Le Premier Ministre s’est montré ouvert au dialogue, lors de son discours prononcé vendredi, à Annonay. Il a explicitement indiqué qu’il voulait écouter, concerter, rassurer, laisser toute sa place au débat. Il y a tout lieu de s’en réjouir et il appartient à tous les gens de bonne volonté de nourrir la réflexion, afin que les décisions à prendre soient les plus appropriées aux besoins du Pays et de nos concitoyens.
Le mystère de l’Etat réformateur pour les autres.
Tout d’abord, il y aurait lieu de s’interroger sur le mystère qui consiste à ce que l’Etat veuille systématiquement réformer les autres entités, alors qu’il semble incapable de se réformer lui-même. Le droit qu’il produit est bavard, couteux, inconstant, inefficace, au point d’affaiblir notre économie et nos emplois. Ses prélèvements obligatoires sont excessifs alors qu’il ne parvient toujours pas à résorber son déficit. L’insécurité se propage. La bureaucratie est toute puissante. Les systèmes d’information plantent gravement la gestion. Les administrations centrales sont divisées, brouillonnent et génératrices d’une complexité insupportable pour les citoyens et les entreprises. Moyennant quoi, elles ne semblent avoir découvert d’autre urgence que de réformer les collectivités territoriales qui, sur le terrain, sont placées au contact et au service direct des Français. Lesquelles ont pour premier empêcheur de fonctionner efficacement : l’Etat lui-même ! Comprenne qui pourra.
Devant des sujets aussi complexes à traiter, même s’ils nous concernent tous, où nous sommes généralement soupçonnés de défendre une des nombreuses chapelles de l’action publique, essayons de prendre quelques exemples simples et concrets.
Le département rural interface nécessaire entre l’intercommunalité et la région éloignée.
S’agissant par exemple de ce qui est appelé, le mille-feuille, c’est-à-dire le nombre d’échelons de mise en œuvre des services publics, pour des motifs assez obscurs, un bouc-émissaire a été choisi : le département ! Ils ne sont pourtant qu’une centaine en France, alors qu’il existe 36.000 communes dont une quarantaine seulement de plus de 100.000 habitants, 2.500 communautés. Le motif prétendu serait qu’ils feraient double emploi entre la région et l’intercommunalité. Sauf que trois quarts des intercommunalités n’ont pas la taille requise pour exercer les missions des départements. Elles n’atteindront d’ailleurs jamais cette taille à raison de la faible densité de leur population, sauf à dessiner des périmètres de 70 kilomètres de diamètre. Quant aux régions, leur fusion est annoncée et leur siège s’éloignera par évidence de tous les départements ne bénéficiant pas de la capitale régionale. Ce chamboulement territorial est assez incompréhensible vu du terrain alors qu’il semble évident vu des ministères. Comprenne qui pourra.
La démocratie fusionnée et éloignée.
S’agirait-il d’un sursaut démocratique ? Là encore on peut en douter. Comment expliquer qu’en supprimant la représentation de la population, au niveau départemental, on ferait progresser la démocratie. C’est peu probable. IL n’y a pas si longtemps les vertus de la proximité étaient vantées dans tous les cénacles. Une loi sur la démocratie de proximité a même été votée, sous un gouvernement de gauche, instaurant des conseils de quartiers dans les villes de plus de 20.000 habitants. Voilà maintenant qu’on veut imposer des communautés de communes d’au moins 20.000 habitants. Voilà que les habitants de l’Orne verront le siège de leur instance départementale s’éloigner d’Alençon à Rouen, c’est-à-dire 160 kilomètres plus loin. En matière de proximité on peut faire mieux. Comprenne qui pourra.
Les relations inter-administratives conservées dans leur complexité.
S’agit-il de simplifier au maximum les relations administratives entre les différents échelons ? Tout le monde le souhaite. Il n’est nullement nécessaire de supprimer les départements pour y parvenir, il suffit d’une loi, en un article unique, confirmant que les conventions passées entre les collectivités territoriales tiendront lieu de loi entre elles dans le cadre de leur libre administration, et dans les seules limites de la Constitution. La simplification sera radicale et elles pourront enfin mener leurs actions sans noircir préalablement des tonnes de papier et mobiliser des milliers de juristes. Pour l’instant, il leur est encore imposé de créer un syndicat mixe à la moindre action menée en commun. Comprenne qui pourra.
Des centres de décisions éloignés du terrain.
S’agit-il de rapprocher le centre de décision de l’endroit où cette décision s’applique ? C’est le contraire qui se dessine. S’agissant du réseau routier, les usagers roulent sur des routes et non sur des cartes. Quand on constate l’état de nos routes nationales, on mesure combien l’Etat central a été désastreux. Le transfert aux départements s’est révélé un succès car le réseau s’est beaucoup amélioré. Cela étant, il est entretenu par des antennes réparties géographiquement sur le territoire départemental. Pourquoi vouloir centraliser la gestion de ce réseau dans la future capitale régionale distante de 180 kilomètres, soit autant que Paris ? S’agissant du transport scolaire, la gestion fine, quasiment famille par famille, se révèle être à peine possible du chef lieu du département, voilà que la gestion sera renvoyée à la région. Pour quelle économie ? Pour quel meilleur service pour l’usager ? Comprenne qui pourra.
Des ressources humaines re-centralisées.
S’agit-il de parvenir à une gestion optimisée des ressources humaines des collectivités locales ? Apparemment non. La suppression des départements et le transfert de leurs personnels aux régions aboutirait, dans un département comme le mien, à passer d’une gestion de 1.500 salariés à une gestion de 20.000 ! Imaginez l’usine à gaz. Je plains les agents et les contribuables des conséquences d’une telle centralisation. A l’heure où les organisations les plus efficaces déconcentrent la gestion et la rapproche du terrain, l’Etat reconcentre. Comprenne qui pourra.
De soi-disant économies transformées en dépenses nouvelles.
S’agit-il enfin de faire des économies ? Tout le monde le souhaite également. Mais ce sont des dépenses supplémentaires très couteuses qui en résulteront. Comment pourrait-il en être autrement ? Les dépenses des départements sont, à 7 ou 8% près, toutes décidées par l’Etat, la fusion avec les régions ne changera rien au coût, puisque le ministre a déclaré qu’il ne s’agit ni de supprimer des missions ni des agents. En revanche, comme tous les changements de structures ont pour effet d’opérer des alignements par le haut, le coût supplémentaire des fusions s’annonce considérable. Quant aux 7 ou 8% de dépenses discrétionnaires décidées par les départements, elles touchent l’agriculture, le développement durable, l’eau, l’assainissement, le sport, la culture. On verra si les grandes capitales régionales financeront les initiatives locales sur les territoires ruraux. Pourtant, il faut faire des économies.
Pourtant, il faut faire des économies.
J’en suis pour ma part totalement d’accord. Et elles seraient infiniment plus garanties, si elles étaient contractualisées explicitement entre l’Etat et les collectivités locales, comme nous l’avons proposé avec Martin Malvy. Un moment de vérité surgirait. On verrait qui de l’Etat ou des départements ne veut pas réaliser les économies. Ce n’est pas la direction prise. Comprenne qui pourra.
Encourager le Premier Ministre à ouvrir le débat.
Ces exemples ne sont qu’une faible partie de tous les enjeux que sous-tend la réforme territoriale. Le Premier Ministre a raison, cela mérite l’écoute mutuelle, la concertation, un débat approfondi et des études d’impact fouillées et documentées.
Garder confiance, malgré tout. Et rester vigilant !
Comme le pire n’est jamais sûr, je garde confiance, mais il est urgent que le dialogue se noue et surtout que les idées préconçues cessent d’être pilonnées comme des vérités criantes alors qu’il leur arrive d’être des erreurs ou des mensonges grossiers.
Ah si l’Etat s’appliquait à lui-même ce qu’il veut imposer aux autres, le Pays irait tellement mieux !
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