Il est des idées entendues depuis la petite enfance parfois, et qui à force d’être répétées à satiété, en viennent à être considérées comme des dogmes, absolus et incontestables. L’économie n’échappe pas à la règle, comme le montrent les exemples qui suivent. Pour ce premier billet consacré aux mythes économiques, je me suis inspiré d’un ouvrage de Pierre Cahuc et André Zylberberg « le chômage, fatalité ou nécessité ? » (Champs, Flammarion, 2005), dont je recommande la lecture. D’une part, les auteurs sont deux universitaires renommés, d’autre part, l’ouvrage est fort pédagogique et ne s’enferre pas dans des raffinements théoriques. Ils affirment à juste titre que « la France vit dans une forme de pensée économique qui relève plus des croyances fantasmagoriques que du rationalisme ». C’est donc à partir de deux de ces croyances fantasmagoriques que je vous propose quelques commentaires et analyses personnels.

Première revue de « yaka » :

« Yaka travailler moins pour travailler tous » : Au tout début du XIXe siècle, Thomas Robert Malthus explique que la pauvreté vient du fait que la population a tendance a croître plus vite que la richesse, d’où une pauvreté grandissante. Dans cette foulée, l’idée selon laquelle les dysfonctionnements de l’économie viennent d’un excès d’hommes a connu un succès qui ne s’est jamais démenti, sous des formes très variées : le retour de la femme au foyer, le renvoi des travailleurs immigrés ou, dans une version plus sociale, la semaine de 35 heures. L’idée de base, c’est que le besoin en travail d’un pays serait une constante. Ainsi, en se serrant un peu, tous peuvent trouver une place. Malheureusement, ce postulat est erroné. Le nombre d’emploi d’une économie est fluctuant, il dépend à la fois de la demande, de la compétitivité, du coût du travail par rapport à la productivité et de la qualification des travailleurs. Les lois Aubry ont réussi ce tour de force d’accroître le coût du travail sans améliorer le pouvoir d’achat … et sans s’attaquer aux causes du chômage. Aussi, pour limiter les effets négatifs du coût du travail sur l’emploi, des allègements de charge ont été proposés … financés par le déficit, donc par les générations à venir, qui devront travailler plus pour rembourser. L’efficacité apparaît aujourd’hui des plus limitées : si la France, sur la période 1996 – 2002 avait réduit son chômage dans la même proportion que la moyenne de l’Europe des 15 – qui, elle, n’a pas diminué la durée du temps de travail -, elle compterait 150 000 chômeurs de moins. Et elle en compterait 1 million de moins pour une réduction du chômage dans la même proportion que la Suède, qui a notamment pris des mesures drastiques de réforme de l’Etat. De même, il ne faut pas croire que les départs en retraite massifs dans les années qui viennent entraîneront ipso facto une réduction du chômage. En effet, si des postes vont bien se libérer, la charge des retraites va croître. Un scénario fort vraisemblable est donc celui d’une hausse du coût du travail plus rapide que les gains de productivité, avec, à la clé, élimination des travailleurs les moins qualifiés. A l’inverse, la réduction du chômage suédois évoquée ci-dessus s’est faite dans un contexte de recul de l’âge de départ en retraite.

« Yaka faire payer les riches pour combler le déficit de l’Etat » : C’est une version du complexe de Robin des Bois, qui se formule ainsi « Il suffit de prendre aux riches pour donner aux pauvres et ainsi la pauvreté sera résolue ». Cette proposition repose sur deux postulats : Le premier est que l’on pourrait prendre massivement aux riches. Cahuc et Zylberberg expliquent que prélever 10% d’impôt en plus sur les tranches de revenus supérieures à 8000 € par mois entraînerait une augmentation du produit de l’impôt de l’ordre de 0,02 % du PIB ; la même augmentation frappant les ménages gagnant plus de 3500 € par mois rapporterait 0,7 % du PIB. De telles mesures évoquent donc la goutte d’eau dans la mer. Rappelons pour mémoire que les dépenses publiques en France sont de l’ordre de 53% du PIB. Au pire, on peut instaurer des taux confiscatoires. Ainsi, la Grande Bretagne au milieu des années 70 a découvert « l’effet Laffer », résumé dans la formule « l’impôt tue l’impôt » : l’instauration des tranches d’impôt à 98 % a découragé tout investissement et n’a rien rapporté d’autre qu’une contribution à l’explosion du chômage (qui a dépassé les 20 % de la population active). Conclusion : pour être rentable, l’impôt doit ratisser large. Le second est qu’on pourrait donner massivement aux « pauvres » : Mais alors, gare à la trappe à pauvreté ! En effet, lorsque la redistribution offre des revenus supérieurs à ceux du travail, alors il devient plus rentable de ne pas travailler. Une hiérarchie des revenus doit donc exister. Il est certes possible d’augmenter la rémunération minimale du travail, au risque (accru en présence des malthusiennes 35 heures) d’éliminer les travailleurs les moins productifs. De nombreux pays – dont la France depuis 2001 – ont contourné la difficulté en versant une subvention spécifique aux personnes retrouvant un emploi sous condition de revenu.

L’idée de base, c’est que la pauvreté serait la faute des riches. Cette explication, simple et rassurante, a pu avoir une part de vérité jusqu’à la fin de lapremière moitié du XXeme siècle, en raison d’une asymétrie dans les relations sociales. Cependant, le renforcement du droit du travail et l’accroissement de la redistribution ces dernières décennies ont singulièrement modifié la donne. Cette vision de base est d’ailleurs démentie par le cas de la France qui cumule à la fois un niveau de dépenses publiques parmi les plus élevés du monde et un niveau de pauvreté inacceptable. Aujourd’hui, la cause première est une insuffisance de productivité en regard du coût du travail. Et cette insuffisance de productivité vient à la fois 1) d’une défaillance de notre système éducatif incapable d’offrir des pédagogies alternatives aux élèves en difficulté, ce qui impliquerait le droit des familles à choisir leur école 2) d’un « ticket d’entrée » sur le marché du travail élevé, qui impose une productivité minimale forte, notamment en raison de l’obligation de financer des prélèvements importants ; ces derniers sont d’autant plus « éliminatoires » qu’ils n’ont pas forcément de contrepartie sous forme de création de richesses supplémentaires pour la collectivité ; en effet, l’extrême sécurité de quelques uns qui confine à l’immobilisme a pour prix l’exclusion des plus fragiles. Pour illustrer les causes des « surcoûts paupérisants », on peut citer les effectifs pléthoriques de certains ministères, les régimes spéciaux de retraites et plus généralement, le départ moyen à la retraite parmi les plus précoces d’Europe. Rappelons qu’en 1975, il y avait 3,14 cotisants pour un retraité et que nous en étions à 1,58 en 2004, sans que cette dégringolade soit endiguée. Et n’oublions pas la charge de la dette, qu’il faudra bien rembourser un jour …. Tous ces coûts pèsent sur le niveau de vie des français et les pénalisent d’autant plus lourdement qu’ils sont modestes. Les rentes des uns sont la misère des autres. Jacques Marseille dans « Le Grand Gaspillage », évoquant des comportements prédateurs, épingle les catégories sociales pour qui « il est plus rentable de se battre pour un revenu distribué par l’Etat plutôt que de créer une richesse dont la plus grande part sera prélevée par d’autres » quand dans le même temps, « les quelques 4% de ménages français qui souffrent de grande pauvreté bénéficient moins de la dépense publique que les classes moyennes et aisées ».

Au final, le mythe est rassurant, car il conforte dans les certitudes. Et parfois même, dans celles de ceux qui en sont victimes !