« Face aux règles internationales, certaines spécificités françaises, qui handicapent nos banques sans générer d’avantage véritable pour la clientèle, devront être réexaminées. Il est urgent de le faire, dans la sérénité (…). »

Voilà onze ans et demi, je préconisais (1), au nom de la Commission des finances du Sénat, la distribution universelle du livret A de la Poste et des Caisses d’épargne, par l’ensemble du système bancaire.

En 1996, j’ai saisi le Conseil de la concurrence, d’une demande d’avis relatif à la distribution des livrets A et bleu(2) . Verdict : les traités européens devaient conduire à la distribution universelle de ces livrets. Les restrictions de concurrence, dans la distribution des livrets n’étaient pas justifiées par la mission de financement du logement social. « A priori, le financement du logement social selon les modalités actuelles, ne serait pas affecté par une éventuelle banalisation du livret A, si tous les établissements distributeurs étaient soumis à l’obligation de centralisation des fonds collectés. Faudrait-il encore que soit garanti le maintien d’une centralisation totale des fonds pour tous les établissements collecteurs aussi longtemps que cela s’avérerait nécessaire à l’accomplissement de cette mission d’intérêt général. »

L’Union européenne nous contraint, aujourd’hui, à cette réforme. En effet, la Commission a enjoint à la France d’y procéder avant le 11 février de cette année, date déjà dépassée.

Le gouvernement a donc confié à Michel Camdessus, une mission de réflexion sur les modalités de la « banalisation » du livret A (3) . Ses conclusions sont assez proches des nôtres, comptant, en outre, des approfondissements techniques bienvenus.

Manque un point essentiel : le financement du logement social. Le livret A est, aujourd’hui, la ressource qui permet de financer les prêts relatifs à la construction des HLM, grâce à une centralisation des fonds collectés à la Caisse des dépôts et consignations. Le rapport Camdessus indique que l’encours des livrets A et « bleu » (celui du Crédit Mutuel), autour de 140 milliards d’euros aujourd’hui, ne suffira pas à financer l’ambitieuse politique du logement social définie par le gouvernement.

Pourtant, et sans crainte de la contradiction, il propose également ne plus centraliser que 70 % de l’encours, laissant le solde à la libre disposition des banques. L’équilibre serait théoriquement maintenu, via une fusion du livret A avec le livret de développement durable (ex- codevi) dont l’encours est de 60 milliards d’euros. Ce serait pervertir encore davantage le système ; le codevi ayant été largement soustrait à sa mission d’intérêt général de financement des PME, comme l’avaient montré, en leur temps, mes collègues Philippe Marini et Paul Loridant.

Pourquoi l’Etat défiscaliserait-il et garantirait-il une épargne qui ne serait pas affectée à un objectif d’intérêt général ? Il est déjà loisible aux banques de distribuer des livrets fiscalisés et garantis seulement par elles-mêmes. Il n’y a donc aucune raison que l’encours du livret A cesse d’être centralisé à 100% à la Caisse des dépôts et consignations.

Au souvenir des oppositions suscitées par ma proposition, y compris dans mon propre camp, en vertu de l’atteinte à l’épargne populaire et au logement social, j’ai peine à penser que la précaution que je défendais alors, admise par la Commission Européenne, se trouve, aujourd’hui si aisément balayée.

 

(1)Rapport du 15 novembre 1996. « Banques : votre santé nous intéresse ». Sénat n° 52 – 1996-1997.

(2)Avis n° 96-A-12 du 17 septembre 1996 relatif à une demande d’avis de la Commission des finances du Sénat concernant les conditions de concurrence prévalant dans le système bancaire et de crédit français, disponible sur le site du Conseil www.conseil-concurrence.fr/pdf/avis/96a12.pdf

(3)Rapport de la mission sur la modernisation de la distribution du livret A et des circuits de financement du logement social 17 décembre 2007, disponible sur www.premier-ministre.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_final_camdessus.pdf