L’inflation normative se traduit par un accroissement déraisonnable du volume du droit positif et une complexité inextricable. Elle est régulièrement dénoncée en France comme source d’instabilité de la règle de droit, de coûts indirects pour l’économie et la société et d’atteinte à la crédibilité de l’action publique. Elle est rarement citée comme menace pour nos finances publiques. Pourtant, la question est très présente dans les nombreux rapports savants consacrés à la qualité réglementaire au cours des dernières années, voire décennies. Elle a été mise en évidence par un rapport OCDE de 2004 qui en a estimé le coût à 3 points de PIB.

Les coûts sont méconnus puisqu’ils ne sont pas sérieusement calculés. Les seules indications disponibles sont les évaluations des prescripteurs de la norme. Comme si l’on confiait l’éthylomètre à la diligence du conducteur poivrot. Le nombre annuel moyen de lois a cru de plus 35 % en trente ans. Sans compter l’incroyable production de l’édifice réglementaire, au moyen de décrets, arrêtés et circulaires de toutes sortes. La taille moyenne des textes a augmenté de 3 fois. Le journal officiel craque les plafonds d’octets. Et ceci ne concerne que le flux, car il n’existe pas d’instrument statistique systématique permettant d’appréhender les stocks réglementaires. Actuellement, ce stock de textes est estimé à environ 8.000 lois et 400.000 textes d’ordre réglementaire divers, incluant les décrets, arrêtés et circulaires.

Cette « intempérance normative » menace l’état de droit, mais tout autant la soutenabilité de nos finances publiques. Car, derrière chaque norme se cachent des dépenses inutiles, cachées sous le voile pudique de la vertu de Sainte Précaution. La pusillanimité est déguisée en prudence. La couardise en courage. Et la fuite devant la responsabilité en moralité. L’usage principal de la norme est aujourd’hui la communication politique et la gestion anesthésique des crises et évènements. Ce « mal français » est inconsciemment entretenu par les milieux professionnels et l’opinion publique qui se dopent au réconfort de la loi pour apaiser leurs tourments ou leurs révoltes.

La France est perçue à l’extérieur comme « le Pays des normes ». Les nombreux efforts engagés pour endiguer le phénomène ne produisent pas les effets à hauteur du danger. Un système de « neutralisation », même temporaire, serait nécessaire. Ne serait-ce que pour vérifier que le Pays peut vivre mieux sans ces béquilles normatives qui entravent sa marche.

Chronique publiée le 11 février 2018.