Le débat notarial animé d’hier semble s’être apaisé. C’est bon signe. Cela peut vouloir dire que chacun réfléchit posément, avant d’affirmer des positions définitives.
Toutes les révolutions technologies ont suscité les mêmes doutes, assez légitimement, parce qu’elles ont offert d’immenses progrès et détruit d’autres acquis. Mais la marche du monde et l’ingéniosité des humains rendent impossible le statuquo. Pas souhaitable non plus.
J’ai beaucoup aimé la leçon du Professeur François Cheng qui conclut que c’est la mort qui donne sens à la vie. A défaut, s’il n’y avait pas de début et pas de fin, les humains n’auraient aucune raison de chercher le progrès puisque l’éternité leur serait promise.
La preuve que les humains sont mortels, c’est l’énergie qu’ils mettent inventer le futur et produire par exemple des évolutions de technologies avec les incroyables possibilités qu’elles offrent. Elles visent aveuglément à gagner le don d’ubiquité, pourtant privilège des Dieux, consistant à gommer toute distance, à partager l’image, le son, l’écrit, partout et en même temps, ce qui est quasiment faisable aujourd’hui, mais le but sera demain de poursuivre l’innovation sur les autres sens, c’est-à-dire l’odorat, le gout, le toucher. L’imprimante 3D en est un avant-goût.
Dès-lors, faut-il essayer de résister ou s’adapter. La 2ème solution semble plus raisonnable et même indispensable lorsque l’on a choisi le service des autres.
La magnifique fonction du notaire ne peut qu’accompagner cette marche effrénée du temps et se doter, à mesure de leur invention, des techniques leur permettant de faciliter l’accès à leurs services. L’agriculture et l’industrie ont connu des révolutions bien plus radicales, c’est au tour des activités tertiaires d’y être confrontées. Que l’on soit médecin, instituteur, magistrat ou notaire, le rapport avec l’usager va changer. L’intermédiaire numérique va s’interposer. On peut discuter de la manière, mais c’est d’une telle évidence qu’il serait incongru de chercher à y échapper. Mieux vaut s’avancer hardiment vers la technique et la domestiquer, l’organiser pour qu’elle serve la fonction native pour laquelle le professionnel a été institué.
Comme en toute chose, on peut être contre tout ou pour tout, sans discernement. La sagesse est d’avancer avec discernement en décomposant chaque élément de sa mission.
S’agissant de l’authenticité, l’étude du Professeur Aynès a eu le grand mérite de bien analyser chaque élément la composant : l’Autorité Publique, L’Officier public dans sa personne physique de qui émane l’acte, ses attributions au sens de sa compétence, les solennités qui sont requises, la réception de l’acte.
L’analyse exégétique réalisée par l’étude Aynès conclut que le processus d’authentification s’articule autour de deux pôles, l’homme, d’abord, c’est-à-dire l’Officier Public, légalement investi, et l’acte qui doit être dressé selon les solennités requises. Le fondement de la sécurité supérieure conférée par l’acte authentique étant : un acte instrumentaire, dressé, vérifié, et conservé, par l’autorité publique
A vouloir, pour des motifs d’actualité se focaliser exclusivement sur la signature, il conviendrait de ne pas oublier que la foi publique ne se limite pas à vérifier que le signataire est bien la personne désignée dans l’acte, ce qu’un Officier d’Etat-civil saurait faire, mais tout autant de contrôler les données de droit, vérifier que la loi lato sensu a été appliquée, que la conformité de l’acte à la règle prévient tout contentieux. Il ne s’agit pas de procéder simplement à l’authentification d’une signature mais d’offrir une incontestabilité juridique. Dit autrement, l’instrumentation du notaire ne saurait être aveuglée par la seule question de la signature, alors que la vérification des données de droit est un élément central car la foi publique n’a pas qu’une signification probatoire mais revêt aussi une dimension normative. Le notaire n’est pas un témoin mais un agent de la légalité.
Ce témoin en est d’autant moins un, qu’il est dépositaire de l’autorité publique opérant, au nom de la Puissance publique dont il est dépendant, laquelle l’oblige à instrumenter selon les modalités qu’elle définit. Oublier cet aspect renforce l’erreur, à mes yeux, commise par la CJUE dans son arrêt du 24 mai 2011 considérant que les activités notariales ne participent pas à l’exercice de l’autorité publique.
Les travaux scientifiques menés sur l’authenticité concourent tous pour ne pas faire de l’aspect matériel de la signature une question délicate, elle ne fait d’ailleurs l’objet que de rares contentieux.
Le rapport Aynès, encore une fois cité, évoque la question sans l’esquiver « Les nouveaux moyens de communication électronique constituent uneforte incitation à moderniser l’acte authentique. Sans modifier le cœur del’institution, on peut penser que les nouvelles technologies sont de natureà améliorer la qualité du service rendu par les officiers publics enfacilitant, par exemple, l’établissement des actes à distance ou enaméliorant les modalités de conservation des actes. Il pourrait doncs’opérer une heureuse synthèse entre le besoin renouvelé de sécuritésuscité par le développement croissant de l’économie numérique et la modernisation de l’acte authentique rendue possible par les nouvelles technologies ».
Au final, le point de vue de chacun sur la question du recueil de la signature dépend principalement de ses présupposés. Certains sont indignés par le clerc habilité, d’autres par la signature électronique, d’autres encore par la procuration sous seings privés. Selon que l’on aura exploré plusieurs fois la décomposition du contenu de l’instrumentation du Professeur Aynès, on sera arcbouté sur la question de l’Autorité publique, sur la présence personnelle ou non du notaire, l’étendue de ses attributions face à la responsabilité ou à l’activité commerciale, le contrôle de la légalité ou sa conception des solennités ou sur l’ensemble des sujets.
Le numérique aura semble-il permis aux théologiens du notariat de se jouer leur petite controverse de Valladolid, redoutant qu’elle ne marque pas la littérature aussi durablement 😊
Merci de cette belle analyse qui, dans cette période troublée nous conforte en qualité de notaire, dans notre mission de service public. L’utilisation des nouvelles technologies devant s’accompagner d’un besoin de sécurité et de conseil qu’il est de notre devoir de fournir.