Dans un rapport à remettre au Premier Ministre très prochainement, le COR vient de préconiser des mesures qui pourront sans doute sembler drastiques à certains mais qui ne surprendront guère les lecteurs habitués aux analyses présentées sur ce blog. Rappelons que le COR, le Conseil d’Orientation des Retraites, a été créé en 2000 par Lionel Jospin alors Premier Ministre pour réfléchir à l’avenir et à la pérennité du système de retraite français. Ses membres sont de hauts fonctionnaires, des responsables syndicaux, des représentants du patronat et des élus. Plus que de commenter longuement ses propositions, il me semble utile de souligner les points faibles du dispositif de retraite français auxquels les constats du COR sont autant de réponses.

Rappelons tout d’abord que le système de retraite français est en principe un système par répartition, c’est-à-dire que les « seniors » vivent des prestations versées par les actifs, après avoir eux-mêmes cotisés. C’est le principe de « solidarité intergénérationnelle », qui se heurte toutefois à une limite de taille : les retraites sont pensées et décidées par de futurs bénéficiaires qui engagent ainsi les générations à venir, lesquelles ne peuvent donner leur avis puisque peut être même pas nées.

Au-delà de cette question, il y a une évolution profonde qui modifie les conditions de pérennité du système de retraite français. C’est la démographie !

Ainsi en 1975, il y a en France 3,1 cotisants pour un retraité. Alors qu’un peu partout dans les pays occidentaux commence une réflexion sur les conséquences du vieillissement des populations, François Mitterrand ramène l’age de la retraite de 65 à 60 ans. Mesure certes sympathique pour ceux qui en bénéficient mais lourdes de contraintes à venir. De fait, en 1985, le rapport est passé à 2,2 et en 2004, nous sommes à 1,6 cotisants par bénéficiaire. Dans l’attente de la cessation d’activité des classes issues du baby boom !

Cette évolution n’est pas vraiment due à la diminution du nombre des naissances. Tant bien que mal, et malgré des fluctuations sensibles, il naît chaque année en France entre 700 et 800 000 enfants. Mais la durée de vie s’allonge. L’espérance de vie à la naissance gagne environ 3 mois tous les ans, passant de 81 ans en 1990 pour les femmes à presque 84 ans en 2005 et de 72,7 ans à 76,8 ans sur la même période pour les hommes. De ce fait, la durée passée en retraite s’accroît aussi fortement : + 2 ans en 15 ans, soit plus d’1,5 mois par an. Et un plus grand nombre de Français atteint l’âge de la retraite : en 1960, 83 % des quadragénaires fêtaient leur 60eme anniversaire ; ils sont prés de 92 % désormais. Pourtant, l’age moyen de départ à la retraite en France est précoce, de l’ordre de 58 ans contre 64 en Europe. Le taux d’activité des 55-64 ans français est ainsi l’un des plus faible d’Europe, avec 37 % des actifs de cette classe d’âge qui travaillent contre 42 % dans l’Europe des 15 et même 69 % en Suède.

On comprend alors que le COR s’inquiète des conséquences financières, lesquelles apparaissent plus dégradées que prévues, selon l’expression du rapport. Il manquera 3,5 milliards d’euros en 2007 et le déficit devient franchement astronomique à l’horizon 2050, avec 30 à 80 milliards d’euros chaque année, une à deux fois le déficit actuel de l’Etat. C’est d’ailleurs un déficit de cet ordre que je citais dans un billet du 28 août dernier. Toutefois, si allonger la durée d’activité est une des conditions de maintien d’un système de retraite efficace, il est désormais indispensable que les partenaires sociaux, y compris (et surtout ?) les entreprises, apprennent à gérer l’allongement des carrières et à porter un autre regard sur les salariés sexagénaires !

Enfin, le COR préconise d’allonger les durées de cotisation des régimes spéciaux. Cependant, le Conseil vise ceux qui n’ont pas été reformés en 2003. Malheureusement, il conviendrait d’y inclure également les autres car la réforme Fillon n’a fait que les effleurer. En effet, en raison de l’existence de ces régimes spéciaux, la France ne dispose pas d’un véritable système de retraite par répartition. Pour un quart des actifs français, une large part de la charge est financée par des tiers qui ne seront jamais des bénéficiaires. Ainsi, les régimes de fonctionnaires reposent sur une cotisation salariée inférieure de 2,5 points à celle du régime général. En revanche, les cotisations employeurs sollicitent fortement le contribuable. Par comparaison avec le régime général : 10 points de plus pour la fonction publique territoriale et hospitalière , presque 45 points de plus pour la fonction publique d’Etat (en raison de la fameuse « cotisation fictive ») ! Les modalités de calcul des prestations sont des plus intéressantes, déterminées sur les derniers mois d’activité pour les fonctions publiques, ceux où le salaire est le plus élevé, contre les 25 meilleures années pour le privé. Et les régimes spéciaux des grandes entreprises publiques sont plus généreux, qui prévoient des durées de cotisations de 37,5 ans, voire moins – et contribuent à l’augmentation du prix de leurs services. Il est à noter que les fonctionnaires cotisent depuis 2003 sur les « éléments exceptionnels » de leur rémunération (primes, par exemple), au titre du régime de « retraite additionnelle de la fonction publique », ce qui d’ailleurs à terme devra améliorer les prestations versées. A plus court terme, comme il y a une « cotisation patronale » de 5%, cela revient à accroître la masse salariale !

Cependant, ce qui est nouveau, c’est que des réformes notables soient proposées par un organisme paritaire. On peut espérer y discerner une prise de conscience collective, y compris de ceux qui en 2003 ne voulait rien entendre … Et, désormais, quel crédit accorder à la proposition du Parti Socialiste de rapporter la loi Fillon de 2003, dont il est clair qu’elle ne va pas assez loin ?