La lecture de l’audition du chef d’état-major des armées (CEMA), le Général Pierre de Villiers par la Commission de la Défense de l’Assemblée Nationale en révèle beaucoup sur la place de l’expérience dans la responsabilité politique.

Nous sortons d’une séquence où le jeunisme, le renouvellement ont été érigés en vertu et l’expérience en quasi délinquance. Oubliant que ce sont les guerres qui tracent les générations dans la politique. Après la dernière guerre mondiale, les héros de la résistance ont pris leur responsabilité, l’âge venant, c’est la génération de leurs enfants qui a été élue, et c’est maintenant à la génération suivante de prendre le relais. Présenter les dernières élections comme une sorte de génération spontanée, une régénérescence soudaine issue du tréfonds de la nation serait d’une grande légèreté. Source de désillusions futures et peut-être prochaines.

Disons qu’un profond renouvellement s’est opéré. Si profond que le mélange généralement utile entre la nouveauté et l’ancienneté a disparu. Rien de grave en soi, sauf qu’il est probablement temps de remettre l’église au milieu du village. Et de rappeler que l’expérience est la somme de nombreuses confrontations avec des faits délicats et douloureux qui en apprennent plus sur la vie que les concours administratifs. Et peut-être de souligner que l’humilité n’a jamais nui aux inexpérimentés.

S’agissant de l’épisode de l’audition du CEMA, en date du 12 juillet, la situation était en réalité d’un très grand classicisme. Le Chef des Armées va éclairer la Commission de la Défense composés de représentants de la nation pour l’informer des enjeux dont il a la charge et qui touchent aux droits fondamentaux et imprescriptibles de l’homme, selon l’article 2 de la Constitution.

Sans doute a-t-il manqué de prudence, si j’ose me permettre, en allant s’exprimer d’une manière aussi directe et sincère devant une assemblée composée de nouveaux élus, sans expérience, et au sens du secret encore bien imparfait. En revanche, son propos, outre son actualisation, est celui que j’ai entendu de tous ses prédécesseurs depuis 20 ans. Il ne justifiait ni indignation ni sur-interprétation, comme ce que l’on a connu, avec toutes les conséquences qui en ont résulté.

Les CEMA ont des c……. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils ont été choisi. Leur langage est différent de celui des diplomates, formés pour éviter les guerres et non pour les faire. Il avait pourtant pris toutes les précautions de langage, en précisant que l’arbitrage du Président de la République, n’avait pas encore été fait.

Sa tirade contre Bercy et ses Ministres fait partie des figures imposées de l’exercice. Pour en avoir connu de plus brutales, je l’ai trouvée assez modérée. D’ailleurs, la dispute n’aurait jamais dû remonter si vite au plus haut niveau de l’Etat, mais rester entre les Ministres. Encore faut-il que ceux-ci aient un peu d’expérience. Ce qui, en l’espèce, était le cas, et permettait donc de cantonner le bras de fer entre eux, dans un 1er temps.

Les militaires sont de redoutables négociateurs en matière budgétaire. Il n’est jamais simple de fixer le curseur entre l’indispensable et le souhaitable. C’est pour cela qu’il faut laisser le débat se tenir au bon niveau sans se précipiter immédiatement vers l’échelon ultime. L’arrivée de Florence Parly ancienne Ministre du Budget aux Armées permettra de nouer un dialogue plus confiant. C’est encourageant.

La morale de l’histoire est qu’il s’est produit une confrontation directe entre l’hyper-professionnalisme du militaire et l’amateurisme du politique. Tout le monde en sort perdant. Notre armée perd un Chef exceptionnel. Il n’existe aucune raison pour que son successeur ne maintienne pas les mêmes demandes, même si la forme est plus sucrée. Elle n’en sera que plus redoutable. La nouvelle majorité composée béatement de débutants n’a pas su décrypter le message qui lui était envoyé. Exposant ainsi le Président à une décision dont la rapidité n’a pas semblé emprunte d’excessive sérénité.

Dans l’action publique, si l’expérience n’est pas exclusive, elle est en général décisive. A vouloir s’en priver, jusqu’à la bravade, on expose le Pays à une rupture de transmission de la connaissance. Cette connaissance se nourrit de l’ensemble des représentations et des savoirs que nous enseigne le réel. Dans la vie normale, on préfère généralement un médecin, un avocat, un ingénieur expérimenté à un jeune diplômé sans pratique concrète. Il semble que dans la politique, ce soit aujourd’hui l’inverse. C’est à l’épreuve du temps que pourra être constaté le résultat. Il nous faut rester optimiste. Mais sincère.

Lire ici le journal en ligne La Tribune : http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/l-incroyable-audition-testament-du-general-pierre-de-villiers-746438.html