La stabilisation des dépenses publiques en valeur n’est donc pas nuisible à la croissance,
Au contraire, elle la favorise
Depuis 20 ans, les dépenses publiques augmentent en moyenne de 35 milliards d’euros par an, soit environ 3.5% en valeur et 2% en volume. Elles ont atteint en 2011 56.5% de la richesse nationale, juste derrière le Danemark.
Cette situation n’est plus tenable – si tant est qu’elle ne l’ait jamais été.
François Bayrou propose de stabiliser en valeur les dépenses publiques, hors investissements et charges de la dette, en 2013 et 2014 au niveau de 2012. Cela signifie que cette enveloppe, qui atteindra 1034Md€ en 2012, n’augmentera pas d’1€ en 2013 et 2014.
Dès lors, les dépenses publiques en volume diminueront sous l’effet de l’inflation et c’est 50Md€ de dépenses supplémentaires qui seront évitées en deux ans, contribuant ainsi à la réduction de notre déficit public.
Cette stabilisation porte uniquement sur les dépenses de fonctionnement et d’intervention, c’est-à-dire sur des dépenses courantes, pour lesquelles rien ne justifie de s’endetter. Demeureront hors de ce périmètre les dépenses d’investissement qui permettent d’augmenter le potentiel de croissance et la charge de la dette qui dépend du stock de dette accumulé et des taux d’intérêts, deux paramètres sur lesquels le gouvernement n’a aucun moyen d’action à court terme.
La stabilisation en valeur des dépenses publiques fait l’objet de quatre grandes critiques, auxquelles il sera répondu point par point :
– elle ne serait pas la bonne réponse à notre endettement. Il faudrait tout attendre d’une hausse de la croissance.
– elle viendrait mettre en péril nos perspectives de croissance.
– elle ne prendrait pas en compte l’inéluctable augmentation des dépenses de retraite et de santé.
– elle dissimulerait aux Français des baisses drastiques des crédits consacrés à certaines politiques publiques.
Espérer que la réduction de notre déficit et de notre dette résultera d’un retour à une croissance plus forte, c’est une fois de plus attendre un miracle, un « deux ex machina » qui ne vient jamais.
En effet, tous les économistes s’accordent à dire que les années 2012 – 2017 seront des années de croissance faible. Cela pour au moins trois raisons :
– l’entrée dans une économie du désendettement qui voit tous les agents économiques réduire la taille de leurs bilans et les banques restreindre l’offre de crédit, pour compenser les excès de la première partie des années 2000.
– la multiplication des plans d’austérité en Europe alors que les Etats doivent faire face à la perte de confiance des marchés financiers quant à la soutenabilité de leurs dettes publiques
– l’absence de rattrapage des pertes d’activité engendrées par la crise de 2008 – 2009, certains économistes envisageant même une baisse du sentier de croissance potentielle de moyen – long terme.
Tout attendre d’une croissance plus forte c’est donc promettre la Lune aux Français.
La deuxième accusation consistant à qualifier le choix de la stabilisation de « super-austérité » qui viendrait mettre en péril la croissance est très excessive, et ce, pour au moins deux raisons.
Premièrement, on l’a dit, la stabilisation ne concerne pas les investissements publics. Ceux-ci seront donc susceptibles d’augmenter en valeur, voire en volume, sous réserve qu’ils présentent un rendement socio-économique suffisant et qu’ils permettent de stimuler la croissance potentielle de la France à long terme, conformément aux enseignements des théories de la croissance endogène.
Deuxièmement, la méthode de la stabilisation permet une réduction progressive et équilibrée des dépenses publiques en volume : entre 1.5% et 2% par an.
Troisièmement, enfin, lorsque la dette publique atteint des niveaux très élevés – 90% de la richesse que nous produisons chaque année en France aujourd’hui – la croissance est fragilisée car les agents économiques perdent confiance dans la crédibilité de la stratégie de finances publiques du gouvernement.
Il en résulte la formation d’une épargne de précaution, destinée à faire face aux futures hausses de prélèvements obligatoires dont chacun pressent qu’elles seront inéluctables in fine car les Français ne sont pas myopes. La consommation et l’investissement privé, nos principaux moteurs de croissance, sont alors pénalisés.
Ce mécanisme, présenté par Richard Barro en 1974 dans son célèbre article « Are government bonds net wealth ? », qualifié d’équivalence néo-ricardienne car David Ricardo au début du XIXème siècle en avait déjà eu l’intuition, est considéré comme étant particulièrement pertinent lorsque les Etats sont surendettés. Nous y sommes.
La baisse des dépenses publiques peut alors relancer la croissance car les agents économiques n’auront plus à craindre de devoir faire face à une brutale augmentation des impôts pour financer des dépenses insoutenables, que personne ne cherche à contenir, par facilité, clientélisme ou lâcheté. C’est ce qui explique que plusieurs pays – Danemark, Irlande notamment – aient pu connaître par le passé une augmentation de leur croissance provoquée par la baisse de leurs dépenses publiques. L’explication en est simple : les agents économiques peuvent de nouveau consommer et investir car ils n’ont plus peur du lendemain.
Chacun l’aura compris, cette croissance « anti-keynésienne » repose sur un facteur essentiel pour l’expansion de l’activité et la réussite des politiques économiques. Un facteur que François Bayrou entend restaurer en disant la vérité aux Français. La confiance.
Opposer croissance et baisse des dépenses publiques n’a donc tout simplement pas de sens dans un pays dont la dette atteint 90% du PIB. L’affaiblissement de la croissance à court terme qu’engendre la baisse des dépenses peut être largement compensé par la hausse de l’activité des acteurs privés, et, à moyen et long terme, le retour de la confiance qu’autorise le désendettement des administrations publiques est indéniablement un facteur de croissance pour le pays.
C’est donc bien une baisse des dépenses publiques couplée à des réformes structurelles sur les marchés des biens et du travail et à un soutien déterminé à nos PME qui serait le plus sûr moyen d’augmenter notre potentiel de croissance et notre compétitivité. Encore faut-il avoir le courage de le dire au Français.
La troisième accusation revenant à expliquer que le projet de stabilisation des dépenses en valeur serait irréalisable parce qu’il conduirait à geler certaines dépenses très dynamiques, en particulier celles qui sont liées au vieillissement de notre population ou au progrès des techniques est un mauvais procès fait au programme de François Bayrou.
En effet, c’est bien une stabilisation et non un gel qui est proposé. Les mouvements de crédits au sein de cette enveloppe de 1034Md€ seront nécessaires, personne ne l’ignore. Certaines dépenses publiques sont sur une trajectoire dynamique. Elles devront être freinées. Mais elles pourront augmenter, à condition que d’autres dépenses soient diminuées à due concurrence.
Quatrième et dernière accusation, enfin, celle d’avancer masqué en cachant les dépenses qui feront l’objet de coupes sombres. Cette question, de la plus haute importance, mérite en effet d’être posée.
Mais seulement dans un second temps, une fois que le principe de la stabilisation au niveau des 1034Md€ sera actée.
Car les attaques politiciennes et corporatistes, sitôt que telles ou telles dépenses seraient désignées comme devant faire l’objet d’une baisse de leurs crédits, mettraient bien vite à bas toute tentative d’adoption d’une règle générale et vertueuse.
La règle de la stabilisation, en effet, a pour objectif de faire comprendre aux administrations publiques que l’ère de l’augmentation continuelle des dépenses, d’une année sur l’autre, doit prendre fin dans notre pays.
Oui, des crédits doivent pouvoir diminuer si une politique n’est pas assez efficace ou si le pouvoir politique estime qu’il est nécessaire d’en financer une autre.
Non, un bon budget n’est pas un budget en augmentation, mais un budget dans lequel chaque euro est dépensé de manière efficace et efficiente.
Aussi, dès le début de la nouvelle législature, le gouvernement réunira-t-il une grande conférence rassemblant les différents partenaires de la Conférence des Finances Publiques devenue depuis peu la Conférence du Déficit Public. L’Etat, ses opérateurs, les collectivités territoriales et les administrations de sécurités sociales devront s’asseoir autour d’une même table et se mettre d’accord entre eux sur la répartition des crédits avec une ligne rouge : ne pas dépasser la barre des 1034Md€.
Bien sûr, cet accord ne se fera pas sans un échange approfondi. Mais tous les acteurs devront dialoguer, et ce sera une première, pour lui proposer les arbitrages les plus équilibrés. Et c’est au pouvoir politique qu’il appartiendra, au final, de trancher.
Alain Lambert
Ancien Ministre
Cet effet « ricardien » a été présenté sur ce même blog dans un billet du 12 mai 2006, qu’il est interessant de relire (« dettes d’aujourd’hui, impôts de demain »)
Vous imaginez mon accord total et complet avec ce billet. Vite, à Bercy !
« Bien sûr, cet accord ne se fera pas sans un échange approfondi. Mais tous les acteurs devront dialoguer, et ce sera une première, pour lui proposer les arbitrages les plus équilibrés. Et c’est au pouvoir politique qu’il appartiendra, au final, de trancher. » « L’Etat, ses opérateurs, les collectivités territoriales et les administrations de sécurités sociales devront s’asseoir autour d’une même table et se mettre d’accord entre eux sur la répartition des crédits avec une ligne rouge : ne pas dépasser la barre des 1034Md€. »
Il faudrait commercer par un « Grenelle » intra-ministériel » : L’Etat dialoguant avec lui même si possible de manière transparente. On peut rêver ! Ensuite seulement convier les autres partenaires … Sinon, le ver est dans le fruit et il y reste.