Mais que se passe-t-il chez les banquiers américains ? Dans un précédent billet, je mettais en place les mécanismes du jeu de domino. Crise de confiance et méfiance généralisée… Poursuivons cette analyse, en analysant quelques unes des victimes notables.
La britannique Northern Rocks a été victime d’une panique bancaire. Bien que pas engagée sur le marché « subprime », ses déposants ont pris peur et ont retiré leurs avoirs. La banque a alors manqué de liquidité, qu’elle n’a pu retrouver ailleurs !
Fannie Mae et Freddie Mac sont des organismes de refinancement interbancaire. Créés à l’initiative de l’Etat US (respectivement en 1938 et en 1970), ils ont (avaient ?) une quasi-mission de service public. En achetant les crédits immobiliers des banques, ils leur permettent d’accorder de nouveaux crédits. Au total, leurs encours ont dépassé les 5000 milliards d’euros. Eux-mêmes se refinancent par une « ligne » de trésorerie à taux réduit garantie par l’Etat, et aussi par titrisation … dont l’absence de liquidité, jointe aux pertes, les a conduits à l’asphyxie.
Même topo pour la Lehman Brothers … Le refinancement de cette banque d’investissement passait par la titrisation et par emprunts interbancaires, qui se sont asséchés … Même topo encore pour l’assureur AIG. Disposant d’importantes masses de liquidité générées par son activité, il les a replacées en titres adossés sur des financements immobiliers, ce qui lui a coûté 13 milliards de pertes … Et la liste n’est pas finie. Aussi, pour enrayer la casse, le directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn a proposé une solution qui, si elle était appliquée, redonnerait des liquidités aux banques tout en leur laissant à terme prendre en charge le coût du risque.
Restent 3 questions
1) A qui la faute ? A l’unanimité, les banques ont été désignées, bien sûr. C’est vrai … La mythologie populaire veut que le banquier soit celui qui à la fois surendette les pauvres gens tout en ne prêtant qu’aux riches … Il est vrai que, distribuant du crédit sans se soucier de leur niveau de fonds propres – c’est-à-dire de leur capacité à assumer les pertes -, les banques d’investissement US se sont montrées particulièrement irresponsables. Mais cette irresponsabilité incombe tout autant à l’Etat. D’une part, la réglementation bancaire ne concerne qu’une partie des banques américaines, faute d’avoir tiré (suffisamment en tout cas) les conclusions des accidents rencontrés dans un passé récent. D’autre part, l’Etat a poussé à l’endettement immobilier : Fannie Mae et Freddie Mac bénéficiaient de crédits bonifiées pour permettre aux banques de prêter toujours plus. Le montant d’encours de ces organismes représente le tiers du PIB américain, 3 fois celui de la France ! Enfin, il ne faut pas non plus absoudre trop vite les emprunteurs qui n’ignoraient pas qu’ils jouaient … Au final, nous touchons du doigt les limites du soutien à l’économie avec de bas taux d’intérêt.
2) Le système bancaire européen – et français – est il à l’abri ? La réglementation bancaire en Europe est dense. Le niveau des fonds propres est très surveillé par les autorités de tutelle. Il existe une obligation de mesurer, voire de diviser, les risques « par activité économique, par zone géographique … ». Cependant, les cas des britanniques Northern Rocks, déjà évoqué, et de Bradford & Bingley, de Fortis ou de Hypo Real States démontrent que l’Europe n’est pas à l’abri. Ces banques connaissent des pertes qui conduisent à la méfiance des préteurs et parfois a des « paniques bancaires », les déposants retirant leurs fonds (4 milliards d’euros de dépôt en moins en quelques mois pour Fortis). Les banques françaises enregistrent des pertes importantes sur leurs engagements US, directs ou dans des titres détenus. Cependant, les banques qui souffrent le plus (en tout cas aujourd’hui) sont celles qui sont spécialisées et qui se prennent la défaillance sectorielle de plein fouet. Ou simplement la méfiance : Dexia, banque franco-belge spécialisé dans le crédit aux collectivités locales, a longtemps bénéficié d’un avantage concurrentiel constitué par l’absence de réseau commercial (qui coûte cher). Cet avantage s’est retourné et l’handicape gravement aujourd’hui, car elle dépend des ressources empruntées sur le marché financier, qui se montre très circonspect
Il se trouve que les banques françaises sont plutôt des banques universelles, c’est à dire présentes sur de nombreux créneaux. Et la casse qu’elles ont enregistrée a été épongée par les résultats des autres activités. Elles reposent en outre sur des activités de dépôt, dans un pays qui n’a pas de véritable tradition de « panique bancaire » (I). Les banques d’investissement ou les banques spécialisées sont adossées à ces banques de détail. On se souvient du Crédit Foncier (à l’époque banque publique) qui avait mal vécu la crise immobilière des années 90, ce qui l’a conduit à entrer dans le giron de l’Ecureuil. Certes, les pertes viennent affecter leurs fonds propres. Et qui dit « moins de fonds propres » dit « moins de crédits ».
Ce peut même être la réglementation qui encourage à exclure certains agents de l’accès au crédit. Ainsi, les règles appelées « Bâle II », du nom du groupe de réflexion se réunissant dans cette ville, exigent d’affecter un montant de fonds propres, fonction de la probabilité de défaillance de chaque client. Plus la probabilité de défaillance d’un client est grande, plus la banque doit aligner de fonds propres en face. Aussi, quand ces derniers se font plus rares, on devine comment les économiser. Certains analystes avancent même que la réglementation est devenue pro-cyclique, c’est à dire qu’elle facilite le crédit quand l’économie chauffe et qu’elle le restreint quand l’économie ralentit. Par ailleurs, les excès du consumérisme se retournent aussi contre les clients. Et les banques vont rechigner à prendre des risques puisque toujours considérées comme responsables.
3) Est-ce que la vision comptable des pertes est fiable ? Les règles comptables « IFRS » veulent que les actifs destinés à être vendus soient comptabilisés à leur valeur de marché. C’est un principe de transparence, qui admet cependant une limite. La valeur intrinsèque d’un actif peut se déconnecter de son prix de marché durant des phases de pessimisme marqué, notamment lorsqu’il est illiquide. Dès lors, il est comptabilisé pour une valeur très faible, générant des pertes, valeur qui n’est pas représentative de ce qu’il vaut vraiment. C’est à dire qu’un actif jugé « pourri » n’est peut être pas aussi « pourri » que cela. Cette méthode aggrave la vision de la crise …
Il reste enfin que les taux du marché monétaire, là où les banques vont chercher chaque jour de quoi équilibrer leur trésorerie, sont élevés, insuffisance de liquidité oblige : plus de 5 % pour le taux à 3 mois. Et quand la matière première est chère, les résultats souffrent.
Faut il réglementer encore ? Le cas américain n’est cependant pas le cas européen, d’autant que la règlementation ne peut tout prévoir. Alors, que faire de plus ? On peut certes accroître les exigences de fonds propres et de division du risque. Mais plus de fonds propres signifie aussi une exigence accrue de profit qui est la première source de fonds propres ! On ne peut rejeter en bloc la titrisation. En revanche, il est nécessaire que celui qui a engagé un crédit en conserve une responsabilité financière. Et il reste enfin que les Etats qui encouragent à l’endettement mesurent également les limites d’une telle politique.
Egalement, méfions nous de la dérive traditionnelle française. Nous sommes dans la situation que rencontrerait un automobiliste. Les USA correspondrait à une absence de code de la route. La France, elle, définirait non seulement le code de la route, mais son habitude interventionniste vous imposerait en même temps le véhicule et 2 chauffeurs, à vos frais jusqu’à la fin de leur vie, qui décideraient du chemin à prendre pour vos déplacements sur des critè
res leur convenant, et sans que, par ailleurs ils soient meilleurs conducteurs que vous-même. N’oublions pas que les dernières grandes faillites bancaires en France ont été celles d’établissements publics. Quand l’Etat est juge et partie, il sert aussi d’autres intérêts que l’intérêt général.
(I) A cet égard, on peut s’interroger sur l’intention de certains d’organiser une panique bancaire. Ainsi, un journal à sensation affirmait il y a quelques jours de façon très orientée et contestable – sinon franchement inexacte – que l’Ecureuil manquait de fonds propres à cause de la perte de valeur de sa filiale Natixis, filiale à 34 %, oubliant d’ailleurs de citer l’autre principal actionnaire, les Banques Populaires. Dans le même temps, l’Autorité des Marchés Financiers révèle une suspicion de manoeuvres illicites de concurrents pour faire chuter le prix de cette même filiale. Le tout à quelques semaines de la banalisation du Livret A … Cherchez le « truc » !
@BS,
Quand vous vous situez dans votre analyse «à l’extérieur», je crois comprendre que vous faites référence à la théorie du chaos (que je ne connais pas bien). Intellectuellement c’est intéressant mais cette théorie s’applique à des particules de matière, je ne pense pas qu’elle «colle» bien à des populations humaines. Les décideurs, les citoyens d’aujourd’hui ont la mémoire de la crise de 29, et réagissent en intégrant cette connaissance alors que les atomes n’ont pas de mémoire. Les atomes dans un bocal sont des milliards de milliards, tous les mêmes, les humains sont beaucoup moins nombreux et différents quant à leur réaction face à une crise.
Je suis moins optimiste que vous quant à la mise en place effective d’une régulation mondiale de la finance. Elle est nécessaire, mais quelle instance sera assez puissante pour l’imaginer et surtout l’imposer ?
@Hervé
Les théories du chaos et celles de la complexité sont universelles et s’appliquent à tout système du moment qu’il est composé d’un grand nombre "d’agents" en interaction les uns des autres.
La société humaine, avec ses six milliard d’individus en interaction en est un bel exemple, ce nombre étant largement suffisant pour les théories s’appliquent.
Une bonne partie des recherches actuelles en économie sont sur ce sujet d’ailleurs.
Je ne suis pas spécialement optimiste. J’observe simplement que la crise actuelle correspond bien à un moment d’émergence de nouvelles structures. Il n’y aurait pas de crise sinon.
C’est aussi justement parce qu’il y a une crise qu’il n’est pas nécessaire d’instance puissante. La crise fragilise les puissants du moment (principalement les US) ce qui permet à d’autre types d’organisations déjà en gestation de s’y substituer.
C’est d’ailleurs la principale raison de la nécessité d’une crise comme support au changement. Elle affaibli les structures existantes.
La différence se fait alors dans la gestion de la crise. Une particule inerte de matière va au hasard se transformer et avec le temps (très long !) finir par "tomber" sur une solution plus efficiente.
Après la crise de 29, les pays se sont repliés sur eux même ce qui a provoqué une guerre mondiale. Il n’empêche que cette crise à créé un nouvel ordre qui a été très prospère et a permis la création de l’Europe.
Les sociétés apprenant quand même de l’histoire, et vu la réaction de nos gouvernements actuels, il est a gager que nous allons converger plus rapidement et de façon moins brutale vers de nouveaux types d’organisations.
Il y a toujours une possibilité que l’ensemble du système s’effondre. Mais c’est en fait l’existence même d’une crise qui me rend plutôt optimiste.
@BS,
Je crois qu’il y a crise et crise.
Un gamin qui attrape un petit virus sera un peu malade, son corps réagira, et la fois d’après il sera immunisé contre ce même virus.
Le même gamin, s’il attrape la polio, à supposer qu’il en réchappe en gardera des séquelles toute sa vie.
Quand j’observe ce qu’il se passe au Moyen Orient, j’y vois des séquelles indirectes mais indélébiles de la crise de 29 et j’ai tendance à prendre peur du chaos.
@ Hervé
Le monde danse autour du précipice depuis son commencement. C’est précisément pour cela qu’il est ce qu’il est.
A A.B. Galiani,
Sitôt l’annonce du plan de sauvetage des banques voté, voila que la caisse d’épargne (une maison si sage, avec une réputation de gestionnaire de père de famille) se découvre 600 millions de pertes. Une coïncidence ? En est-ce vraiment une ? Malheureuse pour le moins.
Une de plus prise avec la main dans le pot de confiture.
Le gouvernement s’en est ému. Il en était même abattu, décontenancé, dépité.
On a mis en place une cagnotte, et voilà qu’il faut déjà taper dedans !
Contribuables à vos poches.
Mais à y regarder de près, l’état est-il en position de donner des leçons de gestion à ceux qui se sont vautrés dans le pot de confiture, quand il est lui-même à la tête de 1300 milliards de dettes dans laquelle il se vautre depuis des lustres ?
Si la situation n’était pas aussi préoccupante, ce serait comique, voire ubuesque. C’est l’hôpital qui se fout de la charité.
Pour autant que je le sache, c’est que la Caisse d’Epargne avait interdit ces opérations et qu’il semble que ca a été une initiative de quelques traders qui se sont pris pour des "cadors". Très vraisemblablement, encore une fois, une insuffisance de contrôle. C’est donc une c…nnerie imputable à quelques imbéciles ; ce qui me semble dramatique, c’est surtout qu’on n’ait pas compris la leçon de la Générale. Pitoyable et dramatique.
Quand à la dette de l’Etat, elle résulte d’un pillage généralisé par des groupes de pression : régimes spéciaux, archaisme des structures publiques, mépris du résultat … L’opposition d’emblée de Force Ouvrière à l’idée qu’on pouvait supprimer les départements est dramatique. Pitoyable et dramatique.
Ce système de bonus qui permet aux traders de gagner des sommes invraisemblables sont des pousses au crime. Si l’on veut éviter à l’avenir ce genre de pépins, n’est-il pas grand temps de plafonner la rémunération des traders et dans un même élan la rémunération des patrons de banque ?
Tout à fait cher A.B. Galiani, pour ce qui est du pillage généralisé. C’est une évidence.
Mais il est très difficile d’en attribuer la paternité à tel ou tel, tous les intervenants dans le système sont partie prenante, et beaucoup en vivent très très bien.
C’est bien là qu’est le nœud du problème, où tout un chacun a les meilleures raisons du monde pour légitimer sa place, et faire perdurer sa rente de situation.
J’ai illustré ça à maintes reprises, en disant que personne n’est disposé à scier la branche sur laquelle il est assis. Cela se vérifie à chaque instant.
L’ITW de Gérard Larcher dans les derniers billets du blog, le fait très bien apparaître, par la pertinence des questions posées du type : Avez-vous déjà vu des élus voter la suppression de leur mandat ? Et les réponses quelque peu édulcorées.
Ceci n’étant qu’un exemple, mais tellement parlant.