Le confinement nous ouvre des perspectives de recherches infinies. L’émission d’avant-hier soir sur Notre Dame de Paris était somptueuse. Et voilà que je tombe sur une ITW de Michel Pastoureau dans le journal La Croix, évoquant l’hypothèse de « déconsacration » de notre joyau pour le transformer en musée.
De Saint-Ceneri, au Diocèse de Sées, dans l’Orne jusqu’à Notre-Dame de Paris !
Rappelons tout d’abord que Michel Pastoureau est le fils d’Henri, grand historien de Saint Céneri.
Michel présente son hypothèse mollement, ne la croyant lui-même guère possible, mais c’est le sujet de droit qui m’a immédiatement frappé et rappelé les passionnants échanges que j’ai eu l’honneur et la chance d’avoir avec notre Évêque, Monseigneur Jacques Habert, sur le droit qui régit la consécration. Et je lui suis encore reconnaissant d’avoir bien voulu accepter que nous penchions sur ce sujet sous l’angle juridique séparément du spirituel.
Mais la question évoquée par Michel Pastoureau, à propos des difficultés de concilier tourisme et culte, a des similitudes avec le travail que j’avais mené en 2016. Celui-ci portait sur des perspectives d’utilisation partagée de certaines de nos somptueuses églises Ornaises, afin de pouvoir continuer leur réhabilitation et les ouvrir à un usage supplémentaire à celui du culte, tout en veillant de la compatibilité entre ces différents usages.
Du problème de l’usage partagé d’un lieu de culte
Pour ma part, je trouverais dommage qu’une approche trop radicale de cette question, incontournable à terme, aboutisse soit à fermer ces édifices soit à les priver de culte, lorsque les circonstances le permettent. Sans être spécialiste, je constatais que certains offices étaient célébrés dans des lieux profanes, il serait bien difficile de comprendre pourquoi ils ne pourraient plus l’être dans une église « déconsacrée ».
Du cas de certaines églises en milieu rural
L’évolution des temps nous conduira, qu’on le veuille ou non, à devoir passer un jour, en la matière, de la réflexion à la décision. Et rien ne serait pire que devoir le faire sans avoir pris un temps long de réflexion. Les Autorités religieuses sont les plus à même d’analyser la compatibilité spirituelle, c’est pourquoi je m’étais collé à la question juridique.
De la question juridique
Passion du droit, quand tu nous tiens …
L’objectif juridique, à mes yeux toujours d’actualité, vise donc à examiner les modalités éventuelles d’une conciliation entre l’usage sacré d’une église, comme priorité incontestable, et un usage profane, dès lors que cet usage n’est pas inconvenant ni totalement contraire à la sainteté du lieu.
Mon intuition de juriste m’a souvent donné à penser qu’il n’y aurait pas beaucoup à forcer les principes du droit canon pour organiser des alternances d’usage sacré et d’usage profane. Sans nier les inévitables inconvénients qu’implique tout usage partagé, y compris dans tous lieux publics.
Nous traversons avec ce confinement une période d’assouplissement considérable de nos droits nationaux, sur tous les continents, n’est-ce-pas l’occasion, dès lors, pour examiner les mêmes perspectives pour le droit canon ?
En la matière, l’Autorité incontestée est l’Evêque diocésain, et ensuite le Maire et son conseil municipal, dans les conditions de la loi de 1907. J’avais d’ailleurs indiqué à l’époque que le Conseil départemental de l’Orne était prêt à mener, de concert avec l’Evêché, une expérimentation avec l’église de Saint Céneri dont il est propriétaire.
Le droit canon est un droit très juridique à valeur religieuse, c’est un droit hybride qui reste cependant très normatif, largement inspiré du droit romain. Il invite d’ailleurs à nous interroger sur notre propre droit. L’exercice est donc doublement intéressant et utile.
Le dernier canon du Code de droit canonique a été promulgué en 1983, et notre sujet relève du I de la troisième partie du livre IV consacré aux lieux sacrés. Le chapitre en question traite des églises qui sont des lieux sacrés, « destinés au culte divin ou la sépulture des fidèles » Ils donnent lieu à la dédicace ou la bénédiction. La dédicace revient à l’Évêque diocésain tout comme la bénédiction. Le canon 1210 précise les modalités d’usage du lieu sacré. Il édicte de façon limitative ce qui sera admis dans le lieu en le dédiant à « ce qui sert ou favorise le culte, la piété ou la religion », en précisant qu’il « y sera défendu tout ce qui ne convient pas à la sainteté du lieu » Néanmoins, il introduit une tolérance possible, de la manière suivante : « Cependant l’Ordinaire peut permettre occasionnellement d’autres usages qui ne soient pourtant pas contraires à la sainteté du lieu ». Le canon 1212 dispose que « les lieux sacrés perdent leur dédicace ou leur bénédiction « s’ils sont réduits à des usages profanes de façon permanente ». Il précise par exemple que « Si une église ne peut en aucune manière servir au culte divin et qu’il n’est pas possible de la réparer, elle peut être réduite par l’Évêque diocésain à un usage profane qui ne soit pas inconvenant ». Celui-ci, « après avoir entendu le conseil presbytéral, avec le consentement de ceux qui revendiquent légitimement leurs droits sur cette église et pourvu que le bien des âmes n’en subisse aucun dommage, peut la réduire à un usage profane qui ne soit pas inconvenant ».
Dans tous les cas, l’usage profane ne doit pas être « inconvenant », caractère dont l’évêque est seul juge.
S’agissant de notre droit public, il dispose que la désaffectation est une mesure prise par le préfet avec le consentement écrit de l’affectataire c’est à dire l’autorité diocésaine.
Ce long détour juridique effectué, il apparait clairement qu’il n’existe pas dans le droit canon d’interdiction formelle d’usage partagé dès lors que tout autre usage ne soit pas « inconvenant ». Ce qui permet des usages d’intérêt général nombreux. Il reste à les définir et le débat promet d’être nourri !
Du cas de Notre-Dame de Paris
Pour revenir, en terminant, à l’interview de Michel Pastoureau, je ne crois pas personnellement qu’il soit approprié de « déconsacrer » Notre-Dame pour la transformer en musée. Cette cathédrale est inséparable de sa fonction spirituelle, sauf à la détruire dans son fondement historique et sacré. Sans forcer les mots, on peut lui prêter une âme qui transcende les croyances et éveille les consciences. Comment dès lors imaginer sa « désacralisation », terme plus approprié que « déconsacration ».
Certes la cohabitation entre les touristes et les fidèles est un exercice qui relève de l’exploit permanent. Mais il mérite d’être accompli. Une idée pourrait consister à y célébrer les messes et offices plutôt à des moments dont la portée symbolique serait la plus forte.
Pour ma part, je plaide pour revenir à une approche respectueuse, notamment en gommant certaines fantaisies de Viollet-le-Duc, et ouverte sur la spiritualité, considérant que cette Cathédrale doit continuer à réaliser le miracle de la rencontre entre croyants et non croyants et les inviter tous à se mutuellement respecter dans toutes leurs dimensions humaines, celles du corps, de l’esprit et de l’âme.
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