Dans un premier billet consacré aux impôts la semaine dernière, j’ai planté le décor, en rappelant que la fiscalité n’est pas un but en soi. Pour que l’impôt soit accepté, les dépenses publiques, qui sont leur contrepartie, doivent être efficaces, c’est-à-dire employées au mieux de l’intérêt général, avec des résultats probants. A cet égard, il existe aujourd’hui d’importantes marges de manoeuvre. Interrogeons nous maintenant sur les effets d’une hausse brutale des impôts, comme le propose le Parti Socialiste. Soulignons une différence fondamentale avec la hausse tendancielle des prélèvements obligatoires observée ces dernières décennies. Cette dernière s’est faite principalement par ponction sur les gains de productivité. Ainsi, durant les « 30 glorieuses », les ménages ont donc vu croître leur pouvoir d’achat, tout en pouvant disposer de services publics plus larges. La proposition socialiste est d’une autre nature : Les prélèvements doivent augmenter de l’ordre de 3 ou 4 points de PIB, pour maintenir inchangé le fonctionnement du secteur public. Serait ce, malgré tout, la fin de nos difficultés budgétaires ? Rien n’est moins sûr !

Lorsqu’on demande qui doit payer, la réponse est unanime : « les riches ». Lorsqu’il faut se faire plus précis sur ce qu’est un « riche », les avis se font plus flous. Une étude que j’avais réalisée, il y a quelques années, sur cette notion mettait d’ailleurs en évidence que, sauf exception, « le riche, c’est celui qui a plus que soi ». Il faut donc alors positionner la barre à un niveau forcement arbitraire. Pierre Cahuc et André Zylberberg (le chômage, Flammarion, 2005) expliquent que prélever 10% d’impôt en plus sur les tranches de revenus supérieures à 8000 € par mois entraînerait une augmentation du produit de l’impôt de l’ordre de 0,02 % du PIB ; la même augmentation frappant les ménages gagnant plus de 3500 € par mois rapporterait 0,7 % du PIB. De telles mesures évoquent donc la goutte d’eau dans la mer. Autrement dit, « faire payer les riches » reste un slogan creux et vouloir résoudre les déficits par le seul impôt exige de frapper large et fort !

Il ne faudrait pas croire alors que la hausse des prélèvements pourrait se faire sans effets secondaires. En effet, la réduction du pouvoir d’achat réduirait la demande des ménages sans accroître celle du secteur public. Certains modèles estiment qu’une hausse « sèche » des prélèvements d’un point de PIB entraînerait un effet récessionniste d’un ½ point de PIB en moins. Fort vraisemblablement, une augmentation du chômage est à craindre. A cet égard, il faut se rappeler que la hausse de la TVA décidée par le Gouvernement Juppé, juste après l’élection de Jacques Chirac en 1995, a freiné la reprise qui se dessinait en reportant ses effets visibles en 1997.

Pourrait on miser alors sur l’effet ricardien, comme en Suède ou au Canada ? On a constaté, lorsque les déficits et l’endettement publics sont « clairement sur une trajectoire insoutenable » pour reprendre l’expression d’une Direction du Ministère des Finances, que les ménages anticipent les hausses d’impôt à venir en accroissant leur épargne. A l’inverse, l’amélioration des déficits publics conduit à réduire l’épargne et donc stimuler la consommation. En l’occurrence – et en raison de l’impact déflationniste évoqué ci-dessus -, la réduction des déficits publics sera lente à se manifester, si elle se manifeste, n’incitant pas, du même coup, les ménages à réduire leur épargne.

L’investissement pourrait même en subir des conséquences négatives. Dans les années 70, un économiste américain, Arthur Laffer, invente une courbe et un slogan qui lui vaudront sa célébrité : « l’impôt tue l’impôt ». L’idée de sa démonstration est d’affirmer que la hausse du taux d’imposition dans un premier temps accroîtrait l’impôt perçu puis, passé un certain seuil, le réduirait puisque les agents économiques cesseraient de produire une richesse dont la plus grande part leur est finalement retirée. L’impôt pénaliserait alors l’activité. Le doute a longtemps subsisté sur cet effet Laffer. Plusieurs économistes (dont Thomas Picketti) l’ont mis en évidence, pour des niveaux d’imposition très élevés, il est vrai. Cependant l’effet Laffer pourrait se généraliser dans l’avenir. La seule évolution du système de retraites, jointe aux dépenses de santé afférentes, laisse envisager une hausse de plus de 10 points des prélèvements à l’horizon d’une génération, sans que cela marque une limite.

A plus court terme, un impôt frappant lourdement les bénéfices des entreprises aura des effets négatifs. Dans une étude récente (septembre 2006), l’INSEE rappelait que la profitabilité attendue est le premier critère qui conduit à la décision d’investir. Ce n’est d’ailleurs qu’une reformulation du principe d’efficacité du capital avancé par Keynes : plus un investissement est rentable, plus il a de chance d’être mis en oeuvre. Par voie de conséquence, une fiscalité excessive conduira à pénaliser le capital productif. L’ancien chancelier Schmidt avait également utilisé une formule : « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain qui sont les emplois d’après demain ». Cet aphorisme comporte une légère erreur : une entreprise peut investir demain sans qu’il y ait de profits aujourd’hui. Elle est plus sensible aux perspectives d’avenir qu’aux résultats du jour même. En revanche, dans ce cas, elle s’en trouve fragilisée, une performance moindre que celle attendue pouvant la conduire à la faillite, faute de disposer de ressources propres suffisantes, dont le profit est la première origine.

Il ne faut donc pas attendre de miracles de la hausse des impôts. 2 économistes, Alesina et Perrotti, travaillant sur les pays de l’OCDE, ont d’ailleurs montré qu’aucun d’entre eux n’avait résolu les déficits par une hausse des impôts. A l’inverse, la réussite est venue des politiques de maîtrise des dépenses publiques. A cet égard, l’exemple de la Suède est révélateur. Constatant son inefficacité, l’Etat suédois a recentré son action sur un rôle de régulation, en complément d’une régulation de plus en plus décentralisée. Bref, on a laissé une plus grande action – et d’un commun accord avec les partenaires sociaux – au secteur privé, qu’il s’agisse d’écoles (l’Etat a encouragé la création d’écoles privées), de santé (même si l’intervention publique reste forte), d’énergie, etc. Soucieux d’améliorer une productivité défaillante, l’Etat a reconverti plusieurs dizaines de milliers de fonctionnaires (dont au demeurant le statut est rentré dans le droit général) vers le privé. Les réformes en matière de retraite ont été radicales, avec un allongement de la durée de cotisation et un encouragement sous forme de prestations améliorées en cas de départ retardé.

Bref, avant de songer à augmenter les impôts, assurons nous que les Français « en ont pour leur argent ». Plus que l’importance du montant des dépenses publiques, c’est leur efficacité qui compte. Le Parti socialiste veut accroître la fiscalité pour ne mettre en oeuvre aucune réforme de l’Etat. Loin de contribuer à leur réduction, la hausse de la fiscalité risque bien au contraire d’augmenter la pauvreté et le chômage, et pourrait provoquer un jour une vaste remise en cause de la protection sociale ! Peut être gagnerions nous à nous inspirer du pragmatisme social démocrate qui, par des réformes parfois drastiques, sait remettre l’action publique au coeur de l’intérêt général.