Chacun connait le piège imaginé par les chasseurs, avec les jeux de miroirs, pour attirer les oiseaux et les attraper au filet. La réforme territoriale sert de miroir, mais les alouettes pourraient bien être les contribuables. Cette réforme prend de plus en plus des allures de chemin de croix pour le gouvernement. Elle pourrait même, au final, se retourner contre lui, tant les vertus dont ses administrations centrales l’ont parée, s’avèreront des leurres tôt ou tard.
Je ne souhaite pas exprimer d’avis sur les régions car voilà longtemps que je n’ai pas siégé à cet échelon. Mais je connais parfaitement maintenant la mécanique gestionnaire et financière des départements. Il n’existe, dans la gestion publique, aucun cas plus hypocrite que celui-ci. L’Etat a transféré aux conseils généraux toutes les dépenses (notamment sociales) qu’il ne parvient pas à maitriser, en faisant mine de s’étonner de leur dérive, tout en continuant à les prescrire lui-même. Ce qui, optiquement, lui permet d’affirmer que ses propres comptes sont maitrisés, alors que ceux des départements ne le sont pas. Et qu’il faut, dès lors, les supprimer.
Ce raccourci est doublement cynique car il n’avoue pas, d’une part, la défausse assez pitoyable d’un Etat poltron, face à la marée des dépenses sociales qu’il n’a pas le courage de rationnaliser, et d’autre part, le fait que la suppression des départements ne supprimera en rien la dépense, car elle devra toujours être supportée par les contribuables à qui, pour l’instant, on désigne le conseil général comme le responsable du gaspillage. En fait, la maitrise des dépenses passe par l’édiction d’une règle de « prescripteur-payeur » et par le courage politique pour en plafonner le montant. La réforme territoriale n’a rien à voir avec ces deux principes auquel la France n’échappera pas, quels que soient les tours de passe-passe, auxquels elle se livre pour en différer le moment.
En prenant l’exemple du département de l’Orne dont la gestion est d’une exigence exemplaire, la manipulation en cours est d’une clarté limpide. Sur la période 2011-2013 soit 3 années, les dépenses obligatoires décidées par l’Etat, et sur lesquelles le Conseil Général n’a aucune influence, ont augmenté de 5,6%. Les dépenses obligatoires (routes et collèges) sur lesquelles le CG a un pouvoir de modulation n’ont augmenté que de 0,6 %. Quant aux dépenses facultatives (eau, assainissement, urbanisme, logement, sport, culture jeunesse) elles ont diminué de 3,5 % afin de couvrir partie de la dérive des dépenses obligatoires. Pendant le même temps, les dotations ont diminué de 2,1% alors que les seules dépenses sociales obligatoires augmentaient, elles, de 3,5%.
Selon quel raisonnement technocratique parviendrait-t-on à démontrer que par la magie de cette réforme territoriale cette tendance mortelle pourrit être inversée ? La vérité est tout autre. Nous sommes en présence d’une fuite en avant, liée à un diagnostic erroné. L’homme malade de la gestion publique est l’Etat ! Il est bavard par ses lois inutiles, inconstant pour ses changements incessants, irresponsable par ses prescriptions ruineuses et non finançables, et hypocrite en livrant les collectivités territoriales et les départements en particulier à la vindicte populaire, alors qu’ils ne sont que les greffiers d’une gestion qu’ils reprouvent mais que la loi ne leur permet pas d’empêcher.
Oui la réforme est nécessaire. Oui, elle est possible. Il suffit de la prendre à l’endroit, et non à l’envers, comme elle est engagée. Au lieu de l’imposer d’en haut, là où la mauvaise gestion fermente chaque jour, elle devrait partir du bas. Qu’on donne un délai, même court, aux collectivités territoriales pour construire une réforme qui produise de vrais fruits. Elles s’y attèleront immédiatement et elles seront, devant les Français, débitrices d’une obligation de résultat pour faire réussir enfin une vraie réforme. Evidemment cela demande un Etat modeste qui se dégrise enfin de son infatuée majesté.
Est-ce possible ?
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