Dans un courrier rédigé le 3 janvier à l’attention de la Première ministre, Territoires unis demande à ce que les procédures de saisines en urgence du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) soient mieux régulées. « La Gazette » a demandé à son président, Alain Lambert, en quoi la mise en œuvre répétée de ces procédures est problématique.
Quand on lit les délibérations du CNEN, on remarque que les saisines en urgences sont pourtant fréquentes. Quelle a alors été la goutte d’eau à l’origine de cette lettre ?
C’est la séance du 15 décembre. Nous avons été saisis de huit textes en urgence et de trois en extrême urgence, sur un total de 27 textes. Soit, 40 % des textes à examiner en urgence. Il devenait donc très urgent et totalement légitime d’alerter la Première ministre pour lui demander d’encadrer enfin le recours à ces procédures en donnant instruction au secrétariat général du gouvernement de veiller à la régulation.
Le CNEN est né en 2013 par la volonté du Parlement précisément pour empêcher que le gouvernement produise trop de normes pour les collectivités locales. Dès cette époque, la procédure d’urgence avait été envisagée, en considérant qu’elle devait rester raisonnable. On en est bien loin. La séance du 15 décembre en a été une vraie caricature. Mais elle est l’arbre qui cache la forêt, car le nombre de saisines en urgence est en augmentation régulière et conséquente depuis plusieurs années : les statistiques sur dix ans sont accablantes.
Empêcher le CNEN d’exercer sa mission conformément à la volonté du législateur est une offense faite au Parlement, et aux collectivités territoriales.
Qu’est-ce qui justifie selon vous ce recours aux saisines en urgence ?
Les vraies procédures d’urgence sont justifiées pour un dixième d’entre elles. D’ailleurs, nous nous faisons un devoir d’y répondre au plus vite. Pour les autres, les prétextes souvent utilisés sont le passage devant le Conseil d’Etat quelques jours plus tard. Mais cela n’a strictement aucun sens, ou cela révèle une absence totale de programmation de la production normative. Le choix de délais très courts vise clairement parfois à chercher à nous empêcher d’exercer pleinement notre mission.
En fin d’année, nous avons constaté que le seul motif réel de l’urgence était d’améliorer optiquement l’indicateur de publication des textes d’application des lois. Ces précipitations sont caricaturales : le but d’un texte n’est pas qu’il puisse endimancher un indicateur, mais de servir l’intérêt général. Quand sa rédaction est imparfaite parce qu’elle trop précipitée, non seulement le but d’intérêt général n’est pas atteint, mais il est abandonné au bénéfice d’une préoccupation purement technocratique.
Dans une circulaire du 27 décembre, la Première ministre enjoint ses services à prendre rapidement les décrets d’application des lois. Est-ce compatible selon vous avec les demandes de Territoires unis ?
Pour nous, la course à la publication des décrets d’application est funeste, car elle opère un choix clair de quantité contre la qualité du droit. Le but vertueux consiste à ce que les lois connaissent la meilleure application possible, qu’elle atteignent leurs objectifs et non que leurs applications soient précipitées, par des textes imparfaits créant plus de problèmes qu’ils n’en résolvent. Si, par une rédaction imparfaite, parfois désinvolte, un mauvais décret aboutit à une mauvaise application de la loi, c’est pire que de ne pas avoir publié de décret.
Nous subissons un exemple saisissant : les décrets relatifs au ZAN ont été pris tellement précipitamment, sans aucune concertation avec les territoires, contre nos multiples avis défavorables, que le nouveau ministre est obligé aujourd’hui d’annoncer qu’il va les réécrire. On voit bien que le gouvernement n’a aucune stratégie normative raisonnable. Je crains même qu’une déconnexion grandissante se creuse aujourd’hui entre une administration centrale, uniquement obsédée par ses indicateurs, et les attentes des collectivités pour servir l’intérêt général.
Nous ne percevons aucune préoccupation d’intérêt général dans ces précipitations. Exclusivement une course aux indicateurs.
Le Sénat va lancer les états généraux de la simplification des normes applicables aux collectivités. En tant que président du CNEN, que pensez-vous de cette démarche ?
Le propre des états généraux, c’est de permettre aux élus du territoire d’exprimer leur ressenti. Ils sont donc particulièrement utiles aujourd’hui, dans une période où nous assistons à une avalanche de textes venant d’en haut, dans l’ignorance absolue des préoccupations d’en bas.
Je pense donc que les états généraux vont permettre de faire le point entre les attentes des élus de terrain et la conception qu’en a le gouvernement central. Je souscris donc pleinement à cette démarche !
Interview issu de La Gazette. Publié le 24/01/2023 • Par Léna Jabre • dans : Actu juridique, France.
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