Nous voici arrivés au terme de notre promenade culturelle à travers les rues d’Alençon. Je vous propose pour terminer, en espérant que cette balade vous aura plu, de découvrir la rue aux Sieurs.
Je tiens, de nouveau, à remercier très chaleureusement Alain Champion, auteur du Dictionnaire des rues et monuments d’Alençon, ouvrage d’où sont issus les textes proposés, ainsi que son éditeur, Alain Mala, dirigeant des Editions Cénomanes, qui ont rendu possible cette belle découverte.
12 – Rue aux Sieurs
« Située dans le centre-ville, elle relie la place de la Halle-au-Blé à la Grande-Rue.
Probablement apparue au début du XIe siècle, elle fut sans doute aménagée par Guillaume Ier de Bellême (voir rue du Bercail).
La plus ancienne mention de cette voie figure dans une charte de l’abbaye de Perseigne de 1298. Louis Duval, en 1892, écrit qu’elle est appelée rue aux Sueurs ou aux Suours dans tous les documents antérieurs au XVIIIe siècle. Au cours de celui-ci, ces vocables, tombés en désuétude et devenus inintelligibles, sont confondus avec celui de Sieurs qui devient alors son nom. La confusion est entretenue par Joseph Odolant-Desnos qui affirme, en 1787, que la rue au Brille [qu’il faut d’ailleurs lire « Baille » (voir rue de la Cave-aux-Bœufs)] quitta ce nom pour prendre celui de rue aux Sieurs, après la réduction de la ville, sous l’autorité de son duc, parce que les quatre échevins y demeuroient. Puis, simultanément, par corruption de langage, la lettre « r » n’étant pas prononcée comme pour le terme de vénerie piqueur qui devient piqueux, la rue aux Sieurs devient la rue aux Cieux jusqu’en 1875.
Louis Duval écrit encore que nous n’avons pas connaissance que ce titre de sieur, qui signifie seigneur ou maître, ait jamais été donné à de simples administrateurs de la ville tels qu’étaient les échevins. De plus, il faudrait admettre avec l’auteur de l’histoire d’Alençon [Odolant-Desnos] : 1° que l’échevinage ou la mairie d’Alençon était dans cette rue, ce qui n’est pas ; 2° qu’antérieurement à 1449 la rue aux Sieurs portait un autre nom, ce qui ne peut davantage se prouver. Résumons : Cette voie n’a nullement porté auparavant le nom de rue au Brille [Baille] ; elle est déjà attestée sous le nom de Suours en 1298 ; Louis Duval souligne que cette dénomination remonte évidemment beaucoup plus haut.
Le nom de cette voie (que Louis Duval croit à tort être probablement la plus ancienne de la ville) tiré des « quatre sieurs », n’est donc qu’une légende forgée par Joseph Odolant-Desnos, reprise par Jean-Jacques Gautier en 1805 et par le conseil municipal en 1875, qui continue à courir de nos jours. Il en est de même pour l’appellation rue au Brille [Baille] comme allusion à la Briante.
Le conseil municipal a donc commis une erreur en instituant une rue aux Sieurs, le 7 mai 1875. Rue aux Cordonniers, voire rue du Bas-Peuple, eut été plus conforme à l’étymologie et à l’histoire alençonnaise. En effet, « Sieurs » tient son origine de suours, (sueurs ou encore suors, suers, etc.), dérivant du latin sutoris qui signifiait « cordonnier » et « homme du bas-peuple ». L’industrie du cuir paraît d’ailleurs avoir été la première à se fixer sur les bords de la Briante. Attestée en 1409, mais pouvant remonter au XIIIe siècle, elle a été pratiquée jusqu’à la fin du XIXe siècle. En 1511, la confrérie de l’Angevine et de la Nativité offrit un vitrail à l’église Notre-Dame sur lequel on voit trois groupes représentant des cordonniers, des bourreliers et des tanneurs. Installés derrière les maisons des rues aux Sieurs et du Val-Noble, les tanneurs utilisaient l’eau pour nettoyer, racler et assouplir leurs peaux. Nous ne connaissons pas le nombre exact de tanneries, mais nous savons que le déclin de cette industrie a commencé au début du XVIIIe siècle. En effet, un rapport de 1745 indique qu’autrefois la tannerie y était considérable, mais que depuis cinquante ans, elle y est beaucoup déchue. En 1761, il en restait vingt-huit en activité, sept en 1776, huit en 1810 et deux en 1865. La dernière tannerie de la rue aux Sieurs a fermé ses portes en septembre 1895 et fut démolie en 1986.
L’immeuble des numéros 14-20 a été élevé au XVIIIe siècle. C’est dans une maison située derrière le numéro 32, à laquelle on accède par une allée portant le numéro 34, qu’est né Jacques de La Billardière le 28 octobre 1755. La librairie des deux Pierre Godard est occupée par le magasin Burton of London, au numéro 51 – et non dans la maison dite des Quatre Sieurs comme le pense Louis Duval – ; elle est décorée de bandeaux, de corniches, de balcons et de consoles. Au croisement de la rue avec celle de la Cave-aux-Bœufs, trône une cabine téléphonique anglaise offerte par la ville de Basingstoke en 1988. Le numéro 40, construit en 1880 sur l’emplacement de la maison dite des Quatre Sieurs, fut d’abord le Grand Bazar de l’Orne, puis en 1903, les Magasins Réunis, dont le principe était de vendre Tout à petit bénéfice et entièrement de confiance. Le Printemps succéda aux Magasins Réunis de 1982 à 1995. C’est aujourd’hui la Halle aux Vêtements. Le numéro 44 est orné d’encadrements de baies moulurées et de volutes. Le 64 se remarque par ses balcons en fonte et le 73 par ses fenêtres avec frontons.
La rue aux Sieurs fut la première voie piétonne de la ville. Elle a été inaugurée le 5 juin 1976.»
Texte extrait du Dictionnaire des rues et monuments d’Alençon, d’Alain Champion, illustrations de Fabien Petit, publié aux Editions Cénomane, septembre 2003, 320 p.
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