Les 4 premières parties de l’ouvrage sont consacrées à l’histoire des idées et des mouvements politiques de droite depuis deux siècles. Elles intéresseront surtout les historiens et les étudiants en sciences politiques. Mais elles ont le très grand intérêt de montrer pourquoi, dans la vie politique actuelle en France, il est difficile de défendre à la fois les libertés individuelles et l’idée d’un « bien commun » supérieur au bien-être de chaque citoyen ; en un mot : pourquoi il est difficile d’être en même temps « libéral » et « conservateur ». Ces chapitres seront abondamment commentés, de même que des interrogations commencent à s’exprimer sur la possibilité de voir se former dans notre pays un mouvement néo-conservateur d’inspiration chrétienne, sur le modèle américain.

Les qualités de la 5° et dernière partie du livre méritent d’être soulignés. Il s’agit d’une réflexion passionnante sur le fonctionnement d’un régime démocratique. L’auteur identifie, dans tout régime, ce que j’appellerais les « ressorts » de la vie politique. Ils sont au nombre de trois : la légitimité, le consentement et l’autorité. Ces ressorts guident l’action des responsables politiques (« l’Etat »), mais ils pilotent aussi la relation entre les citoyens (« le peuple ») et ces responsables. C’est l’ordre dans lequel ces différents ressorts se mettent en mouvement, chez les responsables politiques comme parmi les citoyens, qui détermine la nature du régime politique.

L’auteur décrit d’abord une sorte de régime idéal, dans lequel l’Etat est légitime parce que ses dirigeants privilégient la recherche du bien commun. En même temps, ces dirigeants sont conscients du fait que, pour mettre en oeuvre leur politique visant à réaliser le bien commun, ils ont besoin de s’assurer en permanence du consentement du peuple. S’ils y parviennent, ils bénéficient alors de l’autorité nécessaire au succès de leur politique.

Dans ce même régime, le peuple est spontanément porté à accepter l’action de ses dirigeants. Il est porté à respecter l’autorité. Mais en même temps, il reste sur ses gardes, il a besoin de s’assurer en permanence que l’action de l’Etat est légitime, c’est-à-dire que les dirigeants agissent réellement pour le bien commun. Si c’est le cas, alors le peuple accorde son consentement aux dirigeants.

Ce qui est remarquable dans cette analyse, ce n’est pas tellement le fait que le dialogue entre les dirigeants politiques et les citoyens repose sur des bases apparemment idéales : l’amour du bien commun chez les dirigeants, le respect de l’autorité chez les citoyens. C’est le fait que ces bases ne suffisent pas pour faire fonctionner le régime ; il faut aussi une mobilisation – j’allais dire une suspicion – permanente de la part des uns et des autres : est-ce que les citoyens donnent leur consentement à l’action des dirigeants ? est-ce que les dirigeants agissent de manière légitime ? C’est en plaçant ce cocktail de certitudes et d’incertitudes au coeur du fonctionnement de tout régime politique que François HUGUENIN parvient à réconcilier, sur le plan théorique, conservatisme et libéralisme.

Dans le prolongement, il donne des outils pour analyser les réalités que nous connaissons.

Par exemple, à ses yeux, les régimes démocratiques tels que nous les connaissons, diffèrent du régime « de référence » par le fait que le premier ressort de l’action des dirigeants n’est pas la légitimité (au sens où il l’entend : souci du bien commun), mais le consentement du peuple, par le suffrage universel. Pour les gouvernants, dans ces régimes, l’élément d’incertitude, c’est justement la légitimité, voire l’autorité.

En revanche, pour les citoyens, leur première exigence vis-à-vis des dirigeants est celle de la légitimité, ce qui signifie que les citoyens sont naturellement portés à confondre le bien commun avec leur bien-être individuel. Et ils conditionnent au respect de leur bien-être individuel leur consentement à l’action des dirigeants.

Derrière ces analyses se profile, on le voit bien, la grande question de la nature du bien commun, différent de la somme des bien-être individuels. François HUGUENIN reproche aux démocraties modernes d’avoir « exclu de leur champ toute investigation sur un bien qui ne soit pas purement subjectif et émotionnel ». Il définit le bien commun certes comme un bien individuel, le bien de chaque homme et chaque femme, mais un bien qui correspond en eux à ce qu’il y a de plus haut. Pour certains, ce « plus haut » s’appellera Dieu, pour d’autres, il désignera les vertus civiques, mises en valeur par J.-J. ROUSSEAU.

Mais quel que soit le nom donné au bien commun, François HUGUENIN montre qu’en réalité, nous avons sous les yeux toute la matière qu’il faut pour prendre conscience de la nécessité de dépasser les égoïsmes individuels et les approches exclusivement compassionnelles : « contraste inouï entre la plus grande richesse et l’extrême misère, banalisation de la violence, développement d’un individualisme de plus en plus indifférent… »

Pour l’auteur, la liberté politique est « l’outil qui peut servir à l’homme pour agir ; et son action peut se diriger vers le bien ou vers le mal. Mais elle revêt pourtant l’impérieuse nécessité de ce qui est conforme à la nature profonde de l’homme ». Elle est l’enjeu principal du dialogue entre les responsables politiques et les citoyens qui est au coeur de tout régime politique.

Prendre conscience de la nécessité de cette liberté, l’orienter vers le bien commun, c’est, nous dit François HUGUENIN, « rendre à la politique toute sa grandeur ». Comment ne pas être d’accord avec lui ?

Le livre est sous titré ainsi : Libéraux et réactionnaires en France depuis 1789 ; il est publié aux Editions de la Table Ronde, Paris 2006. L’auteur est historien.