Article publié chez Atlantico le 13 avril 2023, avec Alain Lambert, Nathalie Goulet, Bertrand-Léo Combrade.
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L’Assemblée nationale a rejeté l’examen de la Loi de programmation militaire, jugeant que son étude d’impact commandée par le gouvernement était insuffisante.
Atlantico : L’étude d’impact de la nouvelle loi de programmation militaire a été jugée insincère par l’Assemblée nationale ce mercredi. L’ insincérité, la partialité ou la superficialité des études d’impact accompagnant les textes de loi est-elle devenue chronique ?
Bertrand-Léo Combrade : La Conférence des présidents de l’Assemblée nationale (qui reproduit la configuration politique de l’hémicycle) a effectivement refusé d’inscrire à l’ordre du jour le projet de loi de programmation militaire. Elle a considéré que l’étude d’impact accompagnant le texte ne satisfaisait pas aux exigences fixées à l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009. Pour le dire autrement : il est reproché au Gouvernement (à tort ou à raison) de ne pas avoir fourni une évaluation suffisamment précise des incidences attendues du texte.
L’insuffisance des études d’impact n’est pas un phénomène chronique. Disons que, depuis que cette obligation a été inscrite dans le droit positif, le Gouvernement présente des évaluations de qualités très variables. Dans la période récente, l’étude d’impact du projet de réforme des retraites a été vivement critiquée pour avoir presque totalement occulté, en particulier, les incidences macroéconomiques, sociales et financières du décalage de l’âge de départ à la retraite.
Nathalie Goulet : Ce sujet est loin d’être théorique ou réservé à une élite spécialiste du droit parlementaire, il concerne chaque citoyen puisqu’il concerne la fabrication de la loi. Le parlement doit être en possession de données qui éclairent son travail et conditionnent les votes. Si les données sont tronquées, que faire ? L’Assemblée Nationale nous offre une réponse particulièrement intéressante et qui suscite nombre de réflexions.
L’Assemblée nationale vient donc d’utiliser un outil existant mais totalement oublié de l’arsenal du contrôle parlementaire. Cette possibilité pour la conférence des présidents de saisir le Conseil constitutionnel en cas de non-conformité de la présentation prévue par la loi organique du 15 avril 2009. Cet outil existe aussi au Sénat c’est l’article 29 alinéa 6 de notre règlement. La loi organique a instauré l’obligation de joindre une étude d’impact à certains projets de loi afin de mieux éclairer le choix en matière législative et améliorer la loi. La conférence des présidents a renvoyé l’étude d’impact sur la LPM devant le Conseil constitutionnel après l’avoir jugé insincère.
Il y a quelques mois, Alain Lambert, Président du Conseil National d évaluation des Normes (CNEN), appelait à un contrôle du juge administratif de la qualité des études d’impact, visant à ce que ces dernières ne soient pas simplement un appendice au projet, mais un véritable éclairage pour le législateur.
Cette question est essentielle en matière de financement des collectivités locales. Par exemple, le parlement vote de nouvelles normes qui vont entraîner des dépenses pour les collectivités territoriales, l’étude d’impact ou les prévisions données par le Gouvernement donnent un coût de 100, en réalité le coût est de 1000 ?
Vous comprenez que la position du législateur ne sera pas la même selon que le chiffrage est sincère ou ne l’est pas. L’étude d’impact alibi insincère bâclé, c’est quand la loi rentre en application que les problèmes commencent. Quand une étude d’impact est bâclée et se trouve démentie par la réalité, on peut considérer que le gouvernement cherche l’accord du législateur et son consentement sur la base d’éléments erronés en usant d’une sorte de tromperie… un dol…
Une solution serait de pouvoir sanctionner les lois qui auraient une étude d’impact déficiente par une QPC.Cela aurait pu éviter quelques désastres, à commencer par la loi Climat et Résilience, ruralicide dans ses dispositions concernant le Zéro artificialisation nette. L’étude d’impact de ce texte a été particulièrement médiocre voire inexistante. L’application de ce texte est aujourd’hui très compliquée. Elle interdit quasiment aux territoires ruraux la moindre construction. Par exemple, si on a besoin de construire, en Normandie, plus d’usines à Caen ou au Havre, il faudra que les territoires ruraux comme l’Orne compensent les territoires grignotés par les zones économiques où les aménagements routiers.
L’étude d’impact est une obligation fixée par une loi organique, en cas de manquement il faut pouvoir sanctionner le gouvernement. Les études d’impact « alibi » se sont généralisées. Pourtant elles sont primordiales à une bonne pratique législative.
Alain Lambert : La conférence des Présidents de l’Assemblée Nationale a pris la décision majeure et salutaire qui s’imposait pour faire enfin respecter notre Constitution et sortir de l’ornière des études d’impact bâclées. Ce coup de semonce était urgent et indispensable pour réveiller le gouvernement qui restait sourd à nos alertes. Au-delà de celle relative à la loi de programmation militaire, ce sont toutes les études d’impact qui sont en question. Aucune ne s’est distinguée pour sa qualité.
Atlantico : Le gouvernement met-il suffisamment de temps et de ressources dans les études d’impact ? Les moyens dont dispose le parlement pour examiner ces études d’impact sont-ils suffisants ?
Bertrand-Léo Combrade : Je ne suis pas dans le secret des ministères qui se chargent de la rédaction de ces études ou qui externalisent cette tâche à des cabinets d’avocat ou de conseil. La réforme des retraites a révélé que le Gouvernement avait à sa disposition un certain nombre d’informations qu’il s’est abstenu d’intégrer dans l’étude d’impact. Il y a donc, a minima, un manque de coordination entre les ministères lors de la rédaction de ces études.
Quant au Parlement, il ne dispose ni du temps, ni des moyens de contre-expertise suffisants pour apprécier en connaissance de cause la pertinence des informations transmises par le Gouvernement. À l’évidence, cette asymétrie d’information est problématique.
Nathalie Goulet : D’abord, il n’est pas certain qu’il y ait une volonté du gouvernement d’être très transparent. Ensuite, il n’est pas certain que les législateurs aient le temps de lire toutes les études d’impact. Parfois elles ne sont pas jointes, parfois elles n’existent pas car, au lieu de passer par un projet de loi, le gouvernement décide d’utiliser un parlementaire bienveillant de sa majorité pour déposer au lieu et place une proposition de loi, ce qui fait sauter l’obligation de l’étude d’impact, l’avis du conseil d’État etc…
C’est un jeu de passe-passe entre le gouvernement et sa majorité pour manipuler la procédure parlementaire. Les Assemblées n’ont pas les moyens nécessaires, dans le délai contraint de l’examen des textes, pour vérifier tout le contenu des études d’impact, le gouvernement si. Il dispose de toutes les données et les services nécessaires.
Alain Lambert : Nous assistons à un dévoiement du principe. L’étude d’impact vise à améliorer le contenu des lois, en envisageant toutes les solutions alternatives possibles. Elles sont faites à l’envers et instrumentalisées pour servir la communication politique des gouvernements. Alors qu’elles doivent précéder l’écriture du projet de loi, elles sont rédigées après pour tenter de justifier le texte.
Atlantico : Nous avons intégré l’obligation des études d’impact dans la loi organique de 2009. Que nous dit la faiblesse de ces dernières et du mépris accordé à cet enjeu de notre culture politique ?
Bertrand-Léo Combrade : Il est plus facile de changer les textes que de changer les mentalités… Vous avez beau imposer au Gouvernement d’accompagner des projets de texte d’une étude d’impact, il ne va pas renoncer à ses réformes au motif qu’une évaluation met en lumière les incidences négatives d’une loi qu’il a annoncée. Le Gouvernement doit mettre en œuvre le programme politique sur lequel le Président de la République a été élu. C’est en tout cas ainsi que les choses sont perçues par les électeurs et les gouvernants.
Alain Lambert : Cette question est emblématique d’un pouvoir exécutif français arrogant, à la vertu ostentatoire, et qui aime à l’étaler dans les textes fondamentaux pour s’y soustraire ensuite souvent de piètre manière. Cela n’a pas commencé avec l’actuelle présidence, le mal est ancien et profond. Il tient probablement à un excès de rationalisation du Parlement et à l’hypertrophie de l’Exécutif.
Atlantico : Comment faire sortir les études d’impact de l’angle mort des politiques ? L’étude d’impact n’aurait-elle pas intérêt à précéder l’élaboration d’un texte plutôt que d’y faire suite ?
Bertrand-Léo Combrade : Au sein des cabinets ministériels, l’étude d’impact est encore perçue comme un épouvantail technocratique. C’est la voix de l’administration, de Bercy, qui va tout faire pour décourager le Gouvernement d’agir. Il faut changer de culture. Passer du solutionnisme incantatoire (Un problème ? Une solution législative !) à une éthique de la responsabilité. Bien-sûr, il serait préférable que l’étude d’impact précède l’élaboration d’un texte alors que, la plupart du temps, elle est rédigée après.
Mais dans l’idéal, c’est au stade de l’élaboration des programmes politiques qu’il faudrait réfléchir aux incidences économiques, financières, sociales et environnementales des réformes proposées ! Cela responsabiliserait les candidats en décourageant le populisme. Les électeurs identifieraient les hommes et femmes politiques qui se donnent la peine de réfléchir aux conséquences de leurs propositions et ceux qui sont persuadés d’être détenteurs d’une vérité non démontrée.
Nathalie Goulet : Il faut d’abord exiger que le gouvernement fasse son travail. Ensuite, il faut imaginer de nouvelles voies de recours pour s’assurer que les études d’impact soient faites, dans les règles, et qu’elles soient de qualité. C’est une obligation quasi-constitutionnelle qu’il nous faut respecter. J’ai déposé une proposition résolution pour modifier le règlement du Sénat, et pour ouvrir aux présidents des groupes politiques la saisine du Conseil Constitutionnel. Il nous faut pouvoir sanctionner des textes mal paramétrés. La voie ouverte par le rejet de l’étude d’impact sur la LPM doit permettre une réflexion plus large sur les recours en cas de manquement. Il faut aussi un temps législatif un peu plus long pour prendre le temps d’examiner les études d’impacts.
Alain Lambert : Le Parlement s’est émancipé, il a pris la main, il vient d’administrer magistralement la preuve qu’il peut refuser d’examiner des textes qui n’ont pas été élaborés dans le respect de la constitution. Il faut l’encourager à poursuivre sur ce chemin. Stopper la dégradation de notre droit relève en priorité de sa responsabilité.
Atlantico : Le saint-simonisme dont fait preuve Emmanuel Macron peut-il avoir contribué à renforcer le peu de cas apporté aux études d’impact ?
Bertrand-Léo Combrade : Je pense au contraire que la logique de l’étude d’impact s’accordait parfaitement au saint-simonisme que l’on prête parfois à Emmanuel Macron. L’étude d’impact n’est ni de gauche, ni de droite. Elle invite les responsables politiques à sortir du manichéisme en faisant preuve de plus de pragmatisme. Il est même possible que le Président de la République juge très favorablement le recours à cet outil. Le problème c’est que ce n’est certainement pas à l’Elysée que ces études sont rédigées.
Alain Lambert : Pas nécessairement. A force de rationalisation du Parlement, c’est tout l’équilibre démocratique de notre République qui s’est progressivement dégradé. Il est salvateur que les parlementaires manifestent enfin clairement leur autorité. L’Assemblée Nationale vient de le faire d’une excellente manière. Elle ne rejette pas la loi mais renvoie la copie à son auteur. Le ramenant ainsi enfin à sa juste place constitutionnelle.
Atlantico : Ne faut-il pas craindre que renforcer les contraintes des études d’impact renforcent la tentation de les contourner ?
Nathalie Goulet : Si la crainte de la transparence entraîne des manipulations du gouvernement pour les contourner, ce ne serait pas à la hauteur de nos principes démocratiques et du respect du Parlement.
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