Dans mon billet du 24 juillet dernier, je relevais que les dépenses sociales consacrées aux retraites se substituaient progressivement aux autres dépenses sociales. L’alternative est donc simple : soit la pression fiscale s’accroît, pour financer des charges qui n’ont pas de contrepartie sous forme de création de nouvelles richesses, au détriment du pouvoir d’achat et de l’investissement, soit des choix de répartition sont opérées, aujourd’hui au détriment de la santé et de l’investissement public. On peut se demander alors pourquoi il est si difficile de corriger le tir pour améliorer l’efficacité de la dépense sociale ?
Le rapport publié en 2005 par la Commission « Famille, vulnérabilité, pauvreté » présidée par Martin Hirsch présente le dysfonctionnement sans ambages. La France est un pays dont les dépenses sociales sont supérieures à la moyenne européenne et pourtant, à l’inverse du constat habituel (plus de dépenses, moins de pauvreté), le risque de pauvreté y est plus important. Le rapport relève un lien entre l’absence d’efficacité et l’importance des dépenses de retraites en France, qui d’ailleurs d’une façon générale transparaît dans les pays où les charges de retraites sont importantes. La spécificité française, toutefois, c’est que la France est un des pays avec le plus fort niveau de dépenses publiques avec 54 % du PIB en 4eme position européenne, derrière notamment la Suède et le Danemark.
Au sein des systèmes de retraites, tous les Français ne sont pas lotis à la même enseigne. Le régime général donne le droit à une pension ouverte à taux plein à partir de 40 ans de cotisation à partir de l’âge 60 ans, calculée sur les 25 meilleures années de cotisation. Les régimes spéciaux de fonctionnaires offrent une retraite déterminée sur les derniers mois d’activité donc – sauf cas très exceptionnel – sur les rémunérations les plus élevées. Et pour les monopoles publics, les durées de cotisations sont moindres, à 37,5 ans. Pourtant les prélèvements sur les salaires sont un tiers plus importants pour le privé que pour le public. Ce sont donc les contribuables – c’est-à-dire pour majeure partie, les salariés du privé – qui vont payer (ce qui au passage permet à EDF d’afficher des tarifs concurrentiels). Ainsi, si le taux de cotisation « employeur » (un élément du « coût du travail ») est d’environ 15 %, il est de 60 % pour l’Etat qui finance les insuffisances de cotisations. Bref, ce n’est pas un hasard si le résultats des projections de l’INSEE conduit à estimer que 55 % du déficit prévisionnel des retraites est imputable aux régimes spéciaux, soit 20 % des actifs !
Les tentatives de réforme n’ont jamais été vraiment convaincantes jusqu’à présent. En effet, ces régimes spéciaux bénéficient à des groupes de pression qui ont les moyens de bloquer le fonctionnement de la société et ne s’en privent pas. Alors que le secteur public regroupe environ 25 % des salariés, il a représenté en moyenne sur la période 2003 – 2005, 90 % des jours de grève. Certes, l’argumentation des syndicats du secteur public est d’affirmer qu’ainsi ils défendent l’intérêt de l’ensemble des salariés … Malheureusement, cet argument ne tient pas, car ce sont les salariés du privé qui paient l’absence de réforme, par le chômage et pour les plus fragiles d’entres eux, par un risque d’exclusion accru. Bref ! La grève n’est pas dans le secteur public un moyen de « dialogue » social, qui reste exceptionnel en raison de sa brutalité, mais un outil banal pour obtenir des avantages multiples, d’autant qu’y recourir est quasiment sans risque et rappelle à la Collectivité sa situation de dépendance. Elle est devenue un moyen de production permettant d’accéder à des revenus, plus sûrement que l’amélioration des méthodes de travail. Ce n’est pas la grève qui est contestable mais l’existence fort peu démocratique de monopoles qui donnent à des minorités des moyens considérables de pression et tue toute poursuite d’un objectif commun à la Collectivité. Dans son ouvrage « le Grand Gaspillage », Jacques Marseille relève que « dans une société où prés de la moitié du revenu des ménages vient de la dépense publique, de nombreux groupes de pression ont intérêt à consacrer l’essentiel de leur énergie à obtenir la plus grande part de ce revenu. Pour cela le moyen le plus efficace est d’intimider la puissance publique ». Et de déplorer ainsi « l’agitation constante » de groupes au détriment des chômeurs pénalisés par un coût du travail alourdi, et des « quelques 4% de ménage français qui souffrent de la grande pauvreté ».
Bref, ce n’est pas un libéralisme fantasmé, dont la dénonciation est agitée tel un épouvantail, qui menace la protection sociale, mais les égoïsmes corporatistes qui ont tout intérêt à ce que rien ne change.
Bravo à A.B. Galiani de nous rappeller à l’essentiel en cet été qui précède les grandes réformes.
Et cette situation ne changera pas tant que nous continuerons à raisonner en terme de dépenses supplémentaires plutôt qu’en terme de dépense efficace. Il n’est pas normal et il est encore moins logique que des salariés du privé et à plus forte raison, que des salariés du privé aux revenus les plus modestes, soient obligés de contribuer directement au financement d’une caste de fonctionnaires, dont l’utilité et l’efficacité de certains est loin d’être démontrée, dans le seul objectifs de sauvegarder des avantages acquis dont ils n’ont aucune idée du coût de la collectivité et dont ils se moquent puisque seul leur petit confort de vie compte. C’est de l’égoisme pur et simple. Alors, ayons le courage de prendre quelques mesures simples qui auront le mérite d’envoyer des signaux forts, par exemple :
1°) – Une véritable mesure de l’efficacité des différents secteurs de la fonction publique ou par la mise en place d’indicateurs, chaque agent engage sa responsabilité et doit justifier qu’un euro dépensé est toujours un euro efficace ;
2°) – En 2007, plus de 80000 départs en retraite dans la fonction publique, conformément aux promesses de campagne, il convient d’accélerer le rythme et de ne procéder au remplacement que d’un seul agent sur deux ;
3°) – Procéder à une réforme en profondeur des régles de la représentativité syndicale car il n’est pas normal qu’une minorité d’agents très souvent privilégiés, puisse se permettre pour des raisons systèmatiquement futiles d’organiser des prises d’otages venant pénaliser une majorité de français qui ont encore le courage de travailler ;
4°) – Aligner rapidement les régimes spéciaux sur le régime général, c’est urgent et ca relève non seulement d’un besoin fort de cohésion sociale mais également d’une question élementaire de justice.
A jmj arras
Plein d’idées :
la 1 fait partie de la LOLF ;
la 4 me semble effectivement relever de l’urgence ;
la 2 exige une reforme profonde de notre systeme administratif ;
la 3 est surement à nuancer : si l’on veut un syndicalisme responsable et représentatif, doit on prendre le risque de le marginaliser davantage ?
Vous dites : "Le régime général donne le droit à une pension ouverte à taux plein à partir de 40 ans de cotisation à partir de l’âge 60 ans, calculée sur les 25 meilleures années de cotisation. Les régimes spéciaux de fonctionnaires offrent une retraite déterminée sur les derniers mois d’activité donc sur les rémunérations les plus élevées. Et pour les monopoles publics, les durées de cotisations sont moindres, à 37,5 ans. Pourtant les prélèvements sur les salaires sont un tiers plus importants pour le privé que pour le public. Ce sont donc les contribuables qui vont payer".
Avez-vous une idée du montant total des pensions versées par l’Etat pour le financement du différentiel entre le public et le privé ?
Ce serait une information très intéressante qui révèlerait à tous les bénéficaires qu’ils ne peuvent espérer voir continuer une inégalité aussi criante.
A Questionneur,
J’ai estimé "à la louche" ce différentiel à une 20e de milliards d’euro.
Par ailleurs, les retraites des FP territoriales et hospitalières vont suivre le même chemin.
Pour comprendre par quel "prodige" la France est le pays qui a les dépenses sociales les plus importantes pour le résultat le plus médiocre il faut lire l’excellent ouvrage du canadien Timothy SMITH "LA FRANCE INJUSTE" (Autrement, 2006) où il montre que ces dépenses sont utilisées prioritairement au profit de ceux qui n’en n’ont pas besoin (pour schématiser les quinquagénaires mâles ayant un emploi public ou privé) au détriment de ceux qui en ont vraiment besoin (les jeunes, les femmes non qualifiées et les exclus du travail). C’est le choix d’une solidarité de type corporatiste, au détriment d’une solidarité nationale, ce qui nous renvoie en partie au commentaire d’Alain LAMBERT sur le pouvoir de nuisance des fonctionnaires et du secteur public énergie transports.
beaucoup de réformes sont indispensables pour remettre un peu d’ordre dans ce que l’on appelle "dépenses sociales" elles ne sont pas toutes sociales ! si nos "aides ou allocations" étaient justement distribuées beaucoup reprendraient le travail (ou ne l’arrêteraient pas)et cela permettrait, en contre-partie, d’aider davantage les personnes qui ont un réel besoin d’assistance , et il est même vraisemblable que l’on pourrait réaliser des économies. Il serait urgent qu’enfin on se penche sérieusement sur cette question .
Toujours le même discours : augmentation des cotisations ou diminution des prestations. On oublie toujours une troisième voie possible : l’élargissement de l’assiette des cotisations, vers les revenus des capitaux par exemple. En attendant un rééquilibrage, sachant que durant le dernier quart de siècle il y a eu un transfert de 10% (!) de la richesse nationale produite des salaires vers les profits. On peut aussi réviser drastiquement à la baisse toutes les exonérations de charges dont bénéficient les entreprises, car ce sont des ressources en moins pour la sécurité sociale, et que leur efficacité n’a jamais pu être prouvée, car elles n’ont jamais été évaluées.
Par ailleurs, quels fonctionnaires ont un pouvoir de nuisance ? Les juges ? Les policiers ? Les enseignants ? Les infirmières ? Les agents des impôts ? Ah oui, effectivement, pour les fortunes que l’on oblige ainsi à partager un peu…
Quant à "l’existence fort peu démocratique de monopoles", il est étonnant de constater que de la part des tenants du discours dominant anti-redistribution, il ne soit jamais dénoncé lorsqu’il s’agit de la création de monopoles privés par les actuelles opérations de fusion-acquisition.
Enfin, les corporatismes les plus néfastes en France, bien qu’ils le soient tous, ne sont pas ceux que l’on croit. Voir les médecins dont les consultations augmentent beaucoup plus facilement que le SMIC, le lobby nucléaire, les lobbies patronaux très influents auprès de notre chef de l’état et de l’Europe ou la FNSEA qui réussit à imposer en France les cultures les plus désastreuses pour l’environnement dans l’impunité totale pour leurs exactions à l’égard de préfectures ou de ministres en exercice, et qui veulent aussi imposer les cultures OGM en plein champ malgré l’opposition de 80% de la population.
Les critiques des privilèges des chômeurs par les tenants des fromages de la république me font beaucoup rire.
A Gil
Sur le partage "profit / salaire", il faudrait voir déjà tout ce que j’ai écrit au cours des mois précédent. Grosso modo : 1) une grande stabilité sur le long terme de la répartition de la valeur ajoutée brute 2) la periode des années 70 a été favorable aux salaires, oui, mais pas forcement aux salariés, car les politiques d’inspiration keynésienne poussant à la hausse du coût du travail au delà de la productivité ont conduit à l’élimination des salariés les moins qualifiés notamment ; 3) le calcul en termes de valeur ajoutée brute fausse l’image que l’on a de la répartition, puisque ne sont pas pris en compte les amortissements (c’est à dire l’usure) de l’outil de production ni les interets des emprunts … Apres cette déduction, ce qui reste aux entreprises privées, c’est moins de 5 % du PIB ; dans un billet du 15 avril dernier, je concluais : "ce propos rejoint les conclusions d’Edmond Malinvaud (par ailleurs ancien patron de l’INSEE) qui, interrogé par Lionel Jospin, alors Premier Ministre, sur le financement de la protection sociale par taxation de la valeur ajoutée, avait craint des conséquences négatives sur l’investissement ". Ne croyez donc pas à la possibilité d’étendre l’imposition des revenus du capital (pour par ailleurs financer trop souvent une non création de richesses).
Quand au syndicalisme, est il devenu autre chose qu’un lobby … avec parfois la faculté de bloquer la société.