« Là où il y a 3 économistes, il y a 4 opinions » me plaisantait un jour un étudiant. Reconnaissons que la multiplicité des choix politiques faits par les économistes, connus ou moins célèbres, dans la récente période électorale, peut effectivement étonner. Quel crédit accorder à une discipline qui semble pouvoir tout dire et son contraire ? Cependant, à y regarder de plus prés, les différences apparaissent bien moindres qu’on pourrait le penser au premier abord, comme le montre une comparaison d’économistes emblématiques des différents camps. Juste une précision préalable : dans les lignes qui suivent, j’indiquerai entre parenthèses les initiales du candidat soutenu par l’auteur cité.

Certes, des écarts sensibles existent. Ainsi Thomas Piketty (SR) pourfend l’idée de moins taxer les heures supplémentaires, proposée par Nicolas Sarkozy. En effet, explique-t-il, une telle mesure ne concernerait que ceux qui ont un emploi, non ceux qui en sont exclus … Ah, cher Thomas, que n’allez vous pas jusqu’au bout de votre raisonnement, par exemple en constatant les conséquences sociales des politiques malthusiennes, comme les 35 heures, en termes d’exclusion … Philippe Mongin (NS) le contrecarre d’ailleurs en relevant les effets positifs sur l’emploi de la détaxation des heures supplémentaires, ce qui baisse le coût moyen du travail, alors qu’à l’inverse, toujours pour des raisons de coût du travail, la généralisation des « 35 heures » serait destructrice d’emploi. Ceci dit, Piketti n’est pas très loin de tenir un raisonnement similaire, qui propose de moins taxer le travail.

Cette idée de moins taxer le travail a été également développée dans les propositions du Club « Courage et Conviction », animé par Alain Lambert (NS), à coté d’une autre idée phare, celle du contrat unique de travail, pareillement défendue par Olivier Blanchard (NS). Philippe Mongin (NS) rebondit même sur le principe du contrat de travail unique, avec un « équilibre désirable de flexibilité et de sécurité ». On pourrait alors y voir une caractéristique de droite. Alors laissons Philippe Aghion (SR) enfoncer le clou : il faut flexibiliser le marché du travail, « gage d’adaptation des entreprises, de promotion et de fluidité du marché du travail couplé à un dispositif type « flexsecurité ». C’est donc globalement la dénonciation d’un marché du travail à la fois rigide dans son fonctionnement et peu efficace dans la protection des salariés.

Quasiment tous déplorent l’état de dégradation profonde des relations sociales. Olivier Blanchard (NS) évoque des relations « détestables », en affirmant qu’il « est clairement établi que les pays où le chômage a le plus augmenté sont ceux où les relations du travail sont les plus mauvaises ». Philippe Aghion (SR) ne dit rien d’autre et « Courage et Conviction » (NS) demande de renforcer le dialogue social. Tous appellent également à la maîtrise des dépenses de santé et de retraite, Philippe Mongin (NS) visant les régimes spéciaux évoque « une question d’équilibre financier et de justice sociale ». Unanimité aussi concernant le système éducatif en général et le système universitaire en particulier. Pour Piketty (SR), « la France doit combler son déficit abyssal d’investissement dans la formation ». Il faut donc « réformer les écoles et l’Université en les rendant plus responsables ». Voilà qui rompt singulièrement avec la tradition étatiste française. « Courage et Conviction » (NS), Olivier Blanchard (NS) et Philippe Aghion (SR) avancent sur des voies parallèles, en appelant à l’autonomie donc à la concurrence et au benchmark des Universités.

Le rôle de l’Etat et la fiscalité ne sont guère plus des pierres d’achoppement, même si des nuances parfois sensibles existent. Les conceptions apparaissent toutefois beaucoup plus complémentaires qu’en opposition. Le mythe du « tout Etat » a manifestement vécu. Aghion (SR) lui demande d’être le garant de la flexsecurité et un médiateur entre partenaires sociaux. Piketty (SR) veut stabiliser la pression fiscale, quitte à modifier l’assiette de certains prélèvements sociaux, tandis que Mongin (NS) ne croît guère à l’efficacité, en tout cas immédiate, de baisses d’impôt. Enfin, si « Courage et Conviction » affirme clairement la nécessité de maîtriser la fiscalité, celle-ci passe par la régulation des dépenses, c’est-à-dire par un contrôle renforcé du Parlement et par la déclinaison du principe de performance

Cette revue d’analyses et de propositions est certes rapide, avec des zooms spécifiques. Il en ressort néanmoins que les économistes s’accordent pour reconnaître l’urgence de réformes allant dans le même sens, vers un mode de régulation décentralisée, accordant une large autonomie aux citoyens. Bref ! C’est ce qu’on appelle le marché ! Philippe Aghion (SR) appelle même à la suppression de réglementations régissant les grandes surfaces et freinant la concurrence. C’est ainsi une condamnation de l’ultra conservatisme, notamment de cette gauche dont Laurent Fabius s’est institué le maître à penser. Ramené à sa fonction régulatrice, l’Etat cesse d’être « l’alpha et l’oméga de toute chose ». Mais il y gagne en efficacité !