Je suis un fidèle de l’émission « C’est dans l’air ». Mais ce soir, j’ai entendu tellement d’inepties dans l’émission consacrée à la déchéance de nationalité que je finis par douter, pour les sujets que je ne maitrise pas, de la qualité de cette émission.
Comme il se trouve que le droit de la nationalité relève pour partie du droit privé, et notamment du droit civil, je l’ai donc appris et pratiqué, et mon goût pour les affaires publiques m’a éveillé à la partie relative au droit public.
Christophe Barbier et Roland Cayrol se sont livrés à un énoncé ininterrompu de contre-vérités invraisemblables pour combattre, ce qui est leur droit le plus strict, la déchéance. Comme ce sont, l’un et l’autre, des personnes très cultivées, on peut craindre la mauvaise foi ou la tentation de la désinformation. Il est rare de les voir prendre parti avec une telle hystérie. Les deux autres invités se sont comportés en informateurs précieux dans ce festival d’information déformée.
Fonder les origines du droit de la nationalité dans les actes de la révolution française est totalement faux. Il était beaucoup plus présent sous l’ancien régime. Sous la période révolutionnaire, on parle de citoyens et non de nationaux. Et la qualité de citoyens est distribuée, dans certaines conditions, y compris aux étrangers présents sur le territoire. Dans la confusion générale, elle est même attribuée au Président Georges Washington qui ne la demandait pas. En fait, le droit de la nationalité apparait clairement en 1804 dans le Code Civil, relevant donc ainsi du droit privé. C’est d’ailleurs à cette époque l’affirmation triomphante du droit du sang, comme règle de détermination de la nationalité, conformément aux vœux de Tronchet, mais contre les vœux de l’Empereur lui-même. Ce n’est que par la loi de 1851 que la nationalité renoua avec le droit du sol. Une loi de 1927 la retire du Code Civil. En 1993, il y revient. Et les grands principes du droit de la nationalité sont refondés en 2011. Voilà la chronologie juridique vraie.
Dans la réalité, les sources les plus abondantes, les travaux les plus approfondis se trouvent plus sur la question de la nation que sur celle de la nationalité. S’agissant de la nation, une sorte de consensus est possible. S’agissant de la nationalité, l’idéologie et la passion l’emportent sur la raison, et sur le souci du « vivre ensemble » qui est pourtant l’essentiel.
S’agissant du concept de nation, il existait déjà sous l’ancien régime, mais il prend une réelle consistance, une définition et une affirmation avec la Révolution française. Une théorie en est construite. Ernest Renan a ensuite écrit des pages prodigieuses à son sujet. Mais ce concept est étoffé sous la IIIème République. Mais comment ne pas admettre qu’il est totalement en crise, sous l’effet d’abord de la décolonisation, et ensuite des grandes migrations que nous connaissons aujourd’hui et qui vont encore s’amplifier demain.
Dans un entretien accordé au journal Le Monde, Pierre Nora citait parmi les facteurs de crise du concept de nation « l’altération des paramètres de la souveraineté : territoire, frontières, service militaire, monnaie avec la disparition du franc, la désagrégation des formes d’autorité qu’ont été les familles, les Églises et les partis, l’urbanisation du territoire et de la population, et l’arrivée d’une nouvelle immigration, « plus difficile à soumettre aux normes des lois et coutumes françaises ». Cet intellectuel éminemment respecté, pas soupçonnable d’être de droite, résume bien nos intuitions. Il remarque que plus les « communautés » prétendent à leur autonomie, plus elles exigent une forme de reconnaissance de la nation. On le constate à propos des langues régionales. Assaillie de toute part, la conception historique de la nation s’en trouve disloquée, la mémoire nationale cédant petit à petit sa place à des mémoires de groupe, de communautés, de minorités.
Les parangons de la bien-pensance actuelle réfutent cette analyse et nous embrouillent de leurs subterfuges pour nous détourner des immenses défis du présent et de l’avenir, tout en encaissant sans vergogne les bénéfices de la bonne conscience.
La vraie question de la nationalité est celle du sentiment d’appartenance. D’appartenance à une histoire commune, à un héritage, une identité, à un projet, à une œuvre commune. La nationalité est une croyance collective dans des valeurs communes dont le multiculturalisme est moins l’ennemi que l’absence de culture, même élémentaire. Notre enseignement de l’histoire a détruit ce sentiment, car il est trop désincarné et incapable de recréer le tronc commun de notre appartenance nationale. Que reste-t-il des enseignements des symboles de la République et leur signification, tels le drapeau, la devise et l’hymne national ? Quid de l’équilibre entre les droits et devoirs des citoyens si prompts à exiger leurs droits, dans la méconnaissance totale de leurs devoirs ?
Ce soir, lors de l’émission, j’avais l’impression que l’on dissertait sur la citoyenneté et non sur la nationalité. La nationalité n’est pas la citoyenneté. La nationalité est un lien juridique entre un état et une personne soumise à des obligations. Ces rapports juridiques ne relèvent pas du domaine affectif : l’Etat de droit démocratique attend moins de ses ressortissants qu’ils aiment leurs Institutions mais, en premier, qu’ils les respectent et leur soient loyaux. Atteindre aux intérêts fondamentaux de l’Etat, commettre des actes de terrorisme, appeler à la haine, à la violence est une rupture du contrat tacite existant entre un Etat et son ressortissant.
Mesure-t-on qu’une vision déséquilibrée des rapports entre Etat et ressortissant offre des droits notamment sociaux sans aucune contrepartie au bénéfice de la société envers laquelle chacun a pourtant des devoirs. Sait-on que le droit de la nationalité influe sur des sujets graves comme ceux de la garde d’enfant ou le droit de propriété de la résidence principale ? Comment ne pas voir à quel point on assiste à une dégradation continue du mouvement d’intégration qui fut l’une des forces de la France ? Comment ne pas s’inquiéter du refus croissant de respecter les valeurs et les principes du peuple français, adoptés précisément lors de la révolution ? Comme refuser de voir l’affichage parfois agressif d’appartenance à un autre peuple ? La simple insertion dans la société apparait même faire l’objet d’un refus lui-même croissant. Les grandes vagues migratoires ne sont plus celles que nous avons connues, des phénomènes de diasporas, de peuples qui gardent un sentiment de leur unité se développent au point d’inciter les migrants à douter de l’utilité même de s’adapter aux us et coutume de la société d’accueil. Il semble même parfois plus attrayant de revendiquer une appartenance étrangère plutôt qu’à la communauté nationale française. La demande de papiers d’identité française n’est supposée engager en rien l’identité du demandeur, comme s’il n’existait plus de corrélation entre nationalité et identité. Cette situation est tragique car elle alimente un regard désapprobateur et hostile sur les Français issus de l’immigration, lesquels ne se sentent pas considérés comme français à part entière. Ce qui alimente la spirale infernale de la désintégration de la communauté nationale.
A la vérité, il n’est plus possible de revendiquer le droit de la nationalité et l’obtention de la qualité juridique de ressortissant français, sans l’expression et l’adhésion à un sentiment d’appartenance nationale.
Voilà pourquoi je ne comprends rien à ce débat théorique sur la déchéance de nationalité. Cette disposition a toujours existé. Il est normal qu’elle évolue dans le contexte de crise et de menaces que nous vivons. Adapter notre droit aux situations de pluri-nationalités relève du simple bon sens. Mes propres parents, dans les deux branches, sont issus sur trois siècles d’un même canton rural. Sur onze de mes petits-enfants, huit sont binationaux et les trois autres sont résidents à l’étranger pour longtemps. Croire que le droit de la nationalité peut rester immuable dans un contexte à évolution si rapide relève des rêveries de congrès socialistes mais pas d’une émission sérieuse d’information.
Voilà pourquoi, si j’étais encore parlementaire, je voterais, sans la moindre hésitation, la réforme de la déchéance de nationalité, car je pense que le laxisme prôné par les madones de studios de télévision est plus attentatoire à nos libertés qu’un renforcement maitrisé de notre droit relatif à une nationalité RESPONSABLE.
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