De toute évidence, les propos de Madame Royal sur la gestion des taux ont ouvert un débat des plus animés. Il me semble important de rappeler la façon dont se forment les taux et surtout quelle signification leur accorder. Pour des raisons évidentes, ce billet n’a pas vocation à faire une analyse exhaustive du rôle des taux d’intérêt, mais simplement à rappeler quelques points essentiels de leurs mécanismes.

Tout d’abord, rappelons qu’il n’existe non pas un taux d’intérêt unique, mais tout une gamme de taux. Keynes expliquait que le taux traduisait le renoncement à disposer tout de suite de ses fonds. De façon tout aussi pragmatique, plus la durée s’allonge, plus la visibilité se réduit et donc plus le risque s’accroît. Quoiqu’il en soit, renoncer longtemps ou prendre un plus grand risque a un prix. Aussi, fort logiquement, plus la durée d’un investissement financier est longue, plus le taux s’élève. A cet égard, la « courbe de taux inversée » avec des taux courts très élevés, rencontrée au début des années 90 s’explique très largement par les conséquences monétaires de la réunification allemande.

Le niveau des taux courts (24 heures à plusieurs mois) dépend très largement de l’action de la Banque Centrale qui va agir sur la quantité de liquidités offertes aux banques commerciales dans le but principalement de maitriser l’inflation, par un contrôle de la masse monétaire, et de gérer le niveau du taux de change. Aujourd’hui, la BCE a statutairement pour objectif la prévention de l’inflation. Le taux de change élevé « € contre $ » s’explique très largement par l’importance des flux nets sortant des USA, imputables aux déficits de la balance commerciale récurrents et aux revenus servis aux capitaux étrangers investis aux USA, supérieurs aux capitaux US investis dans le monde. Celui des taux longs exprime le rapport entre la demande et l’offre de capitaux à long terme. Les taux longs sont, au final, de vrais prix de marché.

Imaginons une politique monétaire très souple. La BCE fixe dans ce cas un taux directeur bas, ce qui, dans une économie fortement bancarisée comme la France, stimule la demande de crédit donc la demande et contribue à gonfler la masse monétaire. Si le supplément de monnaie fait face à un supplément de production, alors les prix restent stables. En revanche, s’il n’existe pas – ou peu – de capacités de production disponibles pour répondre à la demande, alors l’inflation menace, qui annule largement les effets positifs sur la demande. C’est le cas de l’Europe aujourd’hui, et c’est pourquoi il m’apparaît que des taux court terme bas auraient plus d’effets néfastes que positifs. Au passage, et pour faire suite à l’observation récente d’un bloggeur, la capacité à produire disponible est une des variables de la « règle de Taylor » utilisée pour déterminer le « bon » niveau des taux court terme par les banquiers centraux.

Et la menace inflationniste joue sur les taux longs ! Les « offreurs » vont demander une prime de risque croissante pour couvrir leurs anticipations inflationnistes. En effet, d’une part, l’inflation réduit la valeur du signe monétaire : ainsi, 10 ans d’inflation à 10 % l’an réduisent de plus de 60 % la valeur réelle d’une créance. D’autre part, l’inflation induit des éléments d’incertitude et l’incertitude a un coût !

Il faut bien mesurer également que les taux longs ont un rôle « sélectif » sur l’investissement en vertu du principe de « l’efficacité marginale du capital » (appellation donnée par Keynes). En clair, un investissement doit être plus rentable que le même capital placé sur le marché financier pendant une durée équivalente. Sinon, le choix est vite fait. Or, si à court terme, l’investissement est un élément de la demande, son rôle à long terme est des plus essentiels : il détermine la capacité de production à venir et donc un volume prévisible de l’emploi à venir.

On ne peut faire abstraction du rôle d’un acteur majeur du marché des capitaux : l’Etat. Un financement des déficits par emprunt sur le marché national augmente la demande de capitaux donc les taux donc contribue à évincer de l’investissement privé … Il faut y voir sans doute la raison pour laquelle 60 % de la dette de l’Etat est contractée auprès de non résidents, ce qui évite d’engorger le marché français. Ce phénomène a en outre été facilité par le passage à l’euro, qui a réduit le risque de change (c’est-à-dire les risques liés aux fluctuations des monnaies). Mais, il en est de même lorsque le budget croît de façon équilibrée ! L’augmentation des prélèvements finit par peser sur les capacités de financement des agents. Aussi est il essentiel que l’Etat veille à l’efficacité de ses dépenses. Difficile aujourd’hui quand il dépense plus pour les régimes spéciaux de retraite que pour les investissements !