De façon très claire, il apparaît aujourd’hui que la résolution des déficits est un des thèmes de la campagne électorale. Le clivage est nettement marqué entre Ségolène Royal plutôt favorable à la hausse des impôts et Nicolas Sarkozy, très attaché à l’amélioration en priorité de la performance du secteur public. Dans mes billets publiés sur ce blog depuis 10 mois, je me suis attaché à montrer le potentiel de productivité que celait en effet ce dernier. Je vous propose donc, dans une série de 2 billets – dont le premier ici présent –, de faire un point d’abord sur la performance des dépenses publiques puis ensuite sur les risques d’une hausse d’impôts inconsidérée. « Yaka faire payer les riches » est un discours qui peut certes payer. Il dispense de réfléchir. En accusant ces « riches » largement mythiques, au besoin en leur faisant porter la responsabilités de nos maux, on légitimise l’impôt confiscatoire. Mais au profit de qui ? En tout cas, pas de ceux qui ont le plus besoin de la solidarité nationale.

Tout le monde connaît le rôle premier de l’impôt, qui est de financer les dépenses publiques dont le périmètre a considérablement évolué depuis 150 ans. En effet, les interventions de l’Etat se sont élargies progressivement, au-delà du domaine « régalien » (littéralement ce qui relève du Roi, c’est-à-dire marque la souveraineté), à tout un ensemble d’interventions économiques et sociales. L’impôt se veut également un instrument de politique économique. A ce titre, de par son organisation même, il vise certains objectifs, certes louables mais parfois au risque d’effets pervers, qui seront expliqués dans le prochain billet.

Les recettes de l’Etat viennent pour un cinquième de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, 44 % de la TVA, un autre cinquième de la taxe sur les produits pétroliers et de l’impôt sur les sociétés … A noter, à titre anecdotique, l’existence de recettes non fiscales : loyers, dividendes, produits des amendes …. Stricto sensu, l’impôt diffère de la cotisation sociale en ce qu’il n’ouvre pas de droits particuliers, alors que la cotisation permet d’accéder à des services précis : assurance santé, retraites etc. L’un et l’autre constituent les prélèvements obligatoires, de l’ordre de 45 % du PIB en France, incluses dans un ensemble de recettes qui représentent plus de la moitié du PIB. Mais ce taux de prélèvement est une moyenne ! Et au final, les prélèvements sur les ménages actifs sont de l’ordre de 50 % de leur revenu, mais devrait croître très fortement dans les années à venir du fait du vieillissement de la population (peut être l’équivalent de 10 points de PIB, en incluant les dépenses de santé, à l’horizon d’une génération).

Ce sont les dépenses de protection sociale qui se taillent la part du lion : 56 % des dépenses publiques sont consacrées à la santé et à la protection sociale. Autrement dit, les dépenses publiques ont représenté (en 2005) 919 milliards d’euros, dont 513 sont allés à la protection sociale. A comparer aux dépenses de l’Etat qui ont représenté 271 milliards d’euros. Aujourd’hui, la France est parmi les pays avec le plus fort niveau de dépenses publiques dans le PIB (53 %), en 4eme position derrière notamment la Suède et le Danemark (respectivement 58 % et 55 %). Comme ce ne sont pas quelques points en moins qui peuvent l’expliquer, la question reste entière de savoir pourquoi ces pays ont moins de chômage et de pauvreté que la France ?

A cet égard, 3 remarques doivent être formulées.

Tout d’abord, le niveau des prélèvements obligatoires ou celui des dépenses publiques n’est pas un indicateur suffisant pour évaluer le poids des dépenses sociales qui ne peuvent être réduites au seul domaine public. Ainsi les Etats-Unis connaîtrait selon l’OMS et l’OCDE des dépenses de santé (mesurées en points de PIB) supérieures d’un tiers à celle de la France mais très largement assurée par le privé, donc n’entrant pas dans la mesure des dépenses publiques. De même, la plupart des Français cotise à un système d’assurance santé complémentaire, qui stricto sensu constituent une dépense de protection sociale, sans figurer à la rubrique « dépenses publiques ».

Ensuite, l’importance des dépenses publiques ne garantit en rien la qualité de la prestation, laquelle dépend aussi de l’importance des mécanismes de régulation (c’est-à-dire de l’aptitude à corriger les dysfonctionnements). Le développement de ces derniers permettra d’améliorer la productivité avec pour conséquence le maintien ou l’amélioration de la qualité des services publics en réduisant la dépense. Le « toujours plus » des syndicats de la Fonction Publique n’est jamais que la traduction d’un immobilisme absurde.

Enfin, les conséquences des dépenses publiques sur le niveau de vie sont liées au choix d’icelles. A ce titre, il faut sortir de l’analyse keynésienne qui ne considère que l’angle de la demande. Mais les dépenses donnent aussi des orientations à la production publique. Ainsi, investir dans le matériel pédagogique des Universités ou lutter contre la grande pauvreté n’a pas le même impact que de financer des empilements de structures qui entretiennent des emplois inutiles ou de payer les régimes spéciaux de retraite. Je rappelle que le surcoût du régime des seuls fonctionnaires d’Etat par rapport au régime général des retraites représente presque 3 fois les investissements de l’Etat ou 3 fois aussi le plan « Hôpital 2007 ». Question de choix, disais je ! Autant dire que la lutte contre la pauvreté est devenue un objectif bien secondaire de la redistribution. L’Etat est une organisation qui a besoin d’être régulée. A défaut, il en oublie l’intérêt général. Jacques Mistral, dans « Notre Etat » (Robert Laffont, 2001), s’appuyant sur une étude de l’OCDE, explique qu’il existe 3 typologies de pays selon leur organisation de services publics : le modèle américain avec des prélèvements de l’ordre de 30 % du PIB, le modèle centre-européen (45 %) et le modèle nordique (55 %). Pour chacun de Ces modèles, il existe un niveau optimal au-delà duquel il y a une corrélation négative (c’est-à-dire une relation contraire) entre augmentation des dépenses publiques et croissance de la productivité. Autrement dit, toutes les dépenses publiques ne sont pas au service de l’intérêt général, au risque de pénaliser le moteur de la croissance. Cette démonstration limite singulièrement d’ailleurs les thèses de ceux qui veulent financer les retraites par les ponctions sur les gains de productivité. La flèche du Parthe est décochée par François Villeroy de Galhau (18 leçons sur la politique économique – Seuil), ancien directeur de cabinet de DSK, qui écrit que « la France est dans une situation singulière puisqu’elle combine un niveau de dépenses nordiques avec un modèle européen de services publics et de prestations sociales ».

Dans de telles conditions, on peut comprendre l’acharnement de quelques uns à dénoncer l’économie de marché – et le libéralisme, bien évidemment responsable de tous les maux -, qui remettrait en cause leurs rentes de toute nature. C’est dommage, car c’est accepter le chômage et la pauvreté, voire les créer. A cet égard, Jacques Marseille rappelait que « dans une économie où plus de la moitié du PIB est absorbée par la dépense publique, le meilleur moyen de s’enrichir est d’accroître les prélèvements sur les contribuables. Il est plus rentable de se battre pour un revenu distribué par l’Etat que de créer une richesse dont la plus grande part sera prélevée par d’autres ».