Le Livret A – spécialité française au moins aussi emblématique que la Tour Eiffel – fait l’objet de multiples attentions, discours, émotions aujourd’hui. Le récent rapport Camdessus sur ce sujet demande sa banalisation, d’ailleurs depuis longtemps objet de négociations à Bruxelles. Et voilà maintenant que c’est sa rémunération qui fait l’objet de tergiversation, avec un arbitrage final qu’on pourrait résumer par « un peu plus que s’il y en avait moins » … Je vous propose de faire un point sur l’histoire de ce très curieux produit et les débats qu’il suscite. Et n’en déplaise aux intégristes du conservatisme, la banalisation du Livret A n’est pas la fin du financement du logement social mais peut être même tout le contraire !
L’origine du Livret A, c’est celle des Caisses d’Epargne, historiquement l’une des premières institutions financières françaises. Le XIXeme siècle a vu en effet se dessiner l’ébauche de notre actuel système bancaire : de nombreuses banques d’affaires aujourd’hui filiales de grands groupes bancaires voient le jour à cette époque ; le Crédit Lyonnais et la Société Générale, le CIC, les établissements qui deviendront la BNP Paribas naissent durant le Second Empire. Il reste que l’« offre bancaire » est à l’époque fort restreinte, visant principalement une clientèle aisée. C’est pour cette raison que certaines professions s’organisent, tels les agriculteurs qui, à la fin du XIXeme, créent ce qui sera l’ancêtre du Crédit Agricole et du Crédit Mutuel, sur un modèle raiffeisien (Raiffeisen était un allemand qui a « inventé » la banque mutualiste). Et puis, très tôt, il y a eu la Caisse d’Epargne ! Fondée en 1818 à Paris, elle appartient au trio des plus anciennes institutions financières françaises, après la Banque de France, créée en 1801 par Napoléon (et qui n’est devenue que progressivement la « Banque Centrale ») et la Caisse des Dépôts et Consignations créée en 1816 pour des missions d’intérêt général. Ses fondateurs sont prestigieux : le Duc de la Rochefoucault et Benjamin Delessert, ce dernier également connu pour l’invention du sucre de betterave.
L’organisation des Caisses d’Epargne est atypique : elles s’adressent aux gens modestes pour leur permettre de se constituer une épargne. J’ai eu un jour l’occasion de lire les statuts de la Caisse d’Epargne de Strasbourg : elle vise clairement les « domestiques » et les « manouvriers », même si très vite, l’institution va aussi toucher une partie plus aisée de la population. Bref ! Les Caisses d’Epargne illustrent parfaitement la formule de Guizot : « enrichissez vous par l’épargne et le travail ». Il y a chez les fondateurs l’affirmation d’un objectif social très fort qui conduit à une autre spécificité : la gestion est confiée à des notables qui assurent leurs fonctions bénévolement. En clair, le statut juridique des Caisses est quasiment celui d’une fondation, ce n’est que la loi de 1999 qui leur donnera celui de société coopérative à capital variable. Après un démarrage plutôt lent – il faudra attendre quasiment 1860 pour dépasser le million de Livrets A -, la diffusion du produit s’accélère. Avec la Caisse National de Prévoyance créée en 1881, celle de la Poste, qui est « l’autre » bénéficiaire du duopole de la distribution, ce sont même 8 Français sur 10 qui détiennent un Livret à la fin du XXème siècle.
Un des principes prudentiels de l’épargnant (certes pas toujours respecté, loin s’en faut) est de ne pas prendre de risque qu’il ne pourrait assumer. L’extrême modestie des clients des Caisses d’Epargne au XIXème siècle rend impossible tout investissement dans des entreprises. Il ne reste donc que le placement auprès du seul emprunteur jugé sans risque : l’Etat. A compter de 1829, les fonds issus de la collecte sont reversés moyennant intérêts au Trésor Public puis à la Caisse des Dépôts et Consignation en1837. Ce faisant, l’Etat prend désormais un ascendant sur la Caisse d’Epargne dont elles ne se déferont qu’à partir des années 1990. Et pendant des décennies, l’existence des Caisses d’Epargne tournera quasiment autour du seul Livret A, dont tout naturellement les fonds seront utilisés pour le logement social.
Pourtant depuis un quart de siècle, l’horizon du Livret A s’assombrit. Il y a eu la « loi bancaire » de 1984. En effet, jusqu’au milieu des années 80, le système bancaire français est un agencement de monopoles, de passe-droits et de privilèges, dont l’une des conséquences est de couter cher au consommateur faute de concurrence, et de couter cher au contribuable, car les bonifications d’intérêt en tout genre se multiplient. Cette loi bancaire a organisé notamment la concurrence en réduisant ces privilèges. A cet égard, l’évolution des Caisses d’Epargne a été spectaculaire. Notamment sous l’impulsion de son actuel Président, Charles Milhaud, « l’Ecureuil » n’a plus rien à envier à ses concurrents. Il est parfaitement prêt à affronter le XXIème siècle. La naissance, il y a quelques années, de la « Banque Postale » traduit également une adaptation tout aussi notable. Aussi, le monopole du Livret A s’est progressivement métamorphosé en archaïsme. Il est apparu tout d’abord de plus en plus nettement que la vocation sociale donnée à la collecte se télescopait avec la vocation de financement du logement social. En effet, si le Livret est « bien » rémunéré, ce sont les sociétés d’HLM qui en pâtissent, et si les taux faits à ces dernières sont intéressants, c’est l’épargnant qui en subit le contrecoup. Ainsi, les détenteurs du Livret A ont beaucoup perdu au cours des années 70 et 80. Lorsque le taux du Livret était à 8%, l’inflation était à 12 %. En clair, si au 1er janvier, 100 francs pris sur le Livret permettaient d’acheter 100 francs de marchandises, il n’en était plus ainsi au 31 décembre. Certes les 100 francs sur le Livret étaient devenus 108, mais les marchandises valaient 112. Il y a eu un alors un mécanisme de paupérisation des épargnants. C’est peut être pour cette raison que le Livret A a cessé d’être une épargne populaire. Les chiffres en trompe-l’oeil sur le taux de diffusion cachent des livrets trop souvent vides : à peine plus de 2% atteindrait le plafond. Ceux dont le solde est inférieur à 150 € représenteraient presque les 2/3 du stock détenu par la Banque Postale. Le Livret A représentait 16 % de l’épargne française en 1981 mais seulement 3 % au début des années 2000. Entre temps, une offre bancaire améliorée – concurrence oblige – et une meilleure information de la clientèle ont conduit à une plus grande diversification de l’épargne, pas forcément avec plus de risque. Enfin, le cout de gestion du Livret est élevé : l’équivalent de prés du tiers des intérêts versés … Les taux offerts sur le marché monétaire depuis plusieurs années sont de ce fait plus avantageux. De plus la formule utilisée pour calculer la rémunération, un « mix » entre inflation et taux du marché monétaire, tous les 2 en hausse, donnait récemment un niveau tel que les sociétés d’HLM n’auraient pas suivi. Encore ce conflit entre des vocations sociales divergentes ! Michel Camdessus propose de « banaliser » ce Livret A, en réduisant ses couts de gestion. C’est surement une chance d’assurer la pérennité de ce produit essoufflé, à la forte image de marque mais à l’efficacité beaucoup plus limitée. En ratissant plus large et en associant les banques le distribuant à la collecte, le Livret A conservera ainsi son rôle de financement du logement social. Cette banalisation sera aussi l’occasion d’en terminer avec une pratique qui rompt l’égalité républicaine.
AB Galiani
PS : Question subsidiaire qui fera gagner à celui qui répondra juste toute mon estime : pourquoi et à quelle époque l’emblème de la Caisse d’Epargne, qui était une ruche, devient un écureuil ? (un indice : on peut dire d’une certaine façon qu’il y a réellement un de ces charmants sciuridés d’impliqué).
Un début de réponse : fr.wilogo.com/blog/2008/h…
En effet, Alex, c’est bien cette histoire qui se passe dans un camp de prisonnier français durant la seconde Guerre Mondiale
pour M GALIANI
banalisons le LA mais banalisons tout.
Assurément la Caisse d’Epargne est devenue une banque totale de détail (rapport douyere)et investment bank et sans doute il est dans la logique du temps de banaliser ce livret.
Simplement les gouvernements depuis 20 ans en veulent aux CE
pourquoi ?
un lobbying carnassier des autres banques,pour se gausser de ce privilège.
une technostructure frayant avec des amittés bancaires ciblées et ayant entrées dans les cabinets ministériels
Alors mettons banalisons. que va t il se passer ?
les banques disent 50 bp de commisionnement cela me suffit. donc cela coutera cher pour le logement social…
rasionnement séduisant qui ne tiendra pas longtemps .pourquoi ?
parce que les états majors bancaires lancent le mot d’ordre "fixez l’épargne " or c’est l’anti livret A.
on fera semblant de jouer le jeu et o nrecyclera l’épargne captée en
ass vie, OPCVM, fonds à promesse ..bien loin des livrets A .
mais puisque le veau d’or libéral a le vent en poupe
raffraichissons la mémoire à ceux qui avaient le monopole du financemnt agricole, artisant…etc qu’auraient ils dit à l’époque.
mais bref je suis un écureuil moderne et je vous dit que le livret A est trop cher rémunéré, il va passer à 3.5 % sans risque.
baissons les livrets car le livret A sert de fixing à d’autres livrets comme le LDD qui sert de ressources aux PBE.
la CE n’est pas moins moderne
qui sait qu’elle est un des premiers intervenant sur les collectivivtés locales… mais aussi un des premeirs gestionnaires d’OPCVM (rapprochement CNCE CCBP natixis).
alors banalisons le livret A mais banalisons tout .
on verra si les discours sont aussi francs….
A Angry Squirrel
Il est interessant de voir cité le rapport Douyère 10 ans après … J’avour malgré tout avoir des difficultés à suivre votre analyse. Vous dites avec Natixix, la CE est aujourd’hui un acteur incontournable du domaine financier. C’est ce à quoi je fait allusion en parlant de la capacité à affronter le XXIeme siècle. Qu’il y ait de la fuite d’épargne lors de la banalisation, cela est possible. C’est d’ailleurs pourquoi le rapport Camdessus évoque la possiilité de conserver une partie de la collecte. Cette situation me semble préférable à une ressource qui coute rien qu’en collecte quasiment 5 %, soit largement un point à un point et demi que le marché monétaire.
pour AB GALIANI
mon propos était simplement de faire remarquer qu’il faut moderniser le Livret A (rémunération, commissionnement) mais que les attaques contre les 2 réseaux (poste, CE ) viennent principalement d’un lobbying affiché (au près commission européenne) ou plus sournois plein d’arrière pensées
parrallélisme des formes si l’on chasse les monopoles , chassons les tous.
que dire du duopole de 2 mastodontes (la CDC et CRCA )sur les comptes spéciaux notariés ?
on entend peu de personne sur le sujet ?
suis je si incohérent?
PS: on ne vous vois pas assez souvent sur ce blog. Etes vous asujetti à un quota éditorial(sourire) ?
j’aurais des sujets pour vous
sujet 1sur l’impact du renchérissement des MP notamment énérgétiques sur la mondialisation et surtout l’aspect le moins heureux les délocalisations.
sujet 2 les banques sont elles irresponsables ?
les activités classiques contribuant de moins en moins au surplus final du fait d’une concurrence exacerbée ( non vérité des prix) elles se sont lancées dans la confection de produits hyper sophistiqués pour dopper leur résultat.
sujet 3: bale II panacée contre les défaillances bancaires ?
(je ne pense pas du tout à l’actualité qui impacte une grande banque francaise)
sujet 4 : les banques centrales acteurs efficaces ou puits à concepts ?
a bientôt
Le livret "A" est un livret POPULAIRE UTILE et RASSURANT , qu’il soit détenu par la poste, les banques etc … quelle importance si la finalité est respectée.
Quant à son rendement ? cela parait trop élevé pour certains !
c’est une réaction un peu démesurée et peu charitable car quelque part c’est un peu s’attaquer à l’épargne des "petits".
A Angry Squirrel,
Je comprends mieux votre position et la partage …
Plein de bonnes iidées que vous me donnez (ca pourra servir aussi pour des sujets d’examen en économie)
Par ailleurs, non, il n’y a pas de quota éditorial. Mon emploi du temps chargé freine ma créativité rédactionnelle, et je le regrette, d’ailleurs
A qui, à quoi, à quel texte, à quelle date, doit-on l’appellation "Livret A"?
On la trouve dans des textes légaux ou règlementaires vers les années 1960. Mais d’où tombe-t-elle? "Livret" d’épargne, c’est banal; mais d’où vient le A et pourquoi A?
Merci du renseignement historique dont vous pourrez faire part?
A Laviolette,
Le livret est créé avec la première Caisse d’Epargne, celle de Paris, en 1818.
J’ai tout lieu de penser qu’il devient "livret A" en 1967, avec la création du "livret B". A cet égard, profitant d’une opportunité, j’ai vérifié un stock de vieux livrets archivés : ceux ouverts dans les années 60 s’appellent simplement "livret".
A Laviolette,
Quelues diligences complémentaires m’ont permis de retrouver la naissance du nom "livret A" au 1er janvier 1966 ; auparavant, il n’était que "livret" ; c’est effectivement la création du livret B qui entraîne cette modification.
Merci de votre attention et cette précision. Naissance de Livret A au 1er janvier 1966, avec Livret B, dites-vous. A quoi correspond le 1er janvier 1966? Est-ce une loi, un décret, une décision de la Caisse d’Epargne ou de la Poste, une fantaisie journalistique?
Re-merci du complément que vous pourrez indiquer.
Le gouvernement a raison car le livret A sert à financer le logement social.
Le taux du livret A va remonter à 1,50% au Août 2010 du fait de la hausse de l’nflation.