Le Sénat a entamé aujourd’hui son marathon budgétaire qui s’achèvera le 13 décembre prochain. C’est la 14ème discussion à laquelle je participe, dans des rôles différents selon les années puisque j’aurais occupé à peu près toutes les fonctions à responsabilité en cette matière. De Rapporteur Général du Budget, Président de la Commission des Finances, à Ministre Délégué au Budget.
Le sentiment qui domine ma pensée au terme de cette 1ère journée est que 1°) le seul débat utile est celui des dépenses. 2°) Dans les dépenses deux postes consomment tout : la masse salariale et le service de la dette ! Dès lors, est-il vraiment nécessaire de nous étriper sur les recettes (impôts) ? Ils ne couvrent pas (et de loin) les dépenses. L’écart (et donc le déficit entre les deux) est de 20 % ! Ou de nous épuiser sur telle ou telle mesure nouvelle supposée régler tous les problèmes du moment ?
J’essaierai donc ce soir de plutôt évoquer l’un des enjeux qui est celui des ressources humaines de l’Etat.
D’abord pour dire que les agents de l’Etat sont d’abord et avant tout des personnes et non des effectifs. Ils ne constituent pas une variable d’ajustement des déficits publics. Disons franchement les choses : ils sont la première richesse de l’Etat, mais aussi sa première dépense. Or, cette dépense ne peut pas continuer à croître.
Les dépenses de personnel ont contribué à plus de la moitié de l’augmentation totale des dépenses. En vingt ans, l’emploi public a augmenté deux fois plus vite que l’emploi total. Alors, disons-le honnêtement, et, si possible, disons-le tous : notre nation ne peut pas consacrer davantage aux dépenses de personnel.
Parallèlement, qu’est-ce que l’Etat est en mesure de proposer aux fonctionnaires depuis plusieurs années, sinon une gestion administrative et budgétaire, focalisée sur les corps et l’évolution du nombre ?
Certes, la gestion publique va se moderniser grâce à la LOLF et ce doit être l’occasion de nous orienter vers une gestion très modernisée de nos ressources humaines. Comment, en effet, envisager de gérer des millions de personnes selon des principes fixés il y a soixante ans et tout juste revus il y a vingt-cinq ans ? Un équilibre doit être trouvé entre cette ressource exceptionnelle et son coût. Des modes de gestion modernes des agents doivent être promus.
Une décision conservatoire doit être prise : plafonner la masse salariale globale pendant 5 ans en euros courants.
Ne pas remplacer un fonctionnaire partant à la retraite sur deux a été une étape importante. J’ai pour ma part contribué à son application à Bercy. Mais cette norme, en termes d’effectifs, n’est pas suffisante. Elle se heurte aux modes de décompte archaïques des emplois publics, et elle estompe l’objectif final qu’est la maîtrise des dépenses de rémunération d’activité.
Ce « zéro valeur » a des vertus fortes.
Il garantit aux Français que leur fonction publique ne leur coûte pas plus d’une année sur l’autre, pendant 5 ans.
Il libère une marge de manoeuvre pour faciliter le financement des nouveaux besoins liés, par exemple, au coût du vieillissement.
Il quantifie les gains de productivité à réaliser et fixe la clef de répartition équitable de ces gains entre les Français et les agents.
Ce serait enfin un acte de confiance de la nation à l’endroit des agents de l’Etat comme garants de l’amélioration des services rendus au meilleur coût.
"Parallèlement, qu’est-ce que l’Etat est en mesure de proposer aux fonctionnaires depuis plusieurs années, sinon une gestion administrative et budgétaire, focalisée sur les corps et l’évolution du nombre ?"
L’Etat pourrait éventuellement être en mesure de s’intéresser au chantier de l’évaluation et de la notation des personnels, chantier ouvert depuis 2002 dans certaines administrations. L’existence même de ce chantier interdit parfois notamment aux personnels de toucher les certes souvent misérables mais toujours valorisantes bonifications pour bon service (par opposition à l’avancement à l’ancienneté qui, lui, fonctionne toujours). En attendant, inutile d’expliquer au personnel que s’investir dans son travail vaut mieux que ne rien faire, puisqu’en pratique, l’Etat employeur ne suit pas.
A ce jour, dans certaines grosses administrations (par exemple les administrations des services déconcentrés du ministère de l’éducation nationale), la réforme de la gestion des ressources humaines s’est traduite, essentiellement, par le retrait des "archaiques" dispositifs de rémunération au mérite pour ne laisser en place que les seuls instruments de rémunération à l’ancienneté. Plus simplement : cette réforme produit l’effet exactement inverse à celui que vous dites recherché.
Bien entendu, la diminution parallèle des budgets de fonctionnement alors même que les mesures de fongibilité asymétrique ne sont pas applicables (et ne le seront pas davantage en 2006 m’assure-t-on, et j’imagine en 2007 pour raisons électorales) créent des situations de trésorerie difficiles dont les fournisseurs locaux, partenaires habituels de l’administration locale, sont, par définition, très bien informés : ainsi se popularise au sein du public la réforme budgétaire.
Sinon, sur le fond, il serait peut-être judicieux de tenir compte de l’existence de l’article 40 de notre constitution, malgré la portée très faible que lui confère l’interprétation courante et, par exemple, éviter de voter des lois créant mécaniquement des besoins en personnels (les besoins seront inévitablement des moyens en LOLF, sincérité oblige), comme par exemple, cette loi ayant rendu obligatoire l’épreuve autrefois facultative de TPE au baccalauréat.
J’aimerais que vous nous donniez votre point de vue sur la modification, qui vient d’être faite, de l’impôt.
Il me semble que cela allège les revenus plus aisés (et donc les plus imposables) ; mais vous venez de dire que le poste des dépenses est plus important que celui des recettes.
Que pouvez-vous dire de ce paradoxe ?
Merci.
Bonjour,
Est-ce illusoire de penser qu’un jour l’Etat se comportera en "bon père de famille", ne dépensant pas plus qu’il ne gagne, c’est à dire avoir un excédent budgétaire qui soit proche de zéro ? Si oui, à dans combien d’années l’estimez-vous ?
Merci.
Quand Victor Duruy dirigeait le ministère de l’instruction publique (1863-1869), il avait instauré un système génial. Quand un de ses collaborateurs partait pour une raison ou une autre, il proposait aux collègues de ce dernier de ne pas le remplacer, de leur attribuer à tous, à égalité, une part de la moitié de sa rémunération et de reverser l’autre moitié au budget. Il affirme que personne n’a jamais refusé cet arrangement. Il était lolfien avant la lettre, non ?
Quand Galliéni a organisé la conquête de Madagascar (1896), il attribuait aux militaires chefs de secteur, souvent responsables d’un poste avancé, un budget globalisé avec lequel ils géraient la totalité de leur fonctionnement. Certains avaient même acheté des rizières. Avec le bénéfice qu’ils en tiraient, ils amélioraient directement l’état de leurs finances. Il faisait un peu de la lolf, non ?
Pour finir, entièrement d’accord sur la nécessité de discuter les dépenses et seulement celles-ci, c’est prendre le problème par le bon bout. Pour autant, je me demande bien où est passée cette explosion de dépense dont vous parlez ("En vingt ans, l’emploi public a augmenté deux fois plus vite que l’emploi total"). Je ne croise que des personnels qui clament partout que "c’était mieux avant"…
Thierry: Une remarque sur votre contribution.
La "méthode Duruy" était, en pratique, appliquée en ce qui concerne les congés maladie dans de nombreuses administrattions, du moins, jusqu’à ce que la LOLF l’interdire. Je m’explique : vous ne vous étonnerez pas qu’en pratique, on observe dans une administration bien tenue entre 3 et 7% (selon la pyramide des âges) d’absentéisme pour maladie ou maternité. Etant donné qu’en pratique, il est impossible ou presque dans l’administration de recruter des intérimaires, les économies réalisées sur la masse salariale étaient converties en heures supplémentaires distribuées au personnel qui assumait le travail des absents… par le DRH ou son équivalent local.
Avec la LOLF, ceci ne sera plus possible, because "fongibilité asymétrique" : avec l’argent économisé sur la masse salariale, le RUO pourra (peut-être, à partir de 2007 au mieux) se payer du mobilier ou un nouvel ordinateur… mais en aucun cas il ne pourra verser de gratification au personnel méritant.
Maintenant, en ce qui concerne le système Galliéni, vous oubliez qu’à cette époque, la notion d’abus de biens sociaux était pour le moins floue et qu’on pouvait doncsidérer qu’en pratique, les serviteurs de la république dans les colonies se servaient sur la bête, et donc, étaient de ce fait directement intéressés (à 100%) au bénéfice. J’imagine mal de nos jours les préfets de région et les TPGs se partager les résidus de budget sans provoquer quelque réaction de la population, dont le niveau d’instruction a quelque peu évolué depuis la coloniale.
Ne vous y trompez donc point : la réforme budgétaire, sous des objectifs fort louables, a pour principal effet de bloquer la plupart des mécanismes existants. Mais il est vrai qu’on pouvait difficilement imaginer une autre issue pour une réflexion faisant unanimité au parlement et commençant par postuler que rien n’existait avant que, un jour, le parlement ne décide de se mettre à penser.