Un usage des sols favorable à l’harmonie sociale
Le gouvernement semble s’obstiner à vouloir, dans la précipitation, adopter les textes d’application de la loi « climat et résilience », et notamment ceux relatifs à l’artificialisation des sols.
Si personne ne conteste la très haute importance de la lutte contre le dérèglement climatique, chacun doit veiller à rester attentif à sa réussite et donc au sérieux et au réalisme de sa mise en œuvre. En veillant également à sa contribution à la même réussite de nos activités agricoles, industrielles, commerciales ou de services ; à la qualité de l’habitat de nos concitoyens et aussi aux liens qui relient et unissent nos territoires si importants pour notre harmonie sociale.
Une compétence de proximité nécessaire
Cette responsabilité, depuis les lois de décentralisation, appartient aux collectivités locales, assemblées élues par les habitants de proximité, qui se sont montrées soucieuses de sobriété foncière au sein d’un débat local avec les acteurs agricoles. Ont-elles à ce point démérité pour entraver le développement futur de leur territoire par l’échelon central lequel, avant les années 1980, nous a inventé les banlieues, les ZUP, ZAC, ZAD, ZAE, ZAN, ZAP, ZAT, et la trentaine de zones issues de la politique de la ville dont le legs est constitué par les quartiers défavorisés et les zones de non-droit qui font aujourd’hui la triste actualité ?
L’histoire de l’urbanisme en France illustre l’incessante volonté du pouvoir central à vouloir déterminer, avec ses propres instruments, l’organisation et la destinée de nos territoires. Les lois de décentralisation avaient rééquilibré les pouvoirs. Depuis d’autres lois (SRU, DALO, ALUR, NOTRe, ELAN) et d’autres encore sont venues encadrer les libertés conquises. Leur réputation ne rime ni avec liberté, ni simplicité, ni efficacité.
C’est pourtant un nouveau transfert rampant de pouvoir auquel les décrets « artificialisation des sols » en cours conduisent, sans que personne ne semble en mesurer réellement ni la portée ni les conséquences. Alors qu’il s’agit probablement d’instruments susceptibles de figer, d’immobiliser l’évolution des départements ruraux et de nos territoires faiblement peuplés. Et d’emboliser les unités urbaines.
Comme, encore une fois, il n’est pas question ici de contester l’utilité de lutter contre l’artificialisation excessive des sols, l’idée n’est donc pas de s’opposer aux orientations de la loi, laquelle évoque d’ailleurs un engagement national, ce qui laisse supposer, au moins tacitement, une forme de nécessaire adhésion des acteurs locaux. Il s’agit donc de viser à ce que les règles d’application ne créent pas de nouveaux dogmes qui viendraient anéantir toutes les décisions de proximité prises en fonction des situations locales et du bon sens qui les inspirent généralement.
Une nomenclature aux conséquences imprévisibles
Or, l’enjeu d’un des trois décrets proposés consiste à instaurer une nomenclature détaillée des surfaces artificialisées et non artificialisées, ainsi que l’échelle à laquelle elle sera appréciée au niveau des documents locaux d’urbanisme. Autant dire que cette nomenclature constitue le cadre de référence à partir duquel s’appliquera la définition de l’artificialisation. Outre le fait qu’elle détermine des catégories de surfaces incertaines et arbitraires, on ne parvient pas à comprendre la précipitation avec laquelle il est décidé de l’adopter. Les seuils à partir desquels elle s’appliquera sont renvoyés à un arrêté. Et la période à partir de laquelle ses effets deviendront majeurs commencera dans dix ans. Vouloir graver dans le marbre, à la semaine près, des règles aussi imprécises que précipitamment conçues alors qu’elles ont vocation à s’appliquer tout au long des trente années qui viennent, avec un premier rendez-vous dans dix ans, est pour le moins imprudent à moins que cela ne soit suspect.
Rien ne semble justifier la précipitation avec laquelle le Ministère de l’Écologie souhaite prendre le décret dit « nomenclature » dont l’urgence est motivée de manière plus que contradictoire. En premier lieu, son contenu est présenté comme indispensable à l’application de la « définition de l’artificialisation ». C’est donc qu’il contient des dispositions essentielles et déterminantes à cette définition. Et comme il prête à de lourdes difficultés et discussions préalables, il ne peut être sérieusement adopté dans une précipitation susceptible d’entacher la définition en question. En second lieu, il est ouvert une période transitoire de dix ans afin de déployer les outils d’observation et mettre en place progressivement une nouvelle métrique, et ainsi permettre la stabilisation et la structuration des moyens de suivre la définition retenue, lesquels seront retenus pour la territorialisation conduite par les collectivités territoriales. Si le législateur a ouvert cette période transitoire, c’est bien pour éviter toute mauvaise interprétation d’une définition qui n’a pas trouvé de consensus aujourd’hui au sein de la communauté des experts. Le prétexte du contentieux de Toulouse ne justifie rien, au sens où le Conseil d’État restera toujours le gardien vigilant pour empêcher les conséquences manifestement excessives en raison des effets produits par un texte comme ledit décret.
Quant à l’opérationnalité de la nomenclature, les collectivités territoriales sont fondées à la mettre sérieusement en doute dès lors qu’elle ignore les données du fichier foncier et notamment la nouvelle génération de données vectorielles sur le cadastre qui permettent d’analyser le processus d’artificialisation à l’échelle de l’unité spatiale de décision, c’est-à-dire la parcelle ou le lot de parcelles, permettant ainsi l’analyse des interactions avec les zonages d’urbanisme. L’absence actuelle de données harmonisées pour mesurer l’artificialisation conduit à des écarts très grands d’évaluation qui nécessitent des choix clairs, co-décidés, tenant compte de l’avis des autorités locales qui ont en charge la conduite de la territorialisation de la réforme.
Quant au renvoi, dans un second temps, à un arrêté pour fixer les seuils de qualification, il est motivé par le fait de permettre de poursuivre davantage la concertation avec les parties prenantes sur les modalités d’opérationnalité, ce qui est vrai pour les seuils l’est tout autant et même plus encore pour toutes les autres modalités contenues dans le décret.
Les règles élaborant cette nomenclature ne s’écrivent pas sur une page blanche mais sur des sols portant l’empreinte de siècles d’histoire et d’aménagement, s’appuyant aujourd’hui sur des outils déjà complexes comme les PLU, les SCOT, dont l’adoption a été parfois laborieuse et l’application décevante, mais avec le mérite d’avoir été conçus par les autorités locales, échelon de proximité et d’action. A rebours de cette démarche, ces projets en cours adoptent une approche résolument centralisatrice recourant à des dispositifs rigides, uniformes, fixés nationalement dans l’ignorance de la diversité de la France.
Un autre décret prévoit que cette nomenclature servira à la déclinaison à l’échelle régionale de cet objectif de zéro artificialisation. Tant pis pour les régions les moins développées. Elles sont sans doute destinées à le rester.
Une précipitation que le Premier Ministre semble percevoir sans la suspendre
Le Premier Ministre a bien tenté d’apaiser les inquiétudes au moyen d’une circulaire, discrètement publiée sur le site du Ministère de la transition écologique, sans toutefois lever le doute sur la précipitation en cours. Donner le temps de la concertation au décret permettrait de le faire. A défaut, c’est tout le processus de révision des documents d’urbanisme qui risque d’être compromis ou conflictuel. Si un délai supplémentaire a été adopté, les inquiétudes demeurent dans de nombreux territoires, d’autant que certains services déconcentrés de l’État font une interprétation rétroactive des textes en discussion pour justifier l’arrêt de certains projets d’aménagement et de construction, ignorant les besoins et enjeux locaux en interrompant des projets qui y répondent. Ce qui vient en contradiction avec la politique ambitieuse annoncée de relance de la construction durable d’accueil et de relocalisation des activités industrielles et de revitalisation des espaces urbains et ruraux.
La clé de la réussite repose sur l’adhésion et non la contrainte brutale
La clé de la réussite de la lutte contre le réchauffement climatique repose sur une adhésion solide de l’ensemble de la nation et de ses élus de proximité qui ont déjà enclenché des évolutions fortes en ce sens. La logique punitive des textes proposés viendra fragiliser les dynamiques engagées, susciter des méfiances et des résistances et contrarier les trajectoires coconstruites localement. La définition d’une vraie politique nationale en faveur de la protection des sols pour réduire leur artificialisation nécessiterait l’affirmation d’une « cause nationale » s’appuyant sur un fort soutien local organisé en engagement territorial commun pour transmettre aux générations montantes une terre propice à leur épanouissement.
Le CNEN a émis un avis défavorable à ces décrets « artificialisation ».
La sagesse consisterait à ce que ce décret « nomenclature », – s’il venait à devoir être absolument pris, alors que son urgence n’est en rien démontrée, – soit adopté comme « provisoire » pour une durée d’un an, afin que toutes les concertations et toutes les prévisions et évaluations de ses effets puissent en être préalablement maitrisées.
A défaut, nous entrerons dans un enfer normatif aussi paralysant que celui qu’avait suscité ou suscite encore le principe de précaution.
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