Retrouver le sens antique du mot crise
La crise sanitaire inédite que nous traversons et le confinement auquel nous sommes tenus nous invitent à la réflexion. L’étude historique de la notion même de crise nous instruit que le concept nous a été légué par la Grèce antique avec une toute autre signification qu’aujourd’hui. A l’époque le mot crise signifiait : choix, lutte et décision ! Et c’est cette définition que je souhaite défendre dans ce propos.
Souvenir d’une expérience douloureuse
L’envie d’écrire ces lignes m’est venue en me remémorant le cataclysme que la fermeture de Moulinex avait créé dans notre ville d’Alençon, et la difficulté face à laquelle je me suis trouvé dans mon fonction de Maire, comme garant de la protection et de l’intérêt général de la population. Avec le recul, je comprends mieux pourquoi la détermination à ne rien céder à la panique avait pu apparaître aux premiers touchés, les salariés, comme une forme de distance, ou d’insensibilité à ce qu’ils vivaient. Et pourtant ! Dans ce genre de moment, c’est le destin de chaque famille, prise individuellement, qui vous précipite dans une violente émotion. Vous sentez intuitivement qu’elles ont besoin de faire le deuil de leurs espérances évanouies. Mais vous savez aussi que vous n’avez pas le temps de partager ce moment indispensable de recueillement individuel, car c’est du destin de la cité toute entière dont vous êtes responsable. C’est devant les acteurs économiques qui seront demain vos pourvoyeurs d’emploi qu’il vous faut montrer que la ville est debout, que ses habitants sont des combattants et que ce qui vient de s’effondrer, sous leurs yeux, pourra être reconstruit demain, par eux-mêmes. Je me souviens de cette formule que j’avais alors employée à dessein : « ce n’est pas Moulinex qui vous a fait, c’est vous qui avez fait Moulinex ! ». Je me souviens aussi des métaphores utilisées pour marquer au fer rouge notre indestructible détermination ! Lancer l’opération Phénix, l’afficher sur les Champs Elysée, grâce à la générosité de Jean-Claude Decaux, poser la 1ère pierre d’une future usine sous les caméras du journal de 20h. Lancer une adresse à la presse nationale pour l’inviter à cesser de nous regarder avec compassion. Aucune place n’était laissée au doute, et moins encore à la résignation. A la vérité, en cas moments, chaque minute compte pour préparer le rebond après la chute. Et ma conviction est que c’est pendant cette période de confinement que la France doit soigneusement préparer son nouveau départ.
On ne peut évidemment pas comparer une ville à un Pays tout entier, ni une fermeture d’usine, fut-elle la plus grosse, à une pandémie mondiale.
Utiliser le temps du confinement pour préparer le rebond
Cependant, j’ai en moi la certitude que c’est dans la préparation du rebond que nous retrouverons les forces pour nous relever. Les crises sont des moments clés pour engager les processus de changement. Elles sont des moments de vérité ; elles dévoilent toutes les faiblesses et les lâchetés qui ont conduit les Pays à distribuer plus qu’ils ne savaient produire, tout en créant des inégalités. Les crises légitiment les remises en cause des repères usés, des systèmes désuets ou ruineux, car la réparation des dommages ne permettra plus ces écarts.
Passer du « surseoir » au sursaut
C’est un grand basculement qu’il faut oser. Et le réaliser dès la sortie du confinement. Ces moments de l’histoire rendent évidentes des décisions qui semblaient impossibles hier et qui devient nécessaires aujourd’hui. La peur de l’avenir nous hantait. Le pire est arrivé ! Alors qu’il tienne lieu de persuasion collective de l’urgente nécessité du changement. Le temps du « surseoir » doit céder la place au sursaut ! Une pensée neuve doit surgir du chaos. Notre capacité à nous remettre en cause, nous rendra légitimes pour être partie prenante dans les ajustements tectoniques qui vont s’opérer entre continents après la crise. De nouveaux « Yalta » se préparent. Justifions d’y avoir notre place. Notre capacité à peser sur la marche du monde s’essoufflait à raison de notre inertie face au changement. Il est arrivé sans que nous l’ayons décidé. Alors préemptons-le plutôt que le subir.
Devenir ce que nous voulons être
Beaucoup de nos faiblesses tiennent à nos défauts, et non à nos contraintes. Nos forces sont plus puissantes que ce qu’elles produisent puisque nous ne cessons de les entraver nous-mêmes, par un délire de lois et de taxes. Au fond, la crise nous ressemble, elle nous révèle ce que nous sommes. Donc, elle peut nous aider à devenir ce que nous voulons être !
Libérer les forces vives
Alors convoquons d’urgence nos espoirs raisonnables, puisons nos forces dans l’acceptation d’une nouvelle façon de vivre ensemble, plus simple, plus sobre, plus responsable. Comme au sortir d’un conflit mondial, quand tout est perdu sauf la vie, les décideurs politiques n’ont d’autre solution que le courage qui, seul, fonde leur utilité. Il leur faut assumer des choix clairs. Protéger les plus faibles en donnant simultanément aux plus entreprenants les marges immédiates de liberté nécessaires pour qu’ils produisent, innovent et inventent l’avenir. Repenser entièrement notre gouvernance et lever immédiatement les freins bureaucratiques qui découragent l’initiative.
Regarder devant nous
Ne perdons pas maintenant notre temps à discourir sur les motifs et les responsabilités des dysfonctionnements constatés. Ce serait un nouveau prétexte pour différer le changement. Le moment venu il apparaitra comme d’évidence, comme chaque fois, que la France est riche des meilleurs chercheurs en sureté et en gestion, qu’elle est même championne des grands plans de prévention et de gestion des situations de catastrophe. Mais que ces plans sont si beaux, si grands, si complets, si millimétrés, qu’ils sont trop théoriques, trop bureaucratiques, trop technocratiques pour être souplement appliqués sur tous points du territoire. Puisqu’en matière d’angle de vue administratif, rien n’est pensé de l’usager mais du pouvoir central.
Faire du confinement le tremplin du rebond
Pour conclure, la crise ne peut pas être pour un dirigeant un moment d’incertitude, c’est le moment du choix, de la lutte, de la décision. C’est un moment de vérité, un moment clé dans le processus de changement à engager C’est un grand basculement qu’il faut décider dès maintenant pour qu’il soit opérationnel dès la sortie du confinement. Les allègements du droit administratif temporairement prévus doivent être maintenus après le confinement et examinés dans une perspective de prorogation. Toutes les formalités administratives doivent être accélérées, instruites sans délai, maintenues dans leur validité en cas de péremption. Tout doit être fait pour que la France redémarre économiquement au plus vite. L’administration ne peut plus être un frein. Elle doit même être plus que facilitatrice et se poser en incitatrice, autorisée à appliquer toute réglementation avec un lumineux discernement. Les pouvoirs déconcentrés doivent pouvoir s’exercer selon un principe inédit de subsidiarité. La confiance à priori doit être décrétée. Le temps du contrôle a posteriori viendra. Ce n’est pas une énième réforme dont on a besoin, c’est d’une révolution copernicienne du fonctionnement de la France. Et la preuve sera ainsi faite que c’est dans la préparation du rebond que la crise peut être la clé du changement.
Très belle analyse et un véritable cap pour nos jeunes confrères D une époque troublée préparer une nouvelle époque en retrouvant des fondamentaux s inscrivant dans les exigences du monde à venir
Un notaire honoraire
Puissent tes propos ultra-pertinents être lus et pris en compte par tous ceux qui ont un pouvoir de décision dans notre pays.
Si, à l’énergie que devront déployer les entrepreneurs de tous ordres pour rebondir s’ajoute la lourdeur administrative (notamment réglements abscons en matière fiscale ) qui pénalise tant, l’immobilisme est assuré.
Hervé ( de la Mayenne)