Avec l’idée choc du Gouvernement Jospin contre le chômage, ramassée dans la formule « travailler moins pour travailler tous », la Gauche s’est convertie au malthusianisme. Passant à la semaine de travail de 35 heures, la France a testé la version sociale d’une doctrine qui a tout autant inspiré des thèses sur le « renvoi de la femme au foyer » ou «le retour des immigrés au pays ». En effet, l’idée reste la même : le chômage serait du à un excès de travailleurs, non à une insuffisance d’emplois. C’est oublier que les pays où l’on travaille le moins sont ceux qui rencontrent le plus de chômage. Au final, le travail ne se partage guère et réduire les actifs revient à diminuer les emplois, donc sans effet sur le chômage.

Certes, la plupart des salariés en conviendront, la réduction du temps de travail (RTT) a permis l’amélioration des conditions de vie, notamment de ceux qui apprécient le temps libre comme les jeunes parents, les cadres en fin de carrière … et cette liste n’est pas exhaustive. Certains salariés ont bénéficié de congés supplémentaires, parfois jusqu’à 3 semaines. Mais d’une façon générale, les travailleurs les plus fragiles, c’est-à-dire le plus souvent les moins qualifiés ou dans les petites entreprises, ont été pénalisés. Une étude de l’OCDE conclut en 2004 que ces salariés se sont retrouvés « avec moins d’heures supplémentaires, perdant ainsi les primes salariales correspondantes ».

En revanche, à l’observation, les effets favorables d’une réduction du temps de travail sur l’emploi apparaissent très fortement discutables. Ainsi, l’expérience conduite en Allemagne entre 1984 et 1994 s’est faite sans création d’emploi. De même, en France, le passage de 40h à 39 heures en 82 a contribué à fragiliser les emplois peu qualifiés : les salariés ayant bénéficié de la réduction du temps de travail ont été 2 fois plus nombreux à perdre leur poste que les autres.
Certes, Madame Aubry avance le chiffre de 350 000 postes, que l’on retrouve généralement dans la littérature économique. Ce chiffre cependant ne prend pas en compte l’effet d’aubaine, c’est-à-dire le nombre d’emploi qui aurait été créé même sans la RTT. Mais en adoptant les dispositions Aubry, les entreprises bénéficiaient d’aides. Alors, pourquoi s’en priver … Ainsi, l’OCDE constate en 2003 que la loi comporte pour « les entreprises des avantages financiers importants qui ont pu jouer sur les créations d’emploi, indépendamment de la baisse des heures ». De même, l’INSEE relève que la croissance des effectifs a été plus importante dans les entreprises qui ont obtenu des aides que celles qui n’en ont pas obtenu.
Ces avantages ont contribué à accroître les déficits et l’endettement publics, peut être de l’ordre de 100 milliards d’euros, soit 10% de la dette publique hors collectivités locales.
Ne nous leurrons pas : cette politique de court terme pénalisera l’emploi à venir. En 2004, l’OCDE précise que l’essentiel de la croissance des emplois est venu de la croissance retrouvée et conclut qu’ « il n’est pas certain que la RTT ait constitué l’utilisation la plus rentable des fonds publics pour la création d’emploi ».

Autre élément qui invite à la modestie : Bien que présentant la plus faible durée du travail en Europe la France a connu une moindre réduction du chômage que ses partenaires européens sur la période 1996-2002. Avec la même évolution que l’Espagne, la Suède ou l’Irlande, le taux de chômage français eut été inférieur à 7 % en 2002 alors qu’il se situait entre 8,5 % et 9 %.
Par ailleurs, une étude de l’INSEE montre qu’il n’y a pas eu plus de créations d’emploi en France entre 1997 et 2001 qu’entre 1994 et 1997 : l’amélioration de l’emploi est donc bien venue de la croissance économique retrouvée.

Les gains de productivité par heure travaillée ont été stimulés. Sur la période 1996-2002, leur évolution est de 2/3 supérieure à la croissance de la productivité horaire moyenne de l’OCDE, grâce notamment à la flexibilité introduite dans les horaires de travail. Mais, au total, la productivité globale par salarié (la richesse créée par salarié), celle qui détermine le niveau de salaire, a augmenté un tiers moins vite que la moyenne de l’OCDE, avec 2 conséquences : 1) une moindre amélioration du niveau de vie, ce qui est une forme d’appauvrissement 2) l’élimination progressive des travailleurs les moins productifs, ce qui par voie de conséquence permet d’afficher une productivité horaire par travailleur occupé parmi les plus élevée du monde. Cette dernière donnée cesse d’être un bon résultat en regard de ses conséquences sociales.

En conclusion, le bilan des 35 heures est plutôt négatif. Le chômage n’a pas diminué et les mécanismes d’exclusion n’ont pas été attenués. La dette publique, alourdie, constitue une menace pour l’emploi à venir. Nos enfants devront travailler plus longtemps pour rembourser le confort à crédit de leurs parents. Il faudrait mieux favoriser le temps de travail choisi. On ne peut pas à la fois vouloir être riche tout en refusant la création de richesse.

AB Galiani