« Ils font, font, font. Des déplacements, des émissions de télé, des discours, des choses à ne pas faire, des rencontres, des erreurs, des repas, des mesures, des livres aussi, des programmes, des sourires. Ils font tout ça au pas de charge. Ils en sont fiers. C’est si bien d’aller si vite. (…) Mais est-ce que ce n’est pas aussi le sens de la vie, approché uniquement dans des silences et des solitudes que l’on abandonne ainsi sur le bas-côté ? Yasmina Reza a écrit avec « L’aube le soir ou la nuit », un magnifique récit sur le temps. Car  » ils « , ce sont les hommes politiques, les hommes d’action, les hommes tout court. (…) Les hommes assez fous pour entrer en lutte contre le temps. Yasmina Reza a suivi Nicolas Sarkozy pendant sa campagne présidentielle. Elle a suivi non pas le futur président de la République mais l’être humain. La dramaturge saisit à la perfection comme dans tout son théâtre, le décalage entre personne et personnage. Elle a bénéficié d’une totale liberté pour écrire son portrait. « L’aube le soir ou la nuit » est un récit original, désopilant, mélancolique, intime. Nicolas Sarkozy représente l’homme exacerbé. Il est le centre névralgique d’une constellation de figures masculines.

On attendait un récit « pour » ou « contre » Nicolas Sarkozy. A tort. L’aube le soir ou la nuit n’est en aucun cas un livre politique. C’est le contraire d’un livre en noir et blanc. Tout y est incertitude, distance, humour, doute, nuance, insolence. (…) Yasmina Reza est un écrivain. Elle observe, dissèque, analyse. Elle n’est pas en empathie avec son sujet mais en interrogation face à la vie. Nicolas Sarkozy est son personnage par excellence. Il a construit sa vie entière pour obtenir quelque chose qu’il a finalement fini par obtenir. Il est celui qui a voulu puis il est celui qui a eu. C’est rare et c’est fait. Il a rencontré son destin. (…) Le récit regorge de scènes, de répliques, de personnalités incroyables. Omniprésence d’Henri Guaino ; conversations avec Michèle Alliot-Marie, Alain Juppé, Patrick Devedjian ; rencontre avec Marc Lévy ; propos sur Chimène Badi ; dîner avec Luc Ferry et Alain Minc. C’est dur, drôle, tendre, triste. On aime quand Nicolas Sarkozy dit : « Je ne considère pas que Dick Rivers soit un naze » ou « Mme Royal est-ce qu’elle m’aide ? Ce n’est pas sûr. Ce n’est pas sûr que le fait d’être nul soit un handicap en France » (…) ou « J’aime les fêlés, ils me rassurent ». Yasmina Reza nous donne ici son livre le plus personnel. On y retrouve ses thèmes (le temps, le silence, la solitude) et ses tons (grotesque, aimant, pathétique, incisif). Elle épingle les clichés, les tics, les certitudes. (…) Nicolas Sarkozy est une figure fascinante pour elle parce qu’il est au carrefour de l’action et de la réflexion. Il est comique et tragique. Il est suffisamment inconscient pour avancer tout schuss et suffisamment conscient pour sentir battre un ailleurs. Son rapport au temps est complexe. (…) Courir pour ignorer l’angoisse de la mort ; courir et se rapprocher encore plus vite du tombeau. Quelque chose étreint, entre deux scènes drolatiques, dans ce récit humain du pouvoir. Peut-être est-ce ça : qu’avons-nous fait de nos vies ? »


Extraits de l’article de Marie-Laure DELORME publié dans « Le magazine littéraire »

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