Parlez-en dans la rue … La réaction ne se fait pas attendre : l’idée que les banques ont reçu 360 milliards d’aides et subventions diverses est désormais solidement ancrée, en règle générale assortie de remarques sur le thème « et à nous, « on » nous refuse telle et telle chose ». L’Etat a au moins réussi à (ré)apparaître comme le grand pourvoyeur in fine d’avantages catégoriels. Tellement ancrée, que soutenir l’argument qu’il n’y a pas eu un centime de subventions versé aux établissements de crédit apparaît comme une contre-vérité voire franchement du révisionnisme. Et pourtant ! Il n’y a pas eu de subventions ! Analysons donc le montage de « soutien » aux banques.
La crise appelée désormais du « subprime » a instillé une méfiance généralisée entre établissements de crédit. Chacun s’interroge sur la santé financière de ses collègues et les banques qui disposent de liquidités préfèrent les conserver au lieu de les placer sur le marché monétaire (c’est à dire de les prêter, ne fusse que quelques heures ou quelques jours à d’autres banques qui en ont besoin), de crainte que la contrepartie ne devienne subitement insolvable. En effet, lorsqu’un gros emprunteur est défaillant, sa banque encourt le risque de le devenir aussi ! Il reste que les banques peuvent se tourner alors vers la Banque Centrale, dont une fonction traditionnelle est d’être le « préteur en dernier ressort », c’est à dire qu’il lui appartient de fournir au marché monétaire les liquidités qui lui font défaut (« défaut » tout à fait normal même en temps ordinaire qui donne à la Banque Centrale le moyen d’un pilotage par les taux). Mais voilà ! La Banque Centrale demande en contrepartie une garantie constituée de remise de crédits de (très) bonne qualité et applique un taux d’intérêt nettement plus élevé que celui du marché monétaire. Ayant plus de difficultés à se refinancer à des prix jugés acceptables, les banques deviennent moins prêteuses, d’autant que dans un contexte de fortes turbulences économiques, la situation financière des entreprises se dégrade. Dans ce cas, l’application de la règlementation exige des établissements de crédits de disposer de plus de fonds propres pour prêter autant.
L’Etat a donc joué sur 2 leviers.
Tout d’abord, il a cherché à restaurer la confiance entre prêteurs et emprunteurs. Pour cela, il a créé une structure appelée « Société de Financement de l’Economie Française » (SFEF), dont le but est d’emprunter sur le marché monétaire pour reprêter aux banques, en échange « d’actifs de bonne qualité » et d’une promesse d’accroître les encours de crédit. L’Etat apporte sa garantie, à hauteur de 320 milliards maximum. Du coup, la SFEF bénéficie d’une notation « AAA », la meilleure, ce qui lui permet d’emprunter aux meilleurs prix. Elle vient d’ailleurs d’émettre un emprunt obligataire de 5 milliards, sur 3 ans. Enfin, les banques recourant aux financements de la SFEF paient le taux d’intérêt augmenté d’une marge, la rémunération de la garantie de l’Etat !
La SFEF est une société de droit privé dont le capital de 50 millions d’euros est détenu à hauteur de 34 % par l’Etat ; le reste est réparti entre 7 grandes banques (Banques Populaires, Caisses d’Epargne, Crédit Agricole, BNP, HSDC et Société Générale). Son activité doit s’achever à la fin de l’année 2009. Pour le moment, les banques ne se sont pas précipitées. La SFEF n’a prêté que 5 milliards et on peut se demander si ce n’est pas « pour voir ». Il est vrai que la création est encore récente (début octobre) et que la diminution des taux du marché monétaire (- 80 centimes en un mois) a redonné de l’oxygène aux établissements de crédits.
L’autre levier est celui des fonds propres. L’Etat a créé une deuxième structure, la Société des Prises de Participations de l’Etat (SPPE) dont le but est de prendre des participations en fonds propres (c’est à dire au capital des banques) sous forme de « titres subordonnés », c’est à dire sans droit de vote mais plus rémunérateurs que les actions. A ce jour, en ont bénéficié Dexia (pour 1 milliard) et 6 des 7 banques au capital de la SFEF (HSBC est restée à l’écart) pour environ 10 milliards. On retrouve ici l’idée de « c’est pour voir ». Au demeurant, l’Etat n’a rien déboursé puisque les sommes investies (un peu plus de 10 milliards à ce jour pour 40 milliards autorisés) sont intégralement empruntées.
Récapitulons : l’intervention de la SFEF est plafonnée à 320 milliards et celle de la SPPE à 40. Voilà l’origine du chiffre de 360 milliards. L’Etat a versé ce jour un peu moins de 10 millions dans la SFEF. Voilà la réalité. Cette somme est récupérable, avec même des perspectives de plus-values, comme d’ailleurs pourraient en dégager les investissements de la SPPE. Pour mémoire, rappelons que la participations d’Alsthom acquise par l’Etat en 2004 pour 720 millions d’euros a été revendue pour 2 milliards quelques mois plus tard. La seule perte possible pourrait venir d’un appel en garantie de l’Etat. A ce jour, cet appel reste hypothétique. Et ce serait en tout état de cause largement prévisible, en raison de la connaissance qu’ont les autorités de tutelle du secteur bancaire.
Les 360 milliards de fonds publics à destination des banques françaises n’ont donc jamais existé, ni sous forme de subventions, ni même sous forme d’apport en capital ! A l’heure où les intérêts corporatistes cherchent à démontrer qu’ils peuvent bloquer le fonctionnement de la collectivité, on se demande qui peut propager une telle légende.
A.B. Galiani
Qui peut propager une telle légende ?
Tous ceux qui vivent sur l’argent des contribuables, et qui ont intérêt à faire croire que l’on peut trouver de l’argent facilement, puisque semble t’il, les mille milliards de budget sur lequel ils vivent ne leur suffit pas.
Puisque l’on peut trouver au pied levé, 360 milliards pour les banques, pourquoi ne pourrait-on pas en trouver d’autre pour combler leur appétit.
Que ces milliards soient virtuels ou pas, n’est pas le problème. Ce n’est pas le sujet à aborder.
On évite surtout d’imaginer que ça sort de la poche du contribuable, sur lequel on vit déjà, pour ne pas ébranler les certitudes. Il est plus aisé, pour ne pas trop compliquer le sujet, de désigner l’Etat, comme étant le grand méchant au service du capital.
Vous êtes un empêcheur de ponctionner en rond, cher camarade Galiani (c’est comme ça qu’ils s’appellent entre eux au congrès et ailleurs).
Mais, après tout, ne faudrait-il pas leur donner raison ? Ce serait le meilleur moyen de faire en sorte que le système s’effondre, et donc la seule chance de pouvoir remettre à plat la gabegie des mille milliards. L’opportunité par la même occasion, de pouvoir aussi remettre en question le racket des automobilistes, sur lequel ils vivent aussi.
A Gerfo : vous rejoignez une autre de mes thèses. La condamnation morale du capitalisme n’est bien souvent qu’une recherche de justification des propres actions de ceux qui se font juges.
un classique
Cher A.B. Galiani,
Merci pour ces billets qui sont d’une limpidité ! C’est un vrai régal de vous lire. Je suis accro ;-). Je suis tombé sur ce site par hasard et j’ai parcouru les billets précédents. Je suis tombé sur ce billet au sujet de la banque centrale :
http://www.alain-lambert-blog.or...
Malheureusement, les commentaires sont fermés. Je profite donc ce sujet sur la crise bancaire pour vous poser une question (par avance pardonnez-moi de la poser ici mais je ne sais pas comment faire autrement). Voilà, vous dites ceci :
"Madame B est cliente de la banque 2. Cette dernière va donc créditer le compte de sa de la somme et demander ensuite à la banque de l’émetteur (la banque 1) de bien vouloir lui régler le dit chèque."
Ma question : est-ce que ce mécanisme de "fuite" joue aussi entre une banque commerciale de la zone euro et une banque commerciale hors zone euro ? (en clair y a t-il transfert de la banque de la zone euro au profit de la banque hors zone euro qui reçoit le chèque) ?
Merci de votre éclairage.
Très cordialement,
A Popeye : Un principe : une devise ne sort jamais de son pays d’origine. Imaginons une entreprise française qui reçoit un chèque de 100 litas. Comme chacun sait, le litas est la monnaie lituanienne, 100 litas représentant environ 30 euros. L’entreprise française va remettre ce chèque à la Banque F. Cela tombe bien : La Banque F est en relation avec la Banque L, dont le siège est à Vilnius. Ils ont notamment un accord pour s’échanger leurs créances respectives : ce sont des banques « correspondantes ». La banque F va inscrire dans sa comptabilité que la Banque L lui doit 30 euros, en même qu’elle crédite le compte de son client français de cette somme ; la Banque L va inscrire qu’elle doit 100 litas à la Banque F en même temps qu’elle débite le compte de l’émetteur de chèque lituanien. En fait, c’est une compensation de gré à gré. Si la banque du client français n’a pas de correspondant en Lituanie, alors elle s’adresse à une banque ayant ce correspondant. Ai je répondu à votre question ?
Merci de votre réponse AB Galiani. C’est déjà plus clair. J’ai toutefois deux questions par rapport à celle-ci :
Question 1 : quand vous dites " La banque F va inscrire dans sa comptabilité que la Banque L lui doit 30 …". Si j’ai bien compris, la banque F détient une créance sur la Banque L de par le fait qu’elle a reçu d’un client un chèque libellés en litas. Cela veut-il dire qu’à terme, à supposer que le solde de la compensation soit en faveur de la banque F, qu’elle recevra un virement de la banque L (au même titre que la BNP recevrait des versements du crédit agricole si le solde issu de la compensation était en faveur de la BNP) ?
Question 2 : quand vous dites " Si la banque du client français n’a pas de correspondant en Lituanie, alors elle s’adresse à une banque ayant ce correspondant." Question : S’agit-il d’une autre banque française qui aurait ce fameux correspondant en Lithuanie ?
Je dois avouer qu’avec cette crise, je découvre beaucoup de choses sur cet univers mystérieux de la banque. J’ai déjà appris pas mal de choses en lisant vos billets (certains devraient s’inspirer de votre travail d’ailleurs). Toutefois, certains points me paraissent encore obscurs :
– si j’ai bien compris, les banques commerciales ont toute un compte à la banque centrale. Comme nous sommes dans la zone euro et sous le contrôle de la BCE, les comptes des banques commerciales françaises sont à la BCE ou sont-ils encore à la banque centrale française ? En fait, j’ai du mal à saisir la répartition des rôles entre la BCE et les banques centrales nationales.
– Dans le billet du 24 août 2007, vous écrivez ceci "Puis la Banque Centrale arbitre en déterminant le taux et la volumétrie des fonds prêtés (pour les spécialistes : ce sont les opérations d’open market)". J’avoue ne pas comprendre : je pensais que la politique des taux directeurs (j’ai enfin compris grâce à vous ce en quoi ça consiste !) était distincte des opérations d’open market… A moins que j’ai mal compris ce qu’est l’open market qui pour moi est l’achat ou la vente de titres…
– Enfin, j’ai lu dans un article que la BCE avait passé des accords de swaps avec la FED… Cela semblait important dans le cadre de la crise. En quoi cela consiste-t-il ?
Merci pour vos éclairages et pardon pour autant de questions.
A Popeye : Je vous ai répondu sur un autre de mes billets. Reportez vous à celui intitulé « petite leçon d’histoire … » etc. Et bonne lecture !