« Les créances de la dette publique sont donc aux mains des rentiers. Ceux dont François Mitterrand affirmait qu’ils s’enrichissent en dormant ». Dans une tribune libre un peu ancienne, puisque publiée dans « Le Monde » le 20 janvier 2006, trois responsables socialistes (MM Dolez, Chavigné et Filoche) ont désigné très clairement les coupables de l’endettement : ce sont les riches (La Fontaine eut ajouté « ces pelés, ces galeux ») qui non seulement ont profité de la baisse des impôts mais de plus perçoivent les « intérêts payés chaque année aux rentiers ». D’ailleurs « les deux sont liés, puisque c’est parce que les impôts des riches ont diminué que l’Etat a été obligé de leur emprunter les sommes qu’il ne leur prélevait plus sous forme d’impôt ». L’explication est donc simple : la France est victime du complot des riches. Malheureusement, elle est même trop simple pour être exacte.
Dans une série de billets publiés en mai et juin 2006 sur ce blog, j’ai fait justice de cette thèse qui voudrait que les déficits et donc la dette soient imputables à la baisse des impôts. D’une part, celle-ci a été trop faible pour réduire sensiblement le niveau des prélèvements obligatoires, d’autre part la dette publique a commencé à croître bien avant que l’idée même de réduction de la fiscalité fasse son chemin. L’explication d’une insuffisance de recettes fiscales est donc bien fragile ! La cause première du déficit trouve d’abord son origine dans les dysfonctionnements du secteur public : empilement des structures administratives, absence de flexibilité interne qui restreint drastiquement la mobilité géographique et fonctionnelle des personnels, ce qui conduit à des sureffectifs, absence d’objectifs de productivité, surcoût des régimes spéciaux de retraite …
Cependant, récemment un bloggeur me posait fort judicieusement la question : Auprès de qui le secteur public est il endetté ? Voici donc quelques éléments d’explications, qui contribueront encore un peu plus à plomber la thèse du complot des riches. Balayons les quatre grandes familles d’administrations publiques.
Tout d’abord les Collectivités Locales. Leur endettement de 119 milliards d’euros à la fin 2005 est pour l’essentiel contracté auprès des banques. Au passage, soulignons qu’elles réalisent 70 % des investissements publics en France. D’une façon général, elles ne sont pas perdantes. Les banques considèrent qu’elles sont des contreparties sans risque, sûrement de façon excessive (l’affaire d’Angoulême semble bien loin), et veulent conserver une bonne image de marque auprès des élus. Les Collectivités Locales obtiennent donc des taux à des conditions défiant toute concurrence, souvent proches de ceux du marché monétaire. Elles font d’ailleurs le gros des « déclarations Trichet », cette obligation imposée aux banques au milieu des années 90 par Jean-Claude Trichet, alors Gouverneur de la Banque de France, de déclarer à icelle les clients bénéficiant de conditions meilleures que celles faites à l’Etat, le client de référence.
2eme type d’administrations : celles de sécurité sociale, constituées des différents régimes de sécurités sociale, des caisses de retraites, de fonds divers à vocation sociale, des hôpitaux publics et privés. Leur endettement s’élève à 35 milliards d’euros … Le financement s’exerce pour l’essentiel par crédit bancaire. Notamment, l’Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale (ACOSS) centralise les besoins de trésorerie des régimes de protection sociale et bénéficie de « lignes de trésorerie », autrement dit de la possibilité de faire appel à des concours bancaires de court terme, accordés pour l’essentiel par la Caisse des Dépôts et Consignation et plus ponctuellement par des banques « commerciales ». On relèvera aussi une augmentation de l’endettement long terme en raison du plan « Hôpital 2007 », correspondant à 6 milliards d’euros d’investissements hospitaliers supplémentaires réalisés de 2003 à 2007, et pour partie financés par un pool bancaire regroupant la Banque Européenne d’Investissement, Dexia et le Groupe Caisse d’Epargne. Pour la CDC, être le banquier quasi unique de l’ACOSS ne relève pas forcément d’une saine gestion. En effet, les amples besoins de trésorerie, trop souvent incomplètement couverts par des recettes, constituent un risque possible de déséquilibres pour cet établissement. Heureusement, il y a la CADES.
C’est le troisième grand groupe d’administrations : les organismes divers d’administrations centrales, les ODAC, qui regroupe une « foultitude » nébuleuse d’organismes divers (enseignement supérieur, ANPE, structures diverses dont celle de defeasance du Crédit Lyonnais …). Bref, selon la Cour des Comptes, en 2004, « les ODAC correspondent fréquemment à des »débudgétisations » ». Leur endettement s’élève à 95 milliards d’euros. Pour l’essentiel, cette dette est imputable à la CADES, la « Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale ». Créée en 1996 par Alain Juppé, elle a vocation a reprendre les déficits de la sécurité sociale (c’est-à-dire de l’ACOSS) et à les rembourser jusqu’en 2014 à l’origine, jusqu’en 2022 aujourd’hui, mais avec obligation désormais d’augmenter la contribution au remboursement de la dette sociale si celle-ci s’accroît encore. Au 31 décembre 05, la CADES est endettée à hauteur de 75 milliards d’euros, dont 71 par émission de titres, principalement obligataires. Ces titres sont détenus pour près de 60 % par des investisseurs étrangers : 43 % en Europe, 11% en Asie et Japon, le reste aux Etats-Unis et au Moyen Orient.
Enfin, il reste l’Etat, dont la dette s’élève en décembre 2005 à 889 milliards d’euros. Pour 95 %, il s’agit de titres : obligations pour 610 milliards d’euros et bons du trésor pour 280 milliards (d’une durée de vie plus courte). 60 % de cette dette est détenue par des non résidents. La part souscrite par des Français l’est pour l’essentiel (plus des ¾) par les banques et les compagnies d’assurance. En effet, ces entreprises disposent de grandes masses de liquidités qui doivent, pour des raisons de réglementation prudentielle, être placées avec peu de risque. Or, aujourd’hui, l’emprunteur sans risque, c’est l’Etat … tant qu’il bénéficie (ainsi que la CADES dont il garantit les encours) d’une notation AAA (mais cela pourrait changer) ! Le solde l’est par des particuliers ou des OPCVM (les SICAV et Fonds Communs de Placements).
Au final, la dette est financée par des établissements de crédit ou la CDC et le secteur public n’y est sûrement pas perdant. Ou bien, il y a une très large intervention d’investisseurs étrangers, ce qui est une nécessité pour éviter d’assécher l’épargne nationale. Il faut bien se rendre compte que le besoin de financement des administrations (en clair, l’ensemble du déficit public) représente quasiment autant que la totalité de la capacité de financement des ménages (c’est-à-dire ce qu’ils peuvent prêter pour financer l’économie) … Non, vraiment, la thèse du complot des riches ne tient pas. Tout comme à l’époque des premières années du règne de François Mitterrand qui, par un plan de relance à contresens et une politique d’étatisation absurde, avait fait exploser les déséquilibres, l’inflation et partant, les taux d’intérêt, ceux qui portent une lourde responsabilité dans la pérennité des déficits reportent leur faute sur les emprunteurs. La technique n’est pas nouvelle puisque c’est pour cette raison que Philippe le Bel a condamné Jacques de Molay au bûcher. Ce voile poujadiste ne sert qu’à dissimuler un corporatisme prédateur.
Il est plus temps de se débarrasser de cette racaille là aussi. Les énergumènes comme Filoche ont quand même osé affirmé que la moitié des patrons était des délinquants. Et quand ont lui demande comment financer les déficit, il proclame qu’il y a de l’argent, que la France est riche, qu’il suffit de se servir. Comment peut-ont donner échos à tant de niaiseries ?
On peut aussi se poser la question sur la neutralité de certaines institutions. Comment être inspecteur du travail, stigmatiser les employeurs et s’afficher à un partie politique dont l’aile gauche soutient encore la thèse de la lutte des classes. (On pourrait aussi s’étonner de la démarche du juge Alphen).
AB Galiani,
Merci de votre exposé, parfaitement clair. Si je comprends bien, les collectivités locales ont été assez exemplaires dans leur gestion (même si j’ai l’impression que c’est en train de changer) et l’essentiel de l’endettement public et le fait de l’Etat (suivi par les organismes sociaux).
J’aurais quelques petites questions :
– La baisse de la dette publique annoncée par Copée et exprimée en % du PIB est-elle réelle, n’y a-t-il pas des éventuels reports de créances qui la maquilleraient?
– Pensez-vous vraiment que la notation (rating) du crédit de la France risque un jour de se déprécier?
– Une partie des déficits ne sont-ils pas dûs aux récentes hausse des taux courts par la BCE?, sachant qu’une bonne partie des bons du trésor sont soumis à ces taux. Si je ne m’abuse, on parle de plusieurs centaines de millions d’Euros supplémentaires que politique de la BCE nous a fait dépenser.
Par ailleurs, il est certain que les deux premières années de Mitterand ont été absolument catastrophique du point de vue de l’augmentation notre endettement. Mais ne pensez vous pas que la période Balladur (1994-1995) a été presque autant catastrophique (déficit de 5,5% ces deux années). Or, je me rappelle que le ministre du Budget de l’époque était… Nicolas Sarkozy, ce qui me donne des doutes sur sa compétence.
A l’inverse, et au vu de la baisse de la dette publique, je pense que notre gouvernement actuel s’est plutôt bien débrouillé financièrement en 2006, alors même que la croissance économique était relativement faible. J’imagine que la mise en place de la LOLF a fortement contribué à cet assainissement. Merci à notre hôte.
Ami Jean B,
Voilà plein de forts bonnes questions, auxquelles je ne peux me dérober !
Tout d’abord la baisse du déficit et celle de l’endettement ! J’avais avancé le chiffre de 1200 milliards sur ce blog, il y a 4 semaines. Peut être ai-je été pessimiste ? Le problème du chiffrage du solde de l’Etat, c’est qu’il se calcule selon les flux de trésorerie. Pour donner une illustration : A dit à B « je reconnais te devoir aujourd’hui 100 € que je te réglerai dans 6 mois ». En comptabilité d’entreprise, A doit inscrire une charge de 100 (qui diminue d’autant son résultat), qui est la reconnaissance de cet engagement. En revanche, si A s’appelle « Etat », il n’inscrit rien ! Il ne comptabilisera cette charge qu’au moment du paiement. C’est pourquoi en jouant sur les dates de paiement, on modifie un solde … Je me garderai bien sur d’avancer que l’explication est là (ne me faites pas dire ce que je dis pas), et pour répondre précisément à votre question, il me faudra faire quelques recherches complémentaires (mais je répondrai, fusse dans plusieurs mois).
Concernant l’évolution du poste « charge d’intérêt », j’ai peu de chiffres suffisamment récents pour y voir clair. La hausse des taux va jouer, bien sur, mais de façon lente, progressive au fur et à mesure du renouvellement des différentes lignes constituant la dette. En outre, l’Agence France Trésor (organisme chargé de gérer la dette de l’Etat) joue également sur la courbe des taux, car si les taux court terme grimpent, ceux à long terme sont beaucoup plus stables. Quant aux bons du trésor, ce n’est qu’une petite partie du mode de financement ; un tiers, environ ; d’une durée de vie (une « maturité ») allant de quelques semaines à quelques années.
Est-ce que la notation de la France peut se dégrader ? A la fin de 2005, Standard & Poor’s a fait savoir que « la France glissait dans le bas de la notation AAA ». Il me semble clairement que si la tendance n’est pas inversée, c’est fatalement ce qui va se produire. Certes, les choses se font de manière ouatée : on prévient, on négocie. Mais sans inflexion …
Les Collectivités Locales sont elles bien gérées : je reste prudent sur ce sujet, et au demeurant, les bloggeurs pourront nous donner leur opinion. Je constate cependant qu’en termes d’endettement, les dettes sont souvent adossées à des investissements. Sauf exception ici ou là, on ne reporte pas le financement des dépenses de fonctionnement sur les générations à venir.
Concernant Edouard Balladur, il faut se rappeler le contexte. Le début des années 90 ont été marquées par une récession très forte, donc avec des recettes fiscales en baisse et des dépenses publiques en hausse : c’est « l’effet de ciseau ». Piloter un budget est assimilable au pilotage d’un pétrolier, les décisions prises mettent quelques temps à se manifester. Je rappelle qu’ Edouard Balladur a été le premier à proposer une réforme des retraites, même si on peut regretter qu’elle n’ait concerné que le privé alors que l’urgence portait sur les régimes spéciaux. Sauf erreur de ma part, le poste du budget était son premier poste ministériel, il ne m’a pas laissé de mauvais souvenir, dans une situation pas facile (et une cohabitation tout aussi peu simple).
Sur la LOLF, je vous suis pleinement … Elle est révolutionnaire parce qu’elle introduit la culture du résultat dans un milieu où à une époque pas si éloignée, le mot même était rejeté.
Très cordialement à vous
pour AB GALIANI
L’intervention de l’étranger n’est pas toujours néfaste.tout à fait d’accord
les agents économiques étrangers peuvent pallier
le manque d’investissement domestique : ils peuvent donner
un coup de fouet à l’activivté en france et dans un premeier temps la balance des paiements enregistre un flux d’entrée .
éviter aux petites contreparties économiques qui n’ont pas accès
aux crédits internationaux de bénéficier du crédit des banques domestiques et les grnades entreprises de faire des euro émissions.
m^me sous la Gauche cette technique a été utilisée pour gaver l’énorme déficit public (emprunt detat oat) des premiers années erratiques de F MITERRAND.
mais attention cet appel à l’épargne internationale n’est possible que si le risque souverain France apparaît encore bancable.
sinon ce sera l’augemtnation des taux et la raréfaction.
Quel progrès : il y a un siècle et demi, il n’y avait que "deux cents familles" riches qui étaient la cause de tous nos malheurs ! aujourd’hui elles doivent etre plus nombreuses puisqu’on n’en avance plus le nombre, mais seulement la malfaisance.
Plutot que de vouloir à tous prix augmenter les impots (n’est ce pas une forme de dirigisme que de vouloir piquer un max d’argent aux citoyens pour le dépenser plus utilement qu’ils ne le feraient eux-mêmes ?) ne faudrait-il pas mieux demander aux fermiers généraux modernes de supprimer les dépenses somptuaires de l’Etat et des collectivités ainsi que toutes ces contributions diverses (la dernière en date sur le recyclage des machines) et variées faibles chacune mais dont le cumul est loin d’etre négligeable ?
PS je ne demande pas plus aux enarques arrogants de s’occuper de gérer mon absence de fortune que je ne leur demande de s’occuper de ma femme
bon article très clair. Au passage j’ai découvert les "déclaration trichet", et ça me laisse assez songeur d’imaginer que quelqu’un, quelque part, a eu cette idée … nul doute qu’il a eu de la promotion, comme son chef qui a donner son nom à la chose !
@ AB Galliani
vous souvenez-vous de cette declaration:
«Cela ne viendrait à l’idée de personne d’acheter la paix avec ses voisins en utilisant le carnet de chèques de ses enfants !»
c’est ce qu’ont fait et continuent a faire nos dirigeants élus a DROITE et a GAUCHE
depuis VGE jusqu’a Chirac en passant par Mitterrand jusqu’a la prochaine "degradation"
de la note de la solvabilité de l’etat francais… QUAND ???
A JPP,
Je n’exclus pas que l’absence de réforme de fond de l’Etat vienne d’une volonté d’acheter la paix sociale.
Il y a aussi le fait que l’Etat est hypertrophié, donc mythifié. Ce dogmatisme intangible constitue notamment le fonds de commerce de la Gauche, fusse avec un coût social énorme. Ceci dit, vous avez raison, la Droite n’est pas exempte de reproches, qui a parfois défendu des thèses tout aussi conservatrices.