intellectuelle. Elle a été condamnée expressément par la CEDH. Et, même si l’on peut discuter du bien-fondé de la décision de la Cour de Strasbourg, le fait de l’écarter par simple décret témoigne d’un véritable mépris français envers celle-ci. Or, rappelons nous qu’elle est le dernier gardien de nos libertés fondamentales. C’est avant tout pour cela que ce décret est inquiétant."
Mais ce n’est que le jeu du hasard et de la nécessité qui a fait que celui qui a donné son nom à l’arrêt Martinie était un fonctionnaire en litige avec l’administration gouvernementale. Pour autant, celà ne retire rien au fait que la Cour des Comptes se prononce indirectement sur le travail des agents de l’état en présence et sous contrôle du commissaire du gouvernement, ce qui peut sembler être une méthode de justice douteuse dès lors que l’on veut bien considérer que le fonctionnaire dont le travail fait l’objet d’un jugement peut être en conflit avec l’état son employeur, ce que veut considérer le CEDH mais ce que ne veut pas considérer la justice administrative française.
Même si un petit malin observera que la manière par laquelle l’administration gouvernementale a traité l’arrêt Kress ouvrait une possibilité de contester presque automatiquement toute décision du juge administratif française devant la CEDH (ce qui, en soi, suffit à exposer l’énormité de la manoeuvre ici commise par l’administration gouvernementale), on peut se contenter d’observer que si l’organe chargé du contrôle et de la certification des comptes était réellement indépendant de l’ensemble des parties concernées par le contrôle (comme c’est le cas dans le secteur concurrentiel) et non pas "statutairement indépendant" (c’est à dire, "réputé indépendant" sans qu’aucun mécanisme de contrôle ne permette de s’assurer de la réalité de cette indépendance, notamment du fait de la non-publicité des débats et délibérés, ainsi que de la présence d’un représentant du gouvernement à ces débats), ce genre de questions ne se poserait même pas.
Je crains malheureusement que mon analyse est très loin de "faire autorité", surtout face à celle du Professeur Rolin (dont le commentaire est d’ailleurs très bien !!!). Je note d’ailleurs que se développe l’idée des articles juridiques sur le support Internet ce qui me paraît très bon pour la recherche en général…
Cela dit, je reviens sur quelque élément de votre réponse : "celà ne retire rien au fait que la Cour des Comptes se prononce indirectement sur le travail des agents de l’état en présence et sous contrôle du commissaire du gouvernement, ce qui peut sembler être une méthode de justice douteuse dès lors que l’on veut bien considérer que le fonctionnaire dont le travail fait l’objet d’un jugement peut être en conflit avec l’état son employeur, ce que veut considérer le CEDH mais ce que ne veut pas considérer la justice administrative française". Attention tout de même, il n’y a pas de Commissaire du Gouvernement à la Cour des comptes et il est excessif de comparer le rôle du Parquet concernant le juge des comptes et celui des commissaires du gouvernement devant le juge administratif, quand bien même le problème est le même concernant sa participation au délibéré. Je pense qu’il ne faut pas faire d’amalgame : Le Parquet près la Cour des comptes ne représente pas le Gouvernement. Il ne saurait donc être partial en raison d’un éventuel conflit entre un agent et son administration…
Pour le reste, je suis assez d’accord avec vous finalement, je pense qu’il faut que l’indépendance de la Cour soit renforcée tant par rapport au Parlement qu’au Gouvernement. Cela dit, je trouve votre position un peu exagérée face à l’indépendance de la Cour actuellement… Quant au contrôle du contrôleur, j’avoue que j’ai du mal à comprendre. Il y a un contrôle des décisions du juge des comptes (CE)… On peut également mesurer l’effacité du juge des comptes (ou plutôt le pourra(it)-t-on avec la LOLF)… Quant à la publicité des débats, on y vient (audience publique) et celui du délibéré ne me semble pas poser de problème majeur dès lors que le Parquet et le rapporteur n’y participe pas…
Mais finalement, nous débattons sur des "détails" puisque nous sommes d’accord sur l’essentiel: la nécessité de faire évoluer les procédures applicables à la Cour qui ne sont pas compatibles avec les évolutions de la protection des droits de la défense (art. 6§1) et l’évolution des rôles du comptable et de l’ordonnateur sous l’effet de la LOLF (ce dont je traiterais dans un prochain billet)
Bien entendu : peu importe en effet que l’on nomme ou non Cour des Comptes ce qui doit remplir ses actuelles missions dans un cadre rénové, et le statut ou l’identité des personnes faisant ce travail ne sont que des détails annexes (bien qu’il serait intéressant de pouvoir librement commenter ce que ferait cette entité, ce qui ne saurait être en l’état le cas tant que cette entité aurait un statut de droit public, mais je m’égare).
Les entreprises cotées étant controlées par des controleurs eux-mêmes controlables, se posera éternellement la question de savoir pourqoi les services publics, et notamment, les services économiques général contrôlés par la puissance publique ne sauraient l’être, surtout si on considère que les services publics contrôlés par la puissance publique … européenne sont eux-mêmes contrôlés par des contrôlleurs contrôlés ! Ce contrôle du contrôle n’est certes pas un eldorado (se souvenir de l’affaire Enron, ou des désastres annoncés concernant l’épargne retraite des salariés de grands groupes industriels nord-am pour s’en convaincre), mais l’efficacité de l’ensemble dépend aussi beaucoup de la capacité des architectes de l’ensemble à adresser les critiques prévisibles, parmi lesquelles celle qui consiste à toujours se demander pourquoi la puissance publique et notamment la puissance ublique étatique souhaite à ce point vivre dans un environnement juridique qui lui soit absolument spécifique.
Mais, et je l’admets bien volontiers, ce débat est un débat de détail. Par ailleurs, à supposer qu’une trop grande dérive apparaisse au cours d’une éventuelle réforme, il restera possible, comme autrefois, d’informer tel ou tel parti(s) politique(s) par le biais des réseaux d’experts qu’ils entretiennent des faiblesses de l’édifice en cours de conception, avec le risque de voir tel ou tel parti instrumentaliser la connaissance ainsi acquise.